Voltaire : « Un serpent piqua Jean Fréron » La paternité du mot folliculaire es

Voltaire : « Un serpent piqua Jean Fréron » La paternité du mot folliculaire est attribuée à Voltaire. Voici ce qu’en dit le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) : FOLLICULAIRE2, subst. masc. Vieilli, péj. Journaliste sans talent et sans scrupules. Les écrivassiers, les vils folliculaires que poursuit le présent projet de loi ne se découragèrent point (CHATEAUBR., De lib. presse, 1822-28, p. 168). Tous les journaux, c’est des menteries. Oui, des menteries! hurla-t-il dans son fausset le plus aigu, et les journalistes sont des brigands, des folliculaires (MURGER, Scènes vie boh., 1851, p. 35) : Vaugoubert n’a pas eu à faire face seulement aux intrigues de couloirs mais aux injures de folli- culaires à gages qui plus tard, lâches comme l’est tout journaliste stipendié, ont été des premiers à demander l’aman, mais qui en attendant n’ont pas reculé à faire état, contre notre représentant, des ineptes accusations de gens sans aveu. PROUST, J. filles en fleurs, 1918, p. 461. Prononc. : [fɔliky:lɛ:ʀ]. Cf. follicule1. Étymol. et Hist. 1759 (VOLTAIRE, Candide, 21 ds LITTRÉ). Dér. de follicule2*; suff. -aire*. L’auteur de la notice s’est contenté de la caution de Littré pour la datation, ce qui — sur le plan de la méthode — prête le flanc à la critique. Le passage donné en référence se trouve au chapitre XXII, Ce qui arriva en France à Candide et à Martin : Quel eſt, dit Candide, ce gros cochon qui me diſait tant de mal de la pièce où j’ai tant pleuré, et des acteurs qui m’ont fait tant de plaiſir ? C’est un mal-vivant, répondit l’abbé, qui gagne ſa vie à dire du mal de toutes les pièces et de tous les livres ; il hait quiconque réuſſit, comme les eunuques haïſſent les jouïſſants ; c’eſt un de ces ſerpents de la littérature qui se nourriſſent de fange et de venin ; c’est un folliculaire. Qu’appelez-vous folliculaire ? dit Candide. C’eſt, dit l’abbé, un feſeur de feuilles, un F…. C’eſt ainsi que Candide, Martin & le Périgourdin raiſonnaient ſur l’eſcalier, en voyant défiler le monde au ſortir de la piéce. […] REMARQUES —  Voltaire a innové en écrivant diſait pour diſoit, raiſonnaient pour raiſonnoient, graphie conforme à la prononciation (francienne, « parisienne ») ; il a fait de même en risquant feſeur pour faiſeur, bienfeſance pour bienfaiſance (et certaines formes fléchies de faire : quand il fesait des contes, en fesant la révérence, les deux rois fesaient chanter des Te Deum, etc.), mais là il n’a guère été suivi.  les jouïſſants est un bel exemple de participe présent substantivé.  Aussi bien partisans qu’adversaires de l’écrivain identifiaient F[réron] sans qu’il fût besoin d’être plus explicite. « Ce chapitre XXII a été beaucoup augmenté en 1761, » explique Beuchot : en effet, de « folli- culaire » nulle mention en 1759. C’est la correspondance de Voltaire qui fournit la 1re attestation du mot, dans une lettre datée du 10 août 1760, adressée au comte d’Argental (« Un folliculaire qui fait la feuille inti- tulée l’Avant-Coureur, nommé Jonval [Pierre Cabanis-Jonval] »). Autre occurrence dans une lettre du 23 décembre 1760 adressée à M. [Francesco] Albergati Capacelli, Sénateur de Bologne (et ami de Goldoni) : « Et, dans ces belles querelles, les partis ſe cantonnent, les factions ſe heurtent, chaque parti a pour lui un folliculaire [glosé en note : feſeur de feuilles]. Maître Aliboron [Fréron], par exemple, eſt le folliculaire de M. de l’Empyrée [Le Franc de Pompignan] ; ce maître Aliboron ne manque pas de décrier tous ſes cama- rades folliculaires, pour mieux débiter ſes feuilles. » De folliculaire, notre auteur tirera follicule (lettre de juin 1770 à Jacques Lacombe (1724- 1811), avocat et libraire, auteur du Dictionnaire portatif des beaux-arts, 1752) : « Je vous remercie, mon cher monſieur, de la Gazette littéraire et de la lettre de M. de Fontanelle, et d’avoir purgé votre librairie des follicules de ce maraud de maître Aliboron. Vous imprimez le Suétone au lieu de l’Âne littéraire [l’Année littéraire, de Fréron] ; c’est mettre un diamant à la place de la boue. » Le mot a été tiré du latin follĭcŭlus, diminutif de follis « sac, soufflet (pour le feu), bourse de cuir, ballon » qui n’a aucun rapport avec fŏlĭum « feuille », contrairement à ce que croyait Voltaire.  Épigramme imitée de l’Anthologie L’autre jour, au fond d’un vallon, Un ſerpent piqua Jean Fréron. Que penſez-vous qu’il arriva ? Ce fut le ſerpent qui creva. Satires, 1762 Tel est le texte publié dans l’édition Beuchot, tome XIV, Poésies, tome III (1833), CCXLIX, p. 440 = édition Moland, tome X, Contes en vers - Satires - Épîtres - Poésies mêlées (1877), no231, p. 568 = édition de Kehl, tome XIV, p. 349 (cf. Bengesco, p. 303, no1075). La première version diffusée était fautive, comme on peut le voir dans le recueil de « nouvelles à la main » intitulé Mémoires secrets et attribué à Louis Petit de Bachaumont (1690-1771), mais qui devrait beaucoup à Mathieu-François Pidansat de Mairobert (1707- 1779), ami de Restif de la Bretonne ; une équipe du CNRS prépare une édition critique des Mémoires. On remarquera « Savez-vous ce qu’il arriva ? » [au lieu de : ce qui] *** Fréron nargua le satiriste en faisant remarquer que l’épigramme existait depuis belle lurette, sous la forme : Un gros ſerpent mordit Aurèle : Que croyez-vous qu’il arriva ? Qu’Aurèle en mourut ? Bagatelle ! Ce fut le ſerpent qui creva. Antoine-Augustin Bruzen de La Martinière (1683-1746) est l’auteur de ce dernier qua- train. De toute façon, il s’agissait d’une adaptation. Le texte original est cité par Constantin VII Porphyrogénète dans Περὶ τῶν θεμάτων (De Thematibus, sur l’origine et l’évolution des régions militaires impériales) ; l’épigramme, une des quatre attribuées à Démodocos de Léros (qui portait tellement dans son cœur les habitants de Cappadoce qu’à partir de φαῦλος il forgea φαυλεπιφαυλότατοι pour les qualifier), se trouve dans l’Anthologie palatine, XI, 237 : Καππαδόκην ποτ’ ἔχιδνα κακὴ δάκεν· ἀλλὰ καὶ αὐτὴ κάτθανε, γευσαμένη αἵματος ἰοϐόλου. « Un méchant serpent mordit un jour un homme de Cappadoce ; mais lui-même mourut d’avoir goûté ce sang empoisonné » [traduction maison] Le distique avait été traduit en latin dès 1520 par Sir Thomas More : In Cappadocem uirulentum. E græco Vipera Cappadocem mordens mala, protinus hausto Tabifico periit sanguine Cappadocis. On retrouve le thème exploité chez Goldsmith, au chapitre XVII du Vicar of Wakefield (1766), où le fils cadet du narrateur entonne la chanson intitulée An Elegy on the Death of a Mad Dog (élégie sur la mort d’un chien enragé), dont le texte est du romancier lui-même ; le dernier vers est devenu proverbial : Good people all, of every ſort, Give ear unto my ſong, And if you find it wond’rous ſhort, It cannot hold you long. In Iſling town* there was a man, * [devenu maintenant Islington] Of whom the world might ſay, That ſtill a godly race he ran, Whene’er he went to pray. A kind and gentle heart he had, To comfort friends and foes; The naked every day he clad When he put on his cloaths. And in that town a dog was found, As many dogs there be, Both mungrel, puppy, whelp, and hound, And curs of low degree. This dog and man at firſt were friends; But when a pique began, The dog, to gain ſome private ends, Went mad and bit the man. Around from all the neighbouring ſtreets, The wondering neighbours ran, And ſwore the dog had loſt his wits, To bite ſo good a man. The wound it ſeem’d both ſore and ſad To every Chriſtian eye; And while they ſwore the dog was mad, They ſwore the man would die. But ſoon a wonder came to light, That shew’d the rogues they lied; The man recovered of the bite, The dog it was that dy’d. Toujours d’après Démodocos, un quatrain de Lessing (1729-1781), publié dans les „Sinn- gedichte“ (épigrammes), en 1753 : Auf den Fell „Als Fell, der Geiferer, auf dumpfes Heu ſich ſtreckte, Stach ihn ein Skorpion. Was meint ihr, daß geſchah ! Fell ſtarb am Stich ? – Ei ja doch, ja ! Der Skorpion verreckte.“ (À propos de Fell) (Alors que Fell, langue de vipère, était couché dans du foin étouffant, Un scorpion le piqua. Qu’arriva-t-il, à votre avis ? Que Fell mourut de la piqûre ? — Allons donc ! Ce fut le scorpion qui creva.) [traduction maison] Il est tentant de rapprocher ce Fell et son homonyme immortalisé par I do not love thee, Dr Fell, The reaſon why I cannot tell ; But this I know, and know full well, I do not love thee, Dr Fell dont le héros serait le Dr. John Fell (1625–1686), pasteur, doyen de Christ Church, puis évêque (anglican) d’Oxford ; attribués à Tom Brown (1663-1704), les quatre vers sont une adaptation de Martial (I, 33, 1) : Non amo te, Sabidi, nec possum dicere quare ; Hoc tantum possum uploads/Litterature/ voltaire-un-serpent-piqua-jean-freron.pdf

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