1 2 ANDRE WAUTIER DE LA CRÉATION À LA FIN DU MONDE SELON LA CABBALE Essai d'une
1 2 ANDRE WAUTIER DE LA CRÉATION À LA FIN DU MONDE SELON LA CABBALE Essai d'une approche rationnelle de la Tradition judaïque Éditions GANESHA Peinture Yves Dussault © Éditions Ganesha Inc., Montréal tous droits réservés pour tous les pays. Dépôt légal, 1er trimestre 1989 Bibliothèque nationale du Québec 3 Chapitre premier LES ORIGINES DE LA CABBALE Avant de parler de la Cabbale, il importe tout d'abord de bien préciser ce qu'elle est, car il circule pas mal d'idées fausses à son sujet. Et, pour commencer, il y a lieu de remarquer que le mot même qui désigne cette gnose particulière au judaïsme est souvent orthographié de différentes façons: avec un seul b ou avec deux, et avec, à l'ini- tiale, soit un C, soit un K, soit même parfois un Q. L'orthographe "cabale", bien que tout à fait cor- recte, est cependant à rejeter, car, écrit de cette façon, le mot a pris, en français contemporain, un autre sens, d'ailleurs péjoratif. "Qabale" et "qabbale" ne sont pas recommandables non plus, car en français, la lettre q est toujours, sauf seulement à la fin d'un mot, suivie d'un u. Comme, en notre langue, le q et le c sont équivalents, il reste les orthographes "Cabbale", "Kabale" et "Kabbale". Le C ou le Q sont la transcription normale de la lettre sémitique câf ou cof (et de l'antique lettre grecque coppa, disparue de la langue classique), le K celle de la lettre hébraïque kaf (à laquelle correspond le kappa grec). En hébreu, cabalah veut dire tradition et kébel veut dire chaîne, ce qui revient donc à peu près au même, puisqu'une chaîne est une très bonne allégorie pour figurer une tradition: on peut donc estimer indiffé- rent, comme je l'ai un jour entendu dire par un conférencier, de mettre à l'initiale un C ou un K. Mais il est en tous cas préférable, pour les raisons vues plus haut, de redoubler le b. Les cabbalistiques juifs eux-mêmes toutefois préfèrent le premier sens, car le concept de tradition n'implique pas seulement la notion de transmission, mais encore de quelque chose que l'on reçoit. Si la plupart d'entre eux écrivent néanmoins Kabbale avec un K, c'est qu'ils transcrivent souvent, à l'allemande, indifféremment — et assez inconséquemment, il faut bien le dire — par un K tant le cof hébreu que le kaf... Cependant, comme c'est du mot hébreu cabalah que sont tirés les mots français "cabale" et "cabbale", et non de kébel, on préférera donc écrire Cabbale avec un C à l'initiale. Qu'est-ce qui est ainsi reçu et transmis? C'est la Sagesse d'En-Haut, la Sagesse secrète, nous dit l'émi- nent cabbaliste juif contemporain Adolphe D. Grad1. Et il poursuit: "Cette tradition court le long d'une chaîne initiatique qui remonte aux Patriarches d'Israël et même à Adam." Elle remonterait même, se- lon d'aucuns, à la création du monde. Car l'un des éléments essentiels sur lesquels se fondent les doc- trines gnostiques — auxquelles se rattache la Cabbale — est l'opposition entre la lumière et l'obscurité, considérées comme antagonistes l'une à l'autre. Or, dès le début de la Genèse, qui est un des livres principaux de la Bible pour la Cabbale (les deux autres étant Ézéchiel et le Cantique des Cantiques), les Élohim créent la lumière, et ils la créent au moyen de la parole, de leur davar (qui est à peu près, dans la philosophie juive, l'équivalent du logos grec): "Que lumière il y ait! " disent les Élohim, et la lumière apparaît; puis, ils la séparent des ténèbres. Pour certains cabbalistes, c'est même la lumière qui, émanation de la Divinité, est son souffle, rouach, dont il est écrit que, dans les débuts, avant que la Terre n'ait pris forme, il "se mouvait sur la face des eaux"2. Toutes choses ont en tout cas été or- ganisées à partir de ces principes pour les mécoubalim, les praticiens de la Cabbale, en particulier la lettre iod, origine de tout l'alphabet, lequel joue, on le verra, un rôle capital dans leur gnoséologie. Si l'on ôte, en effet, du mot hébreu awir, qui veut dire l'éther, la lettre iod, il reste aor, la lumière...3 Cependant, pour d'autres, c'est la lettre hé qui est la plus éminente, car c'est grâce à elle que le mot élim, les dieux, devient, quand on la place au centre de celui-ci, Élohim, le nom du Principe créateur du monde4. La Gnose hébraïque serait donc, pour la plupart des mécoubalim eux-mêmes, bien antérieure au rabbi galiléen Syméon Bar lochaï, l'auteur présumé du Sepher ha-Zohar (Livre de la Splendeur ou de la Clarté), le plus ancien et le plus important des livres cabbalistiques. Bar lochaï n'aurait fait, en réalité, 1 "Pour comprendre la Kabbale" (Dervy, Paris, 3e éd., 1978, p. 20; "Initiation à la Kabbale hébraïque" (Rocher, Monaco, 1982), p. 14. 2 Genèse I, 2. On traduit souvent "l'esprit de Dieu planait (ou voletait) sur les eaux", mais pareille traduction est exagérément "spiritualiste", car rouach veut d'abord dire souffle ou vent. 3 V. aussi plus loin, pp. 43, 45, 46 et 48. 4 Zohar, Midrash Hanéalam, 2 d. V. aussi A.D. GRAD, "Les Clefs secrètes d'Israël" (Laffont, Paris, 1973), pp. 147-153. 4 que recueillir et que compiler dans ce livre un ensemble de traditions millénaires, que Moïse aurait reçues de Jéhovah lui-même au Sinaï, mais qui remonteraient à bien avant lui, qu'il transmit à ses suc- cesseurs et que ceux-ci transmirent à leur tour5. Par ailleurs, le nom même des mécoubalim, de ceux qui sont dépositaires de cette tradition, étant une forme grammaticalement passive, indique que ceux qui en bénéficient ne la "reçoivent" pas réellement, mais qu'ils "sont reçus" par ceux qui la détiennent déjà. Les véritables mécoubalim sont donc et ont toujours été fort peu nombreux. D'après le Zohar d'ailleurs, il faudrait distinguer entre les premières tables de la Loi et les secondes, apportées successivement par Moïse du Sinaï au peuple d'Israël, les premières ayant été brisées. Ces premières tables émanaient de l'arbre de vie du paradis d'Éden, mais Israël, ayant adoré le veau d'or en l'absence de Moïse, en fut jugé indigne. Aussi Moïse ne lui remit-il que les secondes, "qui étaient du côté de l'arbre de la connaissance du bien et du mal"; la chokma (sagesse) de Dieu n'y est plus pure- ment manifestée, mais elle y est exprimée seulement par sa binah (intelligence). C'est la première de ces deux Lois que prétend transmettre la Cabbale6. De même, dans l'Exode (III, 14-15), Dieu, après avoir affirmé à Moïse: "Je serai ce que je serai" (Éhiéh asher éhiéh), se donne à lui-même deux noms: Éhiéh (aleph- hé-iod-hé) et l'hoah (iod-hé-wav- hé, que l'on transcrit en_ français de diverses façons, la plus courante étant Jéhovah). C'est sous ce dernier nom que Dieu désira être connu, et cependant la tradition judaïque veut qu'on ne le prononce jamais. Quant au premier, il n'est quasiment pas usité. Il semble que la Torah soit la Loi de Jéhovah, tandis que la Cabalah serait l'enseignement d'Ehiéh, la voie qui doit conduire à l'Être. II y a enfin de bonnes raisons de croire que les mécoubalim actuels ne sont autres que des continua- teurs des esséniens, en particulier d'une des branches de cette secte: les thérapeutes. Ces esséniens étaient issus d'un groupe de juifs pieux, les "assidéens", apparu en Judée à l'époque des Macchabées7 et d'où proviennent également les messianistes et les pharisiens. Mais ces derniers se consacraient exclusivement à l'étude de la Torah, de la Loi mosaïque (c'est à eux qu'on devra plus tard le Talmud), tandis que comme le faisaient aussi certains messianistes, les esséniens — qui se dénom- maient eux-mêmes les Saints du Très-Haut (les noms d' "esséniens", "esséens", "osséens", etc., leur ont été donnés par ceux des auteurs de langue grecque qui en ont parlé) — étudiaient aussi des livres que l'on qualifie d'intertestamentaires parce qu'ils se placent chronologiquement entre ceux qui ont été rangés par les chrétiens respectivement dans l'Ancien et dans le Nouveau Testaments : Livre des Jubi- lés, Oracles sibyllins, Hénoch, etc... À l'origine de la secte essénienne, il y a donc un petit groupe d'as- sidéens, "les Saints du Très-haut", expression reprise à Daniel (VII, 19 et 27) et que l'on retrouve dans le Sepher ha-Zohar, dont les croyances subirent l'influence tout d'abord de la gnose iranienne: à celle- ci ils reprirent surtout la conception du combat perpétuel entre la lumière et l'obscurité, à laquelle il a déjà été fait allusion, et celle de l'embrasement final de l'univers. Puis celles du pythagorisme, des gymnosophistes (égyptiens et hindous) et du bouddhisme. Des hindous ils adoptèrent notamment la croyance en la réincarnation et du bouddhisme la constitution de communautés monastiques ne grou- pant que des célibataires et des veufs. La plupart d'entre eux croyaient aussi à la résurrection de la chair, dans un corps "purifié" ou "sancti- fié", et au jugement dernier, les âmes de ceux qui devaient être sauvés reposant, en attendant, en un séjour lumineux analogue aux Iles Fortunées des mythologies celtique, grecque et chinoise. Leur dua- lisme les portera à uploads/Litterature/ wautier-andre-de-la-creation-a-la-fin-du-monde-selon-la-cabbale.pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jui 13, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 1.4313MB