VERS UNE MONDIALISATION DES RITES FUNÉRAIRES? Marie-Frédérique Bacqué L’Esprit

VERS UNE MONDIALISATION DES RITES FUNÉRAIRES? Marie-Frédérique Bacqué L’Esprit du temps | « Études sur la mort » 2002/1 no 121 | pages 85 à 95 ISSN 1286-5702 ISBN 2913062857 DOI 10.3917/eslm.121.0085 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2002-1-page-85.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L’Esprit du temps. © L’Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Les rites funéraires, «ensemble de cérémonies et de pratiques, dans un cadre religieux ou non », avaient, au départ, pour fonction de rappeler chez tous, le plus petit dénominateur commun de l’humanité : la mort. Quels sont les objectifs conscients et inconscients des sociétés traditionnelles pour les rites de transition ? - Transcender l’événement pour replacer l’homme dans l’humanité, - Simplifier la pensée par des gestes universels, - Canaliser des émotions puissantes et parfois stimuler leur expression, - Enfin, trouver les témoins du passage et les aider à tolérer le changement d’état en mettant fin au désordre social. Les fonctions du rite funéraire ont été magistralement décrites par Louis- Vincent Thomas : si une conduite rituelle est constituée d’une série d’actes dont la valeur symbolique dépasse la finalité mécanique, le rite est une « structure de signalisation ». Il s’ancre dans le mythe et le sacré. Pourtant, sa fonction est éminemment sociale: il sert le groupe plus que l’individu qui souvent l’effectue de façon inconsciente. La répétition, parfois même, la stéréotypie du rite, sécurise son exécutant tout en limitant l’angoisse liée au changement. Cependant, aujour- d’hui, l’absence de maîtrise émotionnelle liée à la perte, dérange l’endeuillé qui ne souhaite plus agir « sur ordonnance », par manque de croyance certes, mais aussi par quête de sens rationnel (et non plus mystique) à tout prix. VERS UNE MONDIALISATION DES RITES FUNÉRAIRES ? MARIE-FRÉDÉRIQUE BACQUÉ Études sur la mort, 2002, n° 121, 85-95. © L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181) 86 ÉTUDES SUR LA MORT L’OCCIDENT RATIONNEL, EN REJETANT LES VERTUS SYMBO- LIQUES DES MYTHES A-T-IL FRAGILISÉ LES RITES? La perte d’un être cher aujourd’hui se solde par une souffrance considérable des proches pour lesquels, le « traitement » collectif développé par toutes les sociétés humaines, ne suffit parfois plus. En particulier en Occident, royaume de l’individualisme où l’endeuillé ne se satisfait plus tout à fait des apports sociaux d’une cérémonie. Ne s’appuyant pas autant que jadis sur des comportements (contraintes, restrictions) édictés sur une longue période afin de diminuer la culpabilité, la croyance dogmatique en la survie symbolique des disparus est désormais floue et non réparatrice. Si les rites se sont amenuisés, s’ils ne sont plus «habités», c’est qu’ils ne sont plus dotés de toutes leurs fonctions consolatrices. Les endeuillés d’aujourd’hui en réclament donc d’autres. Or, les rites ont toujours été modifiables. Certes, ils reposent sur des mythes transmis au fil des générations, mais, imperceptiblement, ils suivent l’évolution des femmes et des hommes.Ainsi, comme l’écrit Claude Levi-Strauss (1971) «on ne discute pas les mythes du groupe; on les transforme en croyant les répéter ». Les mythes édictent l’histoire originelle des groupes. Cette histoire est souvent terrifiante, chaotique, elle parle de naissance (naissance des dieux, naissance des éléments, de la femme et de l’homme). Les mythes reprennent aussi les grands événements des peuples en les expliquant et souvent en les justifiant. Enfin les mythes traitent des fins du monde afin d’aborder l’alliance des dieux avec l’homme (la femme) et de permettre un retour à l’Eden initial, symbolisant le cycle vital. Les mythes reprennent souvent, en l’amplifiant, un ou des événements qui ont marqué les hommes et ont été transmis oralement pendant des générations. Or, le XXe siècle regorge d’événements dramatiques, de régressions massives, de quêtes idéologiques à défaut d’être déiques. Ils n’ont pu être repris symboli- quement, faute de temps. En effet, la construction d’un mythe est un véritable « travail de fourmi », qui passe par le long cheminement de l’histoire au travers des bouches des générations successives. Les déformations que le mythe subit sont, en général à la hauteur de sa solidité: malgré ses variantes, il s’agit toujours du même thème... Le XXIe siècle est en quête de sens, car non seulement les mythes ont suivi difficilement la rapidité et l’inédit des situations précédentes par déficit d’adap- tation (malgré leur aspect hautement symbolique), mais de plus, les histoires qui y ont été consacrées ont été escamotées dans la volonté de s’aveugler qu’ont désormais les humains. Cet aveuglement concerne des interdits suprêmes. © L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181) MARIE-FRÉDÉRIQUE BACQUÉ •VERS UNE MONDIALISATION DES RITES FUNÉRAIRES 87 LAMORT, ENCHANGEANTD’ÉCHELLE, ARENDULESRITESMOINS OPÉRANTS Avec l’industrialisation qui asservit les forces de la Nature, la colonisation humaine gagne toute la planète, les cultures s’homogénéisent, enfin, l’armement et la menace de destruction de l’environnement (et de l’espèce humaine) se généralisent dans les années 40, tandis que, plus récemment, le décryptage du génome de certaines espèces (dont l’homme), sonne le véritable « Knock-out » des dieux : les hommes pourraient non seulement s’auto-engendrer avec les clones, mais ils peuvent désormais modifier les données de leurs origines... Des études prospectives évoquent l’augmentation des catastrophes collec- tives au XXIe siècle, qui serait plus que jamais synonyme de peurs et de violences. S’agit-il d’une représentation alarmiste du futur, des conséquences de la mondia- lisation ou encore d’une médiatisation excessive du spectaculaire ? Fantasme ou réalité, les conséquences de l’augmentation de la population, de la propagation de certains fléaux, de la modification de l’environnement (en particulier climatique) et de la communication planétaire, constituent des thèmes d’angoisse récurrents, trouvés aussi bien chez des patients présentant des symptômes psychiatriques que dans la population générale (enfants compris). Pouvons-nous considérer que ces peurs signent la vacance des mythes ad hoc ? Prenons l’exemple terrible de l’apocalypse nucléaire déclenchée à Hiroshima et Nagasaki. Outre les documentaires et les célébrations internatio- nales du mois d’août ; peut-on dire que l’émergence, dans le cinéma japonais populaire des années soixante, de monstres comme le fameux Godzilla, corres- pondent à la mise en scène post-traumatique de l’explosion nucléaire qui résonne encore dans toutes les mémoires ? S’agit-il plutôt d’une catharsis collective ou de la tentative de mythifier la destruction venant de l’extérieur (alors les États- Unis), chimère inconnue, arme absolue ? Aujourd’hui, ces nouveaux monstres qui font florès au Japon, Digimons, Pokemons, s’allient avec les petits humains, dans une tentative de maîtrise de tout l’univers, qui rejoint nos mythes classiques d’association des hommes aux dieux et demi-dieux. La mort (au sens d’un processus) est souvent exempte de cette mythologie moderne. La mort présentée aux enfants abreuvés de dessins animés japonais télévisés est désintégration instantanée, disparition sans reste, non-événement. Elle constitue pour nous, l’exemple même de cette incapacité à fournir l’explication mythique qui comblerait nos lacunes imaginatives. Cet aveuglement quant à la réalité de l’homme, être bio-psycho-social, mais avant tout, être de chair et de sang, concerne non seulement la finitude de l’individu, mais surtout, la fin de l’espèce et de son environnement. La « mort » de Dieu a précédé ces ultimes sentiments d’abandon chez les occidentaux. Et le XXe siècle est devenu celui de la découverte de la puissance mortifère de l’homme, bien supérieure à celle des dieux de jadis. Cette puissance, passe aussi © L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181) © L?Esprit du temps | Téléchargé le 29/11/2022 sur www.cairn.info via Haute École Léonard de Vinci (IP: 193.190.75.181) 88 ÉTUDES SUR LA MORT bien par la maîtrise des techniques, que par la maîtrise de la reproduction comme de la disparition des espèces (restriction de la biodiversité, atteinte à l’environ- nement). Enfin, last but not least, le pouvoir de l’homme n’a de comptes à rendre qu’à lui-même, son absolutisme confère à uploads/Litterature/ vers-une-mondialisation-des-rites-funeraires.pdf

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