Vide, aude, tace Mots, signes et attouchements dans le contexte chrétien, relig
Vide, aude, tace Mots, signes et attouchements dans le contexte chrétien, religieux et maçonnique 1 G.L.J. LIAGRE Noli me tangere Noli me tangere. « Ne Me touchez pas » . Ce sont là probablement les paroles latines 2 les plus connues de l’Évangile selon saint Jean (Jean 20: 17), initialement écrit en langue grecque. Jésus les adresse à Marie-Madeleine, le matin qui suivit la résurrection. Ce matin-là, elle s’est rendue au tombeau pour oindre le corps du défunt. Sans prononcer un mot, mais avec le signe et l’attouchement qui accompagnent l’onction, elle voulait ainsi rendre un dernier hommage à son maître – ou était-ce se partir de son amant ? À sa grande surprise il est là vivant et marche, 3 mais comme elle ne le reconnaît pas immédiatement, elle pense d’abord à un jardinier, ce qui explique le sarcloir que tient Jésus dans la peinture du début de la Renaissance de Pieve di Cadore Titian (± 1487–1576) . Toutefois, et c’est significatif, 4 le Christ recule et dit « Ne Me touchez pas ». L’ironie veut que tout ce récit est peut- être le résultat d’une erreur de traduction car dans l’Évangile selon saint Matthieu (Matthieu 28: 9), Marie saisit bel et bien ses pieds et se prosterne . Un peu plus loin, 5 dans l’Évangile selon saint Jean (Jean 20: 19-31), Thomas regarde les mains du Christ, mets sa main dans son côté et devient croyant . Dans le texte primitif, grec, on peut 6 lire littéralement µη µου απτου, ce qui peut également signifier « Laissez moi partir » ou « Ne vous cramponnez pas ». Dans cette interprétation de certains exégètes, Jésus dit donc à Marie qu’elle ne doit pas le retenir alors qu’il part pour rejoindre son Père. Dans la Vulgate, version latine de la Bible due à saint Jérôme, on trouve Noli me tangere ; ce que les traducteurs de la version officielle néerlandaise très connue – y compris dans les milieux maçonniques – la Statenvertaling de 1619 [1635], ont repris comme : « Ne Me touchez pas » . 7 Pourquoi cette contribution « Mots », « signes » et « attouchements » combinés figurent non seulement dans ce passage de l‘Évangile selon saint Jean, pour marquer des moments cruciaux et des changements dans l’existence, on trouve cette combinaison également ailleurs dans le canon littéraire judéo-chrétien. Ce dernier a fortement influencé les rituels maçonniques . En 1938 encore, les Grandes Loges d’Écosse, d’Angleterre et 8 d’Irlande ont signé une charte dans laquelle elles rappellent : « La Bible, à laquelle les francs-maçons se réfèrent comme le Volume de la Loi sacrée, restr toujours ouverte pour les travaux en loge. Tout candidat est tenu de prêter serment sur ce Livre, ou sur le Volume qui, dans sa foi particulière, est censé conférer un caractère sacré aux serments ou aux promesses prononcés dessus. » De surcroît : ! 1 « Quelles que soient les autres dispositions prises pour rencontrer les autres religions des membres et des candidats, la Bible devra toujours rester ouverte pour les travaux en loge, en tant que Volume sacré de la Constitution concernée. » 9 Si dans certains milieux du monde anglo-saxon, la Bible perd son statut sacré de réservoir d’identité morale au cours du XVIIIe siècle, ainsi que dans l’Europe continentale protestante, en raison de l’apparition de la critique biblique, la valeur de référence des textes bibliques religieux et chrétiens reste intacte et sacro-sainte pour de très nombreux maçons jusqu’au XIXe siècle. Pourtant, la querelle portant sur le contenu chrétien œcuménique des rituels maçonniques éclate déjà dans le monde anglo-saxon avec la fondation de la Grande Loge des Antients en 1751. Le problème apparaît également au début du XIXe siècle, à propos du débat qui entoure la déchristianisation du rituel de l’Arche Royale – le fameux grade dont les Anglais disent que la franc-maçonnerie est composée de trois grades « y compris l’Arche Royale » . Malgré cela et jusqu’aujourd’hui, nombreuses sont les références aux 10 personnages et aux récits bibliques dont témoignent les rituels maçonniques et les concordances maçonniques bibliques . La tradition maçonnique les complète 11 ensuite avec des légendes parabibliques qui brodent et étendent la compilation de l’antique album des récits de Dieu en y intégrant des leçons symboliques et morales . Presque tous les personnages bibliques importants, et aussi les lieux, 12 figurent quelque part dans une citation ou dans une légende rappelée dans un des rituels maçonniques . Il est frappant de constater qu’à ces occasions c’est toujours 13 la bible protestante qu’on invoque comme base ou texte de référence. Les renvois aux livres dits deutérocanoniques sont bien plus rares. On trouve ces derniers dans les traductions catholiques, mais pas dans les versions protestantes . 14 La première partie du présent exposé illustre, grâce à quelques exemples, l’utilisation de la triade « mots, signes et attouchements » dans la Bible, à savoir dans le contexte protestant et anglican qui a modelé la franc-maçonnerie écossaise et anglaise, mais aussi dans le canon juif hébraïque (Premier ou Ancien Testament) et dans sa seconde partie, autrement dit dans le Nouveau Testament . En effet, en Angleterre et dans 15 les Provinces Unies, les ressortissants juifs peuvent fréquenter les ateliers maçonniques dès le début, contrairement à ce qui se passe dans certaines régions non protestantes. Le canon judéo-chrétien constitue à cet égard le point de référence indiscutable. Le lecteur critique pourrait faire remarquer que le miroir historique qu’on lui montre est typiquement occidental et même religieux et chrétien . 16 Il paraît cependant évident, pour les raisons énoncées ci-avant, de cantonner la collecte des matériaux destinés au présent exposé dans la tradition biblique, même si d’autres parallélismes phénoménologiques et religieux existent . La franc- 17 maçonnerie puise en effet ses rituels dans un réservoir moral identitaire inspiré par la Bible. On en trouve des traces dans tous les systèmes maçonniques : le Rite Écossais Rectifié (RER) ; le Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) ; l’Émulation ; le Rite suédois ; le Rite de Swedenborg et même dans le Rite français qui a pourtant subi une forte sécularisation. Ailleurs encore, l’influence biblique sur les travaux est tout aussi apparente : dans le Royal Order of Scotland ; de Royal Arch ; le grade des Rose- Croix ; chez les Royal Ark Mariners ; les Knights Templar et les Knights of Malta ; à la Red Cross of Constantine ; pour les Knight Templar Priests ; les Royal and Select Masters, etc. 18 Structure de l’exposé ! 2 Tout cela ne signifie pas pour autant que tous sont immédiatement et toujours d’accord sur l’interprétation des récits bibliques et de leur portée dans les rituels. Les interprétations elles-mêmes sont également source de controverses. L’impact de la Bible sur l’histoire de la pensée et des mentalités maçonniques et sur ses rituels est dès lors irréfragable. Ce constat suffit ici. Pour commencer, nous tenterons de débusquer, par une analyse littéraire, quelques récits exemplifiant la combinaison littéraire biblique des « mots, signes et attouchements ». Force est de constater que cette combinaison ne constitue pas une exception dans les récits bibliques. La collocation renvoie toujours à un moment de transition, à un « rite de passage » dans lequel « avant », « pendant » et « après » sont plus ou moins clairement distincts. Le tournant qui s’opère ainsi dans la vie des protagonistes ou la nouvelle mission qui leur est confiée confèrent au récit une fin ouverte. C’est de la sorte que les « mots, signes et attouchements » s’inscrivent dans un schéma littéraire biblique doté d’un potentiel d’action explicite, ce qui est également le cas dans les rituels maçonniques. Dans un deuxième volet qui fait suite à la première partie narrative et descriptive, nous explorerons la portée profonde et les similitudes de ces récits bibliques. Non pas pour des motifs théologiques, mais parce que nous sommes convaincus que ces récits, malgré leur caractère disparate (Bible vient de biblia – en d’autres mots « livres » au pluriel) présentent au contraire une cohérence littéraire qu’il est possible de mettre en évidence. La troisième partie de l’exposé fait la part belle à la théorie. Les francs-maçons se reconnaissent entre eux par des mots, des signes et des attouchements. Ceux-ci sont une partie intégrante des indications scéniques de tout rituel d’initiation, de promotion et d’élévation. Dans la franc-maçonnerie continentale, on y ajoute parfois l’ancienne coutume du signe de détresse. L’exécution de ce geste est accompagnée des mots traditionnels : « À moi, à moi, enfants de la veuve ». Nous ne sommes guère conscients à quel point le formalisme des rites de transition a pétri l’imagination et l’action maçonniques par le biais de structures littéraires bibliques sous-jacentes. L’exposé se termine par un résumé et quelques conclusions d’ordre général. Luther et la franc-maçonnerie Avant de passer à l’analyse biblique, faisons un crochet par le réformateur protestant Martin Luther (1483-1546). Pour lui, la vie de l’homme s’inscrit entre deux repères : le crepusculum matudinum et le uploads/Litterature/ vide-aude-tace-mots-signes-et-attoucheme.pdf
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- Publié le Aoû 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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