École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologi

École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques La Troisième Sibylle. Recherches sur la signification, l'origine et la date du troisième poème pseudo-sibyllin, suivies du texte d'Oracula Sibyllina III, établi, traduit et annoté Valentin Nikiprowetzky Citer ce document / Cite this document : Nikiprowetzky Valentin. La Troisième Sibylle. Recherches sur la signification, l'origine et la date du troisième poème pseudo- sibyllin, suivies du texte d'Oracula Sibyllina III, établi, traduit et annoté. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques. Annuaire 1963-1964. 1963. pp. 341-351; doi : 10.3406/ephe.1963.4788 http://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1963_num_1_1_4788 Document généré le 15/06/2016 LA TROISIEME SIBYLLE. RECHERCHES SUR LA SIGNIFICATION, L'ORIGINE ET LA DATE DU TROISIÈME POÈME PSEUDO-SIBYLLIN, SUIVIES DU TEXTE D'ORACULA SIBYLLINA III ÉTABLI, TRADUIT ET ANNOTÉ par Valentin Nikiprowetzky (M. André Dupont-Sommer, membre de l'Institut, directeur de recherches) La Sibylle que la ville d'Erythrées en Asie Mineure réussit à disputer victorieusement à l'agglomération de Marpessos est probablement l'original dont toutes les autres, y compris la Sibylle de Cumes, ne constituent que des répliques. Elle était aussi restée la plus célèbre. Figure légendaire, incarnant comme les nymphes l'inspiration prophétique et douée comme elles d'une longévité exceptionnelle, la Sibylle d'Erythrées passait pour avoir vécu longtemps avant Homère, inventé l'hexamètre, prédit la fortune d'Alexandre et des Enéades. Bref, elle était devenue l'un de ces héros initiateurs, tels qu'Orphée ou Musée, que les Grecs se plaisaient à imaginer à l'aurore de leur histoire. Le Troisième Livre des Oracles sibyllins est un spécimen de cette production littéraire que Schurer qualifiait de « propagande juive sous un masque païen » et qui consistait à transformer par l'altération ou la forgerie de textes Homère, Hésiode, Pindare, Sophocle, Phocylide, Hécatée d'Abdère, ou Aristée en porte- parole du judaïsme. On imagina donc une Sibylle orientale sur le modèle de la Sibylle d'Erythrées, et on la situa au début presque absolu de l'histoire humaine en la présentant comme la femme ou la bru de Noé, le nouvel Adam et le père de la deuxième race. On eut aussi l'habileté d'opposer la Sibylle orientale à sa concurrente païenne, non en présentant celle-ci comme une fausse prophé- tesse, mais en l'annexant à la figure de la première. Seules leur incrédulité et leur ignorance avaient induit les Grecs à croire 342 POSITIONS DES THÈSES DE III« CYCLE que la parente de Noé était native d'Erythrées et fille de Circé. Lactance témoigne à sa manière du succès de cette prétention lorsqu'il cite de nombreux extraits de notre texte sous le nom de l'Erythréenne. Cependant, dans le dernier quart du XIXe siècle, le Troisième Livre des Oracles sibyllins fut soumis, principalement en Allemagne et en Autriche, aux méthodes de la Quellenforschung. Dans l'ouvrage qu'il faisait paraître en 1887 sur les mythes et cultes grecs dans leurs rapports avec les religions orientales, O. Gruppe croyait pouvoir reconnaître dans notre recueil une strate babylonienne primitive. En effet, entre la Sybille d'Erythrées et la Sibylle supposée par les Juifs d'Alexandrie, il faudrait, selon cet historien, situer une Sibylle païenne dont l'œuvre, écrite en hexamètre grecs, aurait été l'expression de la civilisation « chaldéenne ». Les Juifs d'Alexandrie, frappés de la similarité qui existait entre ces oracles orientaux et leurs propres traditions, se les seraient appropriés après les avoir légèrement retouchés et auraient eu l'idée de les continuer. C'est à cette Sibylle babylonienne païenne qu'il faudrait attribuer le récit du désastre de Tour de Babel et les épisodes relatifs à la naissance de Zeus et aux luttes des Cronides, tels que nous les lisons aux vers 97-154 de notre texte. De même encore l'épilogue /// O. 5., 808-829. Cette thèse, qui a été soutenue avec toujours plus de fermeté par des critiques tels qu'E. Fehr (Studia in oracula sibyllina, 1893); J. Geffcken (Komposition und Entstehungszeit der Oracula Sibyllina, 1902); P. Lieger (Quaestiones Sibyllinae, 1906); A. Peretti {La Sibilla babilonese nella propaganda ellenistica, 1943), peut être considérée comme généralement admise aujourd'hui. L'édition du corpus pseudo-sibyllin procurée par A. Kurfess (Die Sibyllinische Weissagungen, 1951) l'accueille comme une donnée objective. Ne permet-elle pas de rendre raison au mieux du fait que certaines sources (Pausanias X, 12, 9; Pseudo- Justin, Cohortatio 37, 7) affirment que la Sibylle du Troisième Livre est la fille de l'historien Bérose et que son nom est Sabbé (Pausanias) ou Sambéthé (Suidas) ? On suppose, en effet, que l'ouvrage de Bérose devait inclure le recueil oraculaire de la Sibylle et que la fabuleuse antiquité que l'on finit par attribuer à l'historien ôta toute apparence d'anachronisme à l'idée qu'il ait pu être le père de la prophétesse. Quant aux appellations de Sabbé ou de Sambéthé, il faudrait VALENTIN NIKIPROWETZKY 343 y voir la transposition soit du nom de la nymphe akkadienne Sabîtu (A. Reinach, A. Peretti) dont les relations avec le héros babylonien du Déluge, Uta-Napishtim ou Xisuthros, se reflètent dans la filiation noachique de la Sibylle du Troisième Livre; soit du nom de la déesse anatolienne Sambathis (H. C. Youtie). La personnalité véritable de la prophétesse babylonienne expliquerait enfin certaines singularités par où notre texte s'écarte, dans la relation de la catastrophe de la Tour, du récit biblique qui lui est parallèle (e. g. la Tour abattue par les vents) ou encore par la sérénité et l'objectivité avec lesquelles la Sibylle parle des dieux du paganisme qu'elle travestit en dynastes humains. Or l'examen du passage que l'on attribue à Sambéthé montre ce qu'a de fragile l'hypothèse babylonienne. Aucun des détails par lesquels la narration sibylline de la ruine de la Tour de Babel diverge du récit biblique, ne constitue un critère permettant d'affirmer que la première dérive d'une tradition différente de celle dont relève le second. Pour citer à nouveau l'exemple des vents dont l'on fait les agents de la catastrophe, leur intervention s'explique en référence non au polythéisme chaldéen, mais bien aux spéculations angélologiques juives dont le point de départ est la Bible elle-même. Il s'agit en l'occurrence d'un midrash (ou exégèse de caractère légendaire et de propos étiologique) destiné à expliquer les pluriels insolites de Genèse XI, 7 : « Descendons », « confondons leur langage ». D'autres midrashim (Jubilés, Sefer hayashar 20 b-2\ a) imaginent ici un dialogue entre la Divinité et ses anges. Du reste tout l'épisode sibyllin est la transposition directe de Jubilés x, 19-26. D'une manière plus générale, d'ailleurs, on n'imagine guère qu'une Sibylle babylonienne ait pu rapporter l'épisode de la Tour de Babel. En effet l'on ne saurait penser aujourd'hui, comme faisait F. Lenormant au siècle dernier, que le récit biblique de la ruine de la Tour de Babel, dérive d'une tradition primitive où s'informent également les textes suméro-babyloniens. L'interprétation fâcheuse qui est faite de la zigurath et du nom de Babylone semble indiquer que la légende de la Tour appartient à un courant proprement araméen et, dès l'origine, indépendant de celui où la littérature israélite et la littérature babylonienne ont puisé l'histoire du Déluge par exemple. Les progrès de l'assy- rioîogie ont conduit les historiens à renoncer à reconnaître la légende de la Tour de Babel dans des documents cunéiformes tels que K. 3657 ou K. 1685. Quant à l'objectivité sereine qui distinguerait le poème de la 344 POSITIONS DES THÈSES DE 111° CYCLE sibylle babylonienne, l'impression s'en évanouit complètement dès que l'on lit le texte d'un peu près. L'étymologie volontairement ridicule du nom de Zeus, l'usage d'un évhémérisme militant et parfois sarcastique, révèlent tout autre chose qu'un pittoresque désintéressé et indiquent clairement que le texte est en réalité d'origine juive et non babylonienne. Les mêmes remarques s'appliquent aux passages (Histoire d'Arménie, Livre Ier, ch. VI, ix) dans lesquels Moïse de Khoren allègue des oracles de la sibylle bérosienne. Cette position oblige à penser que, contrairement à l'opinion courante, le passage d'Alexandre Polyhistor conservé dans la chronique d'Eusèbe, chez le Syncelle et Cyrille d'Alexandrie et où l'historien rapporte l'histoire de la Tour d'après la Sibylle, ne se réfère pas à la primitive Sibylle babylonienne, mais à notre recueil lui-même. Comment expliquer dans ces conditions le fait que le PseudoJustin, Pausanias, le Suidas font de notre Sibylle une fille de Bérose ou que dans le livre que le lettré syrien Mar Apas Catina découvrit dans les archives de Ninive et dans lequel beaucoup d'historiens ont pensé devoir reconnaître l'ouvrage de Bérose, semble avoir figuré un recueil de la Sybille bérosienne? Alexandre Polyhistor relate en réalité deux fois, et sans jamais se réclamer de Bérose, l'épisode de la Tour de Babel. Le premier récit est emprunté à l'ouvrage d'Eupolème sur les Rois de Judée et le second est narré d'après la Sibylle. D'autre part, Alexandre Polyhistor aurait été lui-même l'auteur d'un livre Sur les Juifs et d'une histoire des Antiquités chaldaïques, compendium de l'ouvrage de Bérose. Si fantaisistes que soient les idées d'Alexandre Polyhistor sur le judaïsme, ses contacts avec les Juifs (probablement à Alexandrie) sont certains. Or, diverses traditions rapportées par Bérose confirmaient d'une façon éclatante des récits bibliques et la propagande juive avait tout à gagner à leur diffusion. Il est donc vraisemblable de supposer que les Juifs ont servi d'intermédiaires entre Alexandre uploads/Litterature/ valentin-nikiprowetzky-la-troisie-me-sibylle.pdf

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