COMPTES RENDUS René Guénon Comptes rendus de livres parus de 1929 à 1950 dans «
COMPTES RENDUS René Guénon Comptes rendus de livres parus de 1929 à 1950 dans « Le Voile d’Isis », devenu « Études Traditionnelles » en 1937. 1932 Octobre Cesare della Riviera. Il Mondo Magico degli Heroi ; reproduction modernisée du texte de 1605, avec introduction et notes de J. Evola. (G. Laterza e Figli, Bari). — Ce traité hermétique, tout en étant loin d’être réellement aussi explicite et dépouillé d’énigmes que l’auteur veut bien le dire, est sans doute un de ceux qui montrent le plus nettement que le « Grand Œuvre », qu’il représente symboliquement comme la conquête de l’« Arbre de Vie », ne doit point être entendu au sens matériel que les pseudo-alchimistes ont voulu lui donner ; le véritable hermétisme y est à chaque instant opposé à ses déformations ou à ses contrefaçons. Certains des procédés d’explication qui y sont employés sont vraiment curieux, notamment celui qui consiste, pour interpréter un mot, à le décomposer en lettres ou en syllabes qui seront le commencement d’autant d’autres mots dont l’ensemble formera une définition ; ce procédé peut sembler ici un pur artifice, mais il imite celui qui est en usage pour certaines langues sacrées. L’introduction et les notes sont aussi dignes d’intérêt mais appellent parfois quelques réserves : M. Evola a été visiblement séduit par l’assimilation de l’hermétisme à la « magie », entendue ici en un sens très éloigné de celui qu’elle a d’ordinaire, et par celle de l’Adepte au « Héros », où il a cru trouver quelque chose de semblable à ses propres conceptions, ce qui l’a entraîné à des interprétations quelque peu tendancieuses ; et, d’autre part, il est à regretter qu’il n’ait pas insisté plus qu’il ne l’a fait sur ce qui se rapporte au « Centre du Monde », et qui nous paraît tout à fait essentiel, étant en quelque sorte la clef de tout le reste. Enfin, au lieu de « moderniser » le texte comme on a cru devoir le faire, peut être eût-il mieux valu le reproduire tel quel, quitte à expliquer les mots ou les tournures dont l’archaïsme pouvait rendre la compréhension difficile. 1933 Avril Georges Méautis. L’Ame hellénique d’après les vases grecs. (L’Artisan du Livre, Paris). — Cet ouvrage, fort bien illustré de nombreuses reproductions, part d’une excellente intention, celle de « dissiper certaines équivoques concernant la mythologie grecque » et de montrer « la gravité et le sérieux de certains mythes » ; jusqu’à quel point l’auteur y a-t-il réussi ? Le point de vue à peu près exclusivement « psychologique » dans lequel il se renferme n’est guère propre à faire apparaître un sens vraiment profond ; et, en fait, ce qu’il appelle la « valeur émotive » des vases grecs, et à quoi il consacre toute la première partie de son travail, n’aide guère à la compréhension de quoi que ce soit : nous n’y trouvons pas l’explication du moindre symbole. D’ailleurs, il nous paraît bien douteux que la « religion » qui n’avait pas le 2 même sens pour les anciens que pour les modernes, ait été chez eux quelque chose d’aussi sentimental ; les psychologues ont malheureusement l’habitude d’attribuer aux hommes de tous les temps et de tous les pays, assez gratuitement, leurs propres façons de penser et de sentir... La seconde partie, où sont étudiées les lois de la composition des peintures de vases, est plus intéressante à notre avis, quoique les considérations qu’elle contient ne dépassent pas le domaine « esthétique » ; il eût fallu, pour aller plus loin, rattacher ces lois à la science traditionnelle des formes et des nombres, dont elles sont manifestement dérivées. Enfin, dans une troisième partie, l’auteur, à propos d’un vase grec de Palerme, envisage la question de « l’Orphisme dans les Mystères d’Eleusis » ; il critique très justement l’incompréhension de certains « savants » modernes au sujet des Mystères, mais lui- même, tout en reconnaissant que « ce n’étaient pas des sermons ou des prêches », semble surtout préoccupé d’y trouver un enseignement théorique, voire même « moral », bien plutôt que l’initiation qu’ils étaient vraiment, et qui devait par ses rites, mettre l’être dans un état lui permettant de prendre directement conscience de certaines réalités. Où nous sommes tout à fait de son avis, c’est lorsqu’il proteste contre l’habitude qu’on a de rapporter la civilisation grecque tout entière à la seule période « classique » ; nous pensons même que les époques antérieures, si elles pouvaient être mieux connues, seraient beaucoup plus dignes d’intérêt à bien des égards, et qu’il y a là une différence assez comparable à celle qui sépare le moyen âge des temps modernes. A. Savoret. Du Menhir à la Croix, essais sur la triple tradition de l’Occident. (Éditions Psyché, Paris). — Ceci n’est pas un livre à proprement parler, mais plutôt un recueil d’études quelque peu hétéroclites, et qui semblent avoir été rassemblées assez hâtivement, car l’auteur n’a pas même pris le soin de leur donner la forme d’un tout cohérent, si bien que, dans le volume lui-même, tel chapitre se trouve qualifié d’« article », tel autre de « brochure » ! En fait, la plupart de ces études avaient été publiées précédemment dans la revue Psyché, et nous avons eu déjà l’occasion de parler de quelques-unes d’entre elles, et c’est donc sans surprise que nous avons retrouvé là tous les préjugés « occidentaux » que nous avions constatés alors ; l’auteur se défend bien de vouloir attaquer l’Orient, mais comme il l’oppose de parti pris à l’Occident, et comme il met celui-ci au-dessus de tout, la conclusion se déduit d’elle-même... Une bonne partie du volume est remplie par des considérations linguistiques de la plus étonnante fantaisie, dont la présence nous semble se justifier ainsi : le Druidisme étant réuni au Judaïsme et au Christianisme pour former ce qu’il plaît à l’auteur d’appeler la « triple tradition de l’Occident » (pourquoi la tradition gréco-latine en est-elle exclue ?). il s’agit de trouver. tant bien que mal, des rapprochements entre l’hébreu et les langues celtiques ; et effectivement, en récoltant des mots au petit bonheur dans les lexiques des langues les plus variées, on peut trouver à peu près tout ce qu’on veut, surtout si l’on se fie à des transcriptions plus qu’arbitraires (la lettre aïn, par exemple, n’a absolument aucun rapport avec un w). N’insistons pas davantage, mais remarquons seulement combien il est curieux que tous ces « occidentalistes » éprouvent le besoin de se livrer aux pires extravagances philologiques ; quelle peut bien être l’explication 3 de ce bizarre phénomène ? 1934 Février Marcelle Weissen-Szumlanska (Mme M. Georges Vicrey). L’Ame archaïque de l’Afrique du Nord. (Nouvelles Éditions Latines, Paris). — L’étude des monuments préhistoriques d’Algérie est ici surtout un prétexte à une sorte de fantaisie plus ou moins littéraire sur les migrations supposées des peuples celtiques, inspirée en grande partie de Fabre d’Olivet. Il est beaucoup question là-dedans d’une certaine « initiation solaire », qualifiée aussi de « spiritualiste », et dans laquelle la « peinture à l’ocre rouge » semble jouer un rôle considérable. Cette initiation serait venue de l’Atlantide, qui aurait été le pays d’origine de ces peuples, qualifiés cependant en même temps de « nordiques » ou de « boréens » ; nous avons eu déjà l’occasion de relever d’autres exemples de cette étonnante confusion. L’attribution des monuments mégalithiques aux « Gaèls » est plus qu’hypothétique ; et l’histoire de leur retour de l’Inde vers l’Ouest, à la recherche de leur patrie perdue, n’a même pas une ombre de vraisemblance. Il est à peine besoin d’ajouter, après cela, que les tendances de ce livre sont d’un « occidentalisme » assez agressif ; et là est sans doute la principale raison de sa publication. Philippe Guiberteau. Musique et Incarnation. (Cahiers de la Quinzaine, Paris). — Il nous serait d’autant plus difficile de ne pas approuver les intentions de l’auteur, et les principes sur lesquels il entend s’appuyer, qu’il a placé en tête de son étude une épigraphe tirée du Symbolisme de la Croix, et concernant la « loi de correspondance » envisagée comme fondement du symbolisme. Il est seulement regrettable que la « matière » à laquelle il applique ces principes ne soit pas parfaitement adéquate : les écrivains modernes, faute de données traditionnelles, alors qu’ils croient faire du symbolisme, ne font bien souvent en réalité que de la fantaisie individuelle. Nous pensons qu’on peut dire sans injustice que tel est, entre autres, le cas de Paul Claudel, dont le Soulier de satin est étudié ici : son allégorisme géographique, assez arbitraire, ne rappelle que de fort loin la « géographie sacrée » à laquelle nous avons parfois fait allusion ; et, quand il considère les eaux comme « signifiant l’Esprit de Dieu », il se met en contradiction avec le symbolisme commun à toutes les traditions, d’une façon d’autant plus étonnante qu’il suffit de relire le début de la Genèse pour s’en apercevoir immédiatement : si « l’Esprit de Dieu était uploads/Litterature/ 1986-rene-guenon-comptes-rendus.pdf
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- Publié le Apv 13, 2022
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