BEI 2 (1984): 213-279 Michael WITZEL (Institut Kern, Leiden) Sur le chemin du c

BEI 2 (1984): 213-279 Michael WITZEL (Institut Kern, Leiden) Sur le chemin du ciel Conférence présentée le 16 décembre 1983* (organisée avec l'aide de l'ERA 94 du CNRS) II y a presque quatre-vingt-dix ans qu'un certain Fritz Bonsens (alias Alfred Hillebrandt), dans un pamphlet intitulé Die Götter des gveda. Eine euhemeristische Skizze1 a attaqué la méthode d'explication de la mythologie du Veda par une "mythologie de la nature", méthode inaugurée par M. Mülller, Roth, Kuhn, Bergaigne, Bloomfield et ... Hillebrandt. Bonsens commence donc par : "Indra war einst ein grosser Råjan wie es auch heute noch Råjans in Indien giebt' et en arrive à dire : "Le gveda ne connaît pas de phénomènes naturels devenus dieux, il ne connaît que des hommes". ("Wir gelangen zu einem neuen gesunden System der vedischen Götterlehre : Der RV kennt keine zu Göttern gewordenen Naturerscheinungen ; er kennt nur Menschen".)2 Depuis lors, d'autres méthodes dans 1'interprétation de la mythologie védique se sont développées,3 notamment la méthode 1 Cet essai, paru xà Breslau en 1894, était en fait dirigé contre l'interprétation "médiévale" du RV par Pischel et Geldner, dans leurs Vedische Studien I-III (Stuttgart, 1889-1892). 2 Point de vue en faveur dans l'Inde contemporaine, semble-t-il : voir le compte-rendu d'un ouvrage de cette tendance par W. Rau, IIJ 21, 1979, p. 281 ; et Proceedings of the 31th International Congress of Human Sciences in Asia and North Africa. Tokyo-Kyoto (éd. T. Yamamoto, Tokyo, 1984), p. 534. 3 A peu près parallèlement aux théories des ethnologues, qui ont parfois suivi les idées des indianistes (au 19e siècle) ou des linguistes (au 20e siècle). structurale. Cependant, je pense qu'on n'a pas encore < 214 > bien observé le statut du ciel nocturne dans cette mythologie ; F.B.J. Kuiper fait exception.4 Dans les pages qui suivent, je tenterai de présenter quelques aspects de cette mythologie, et j'espère qu'il en résultera ni une "esquisse evhémériste", ni une nouvelle "mythologie de la nature".5 I Nous savons que le ciel est le domaine des dieux védiques et que les hommes espèrent aller au ciel (pour une période bien circonscrite).6 Le ciel, c'est dyáu : le ciel du jour illuminé par le soleil (srya-); il est aussi appelé svàr "lumière, soleil" ou svargá- loká- "le monde brillant", ainsi qu'on traduit habituellement. Il est bien connu que les Indiens gvédiques attachaient beaucoup d'importance à certains phénomènes célestes majeurs7: le lever du soleil, précédé de l'aurore (uás-), et la marche de la lune à tra- vers les constellations (nákatra-), et aussi le passage des mois et des saisons (tú-) d'une année. L'importance de la 4 Voir notamment son livre Varua and Vidūaka, Amsterdam, 1979, pp. 1-64 passim, - et ses articles rassemblés dans Ancient Indian Cosmogony (éd. J. Irwin), Delhi, 1983 ; ces deux titres sont abrégés ci- après en VaV et AIC respectivement. 5 "But then, does not a subjective one-sideness often seem to be a necessary precondition for arriving at new ideas? And should we not acquiesce in this as a necessary part of the måyå in which we live ?" (Kuiper, AIC, p. 27). 6 Sur la vie après la mort, dans le paradis de Yama , voir mon article à paraître : "On the earliest form of the < 238 > idea of rebirth in India" (bref résumé dans Proceedings of the 31th Intern. Congress, p. 145 sq.) -, abrégé ci-après en "Rebirth". 7 Information générale chez W. Kirfel, Die Kosmographie der Inder. Bonn, 1920 (réimpr. Darmstadt, 1967), pp. 2- 53. Pour la course du soleil (pendant un jour et une nuit), cf. JUB 4.5.1 ; pour le mouvement des nakatra (?) vers le Sud, cf. TS 5.3.4.5. première apparition de l'aurore du Nouvel An a été également étudiée,8 mais il est moins connu que les Indo-Iraniens et les Aryens (g)védiques observaient beaucoup d'autres phénomènes du ciel diurne et du ciel nocturne, par exemple les levers (et couchers) diurnes du soleil pendant une année : pratiquement, ils ont lieu chaque fois à un endroit différent, variant du Nord-Est (solstice d'été) au Sud-Est (solstice d'hiver).9 Il y a un certain nombre d'autres observations, qui se trouvent dans les textes védiques et qui n'ont pas été bien comprises.10 Ici, je me propose de traiter d'un seul aspect du ciel nocturne, celui <215 > du mouvement des étoiles en général (bien décrit par l'hymne RV 1.105)11 et celui de la Voie Lactée en particulier.12 8 Surtout par Kuiper (dans AIC et VaV) ; voir aussi H.P. Schmidt, Bhaspati und Indra, Wiesbaden, 1968, pp. 180, 240, 243. On notera qu'Indra est né au mois de mågha, mois du solstice d'hiver et du Nouvel An, cf. VådhB (in AO 6, 1928, p. 134) . 9 Cette observation doit remonter à l'époque du RV : voir 7.87.1 rádat pathó váruah sryåya "Varua a tracé les chemins pour le soleil", - notamment les (365) pathá (pluriel : il ne s'agit donc pas des deux trajets quotidiens, en comptant le retour pendant la nuit). Pour les trajets du soleil pendant une année, cf. Kirfel, Kosmographie, p. 26 ; ŚB 8.7.2.13, KB 19.3 (19.1.28) est particulièrement clair : course vers le Nord pendant six mois, puis arrêt; et retour vers le Sud, etc. ; cf. aussi TS 6.5.3.3, KS 28.2, KpS 44.2 (tasmåd savatsara jyotir upary-upari carati) et JB 2.25-26 (§ 117). 10 Notamment - la question des quarante jours (cf.. infra n. 120), - la période des dyumna (voir préalablement H.W. Bodewitz, Jaiminīya- Bråhmaa 1, 1 - 65 (Translation and commentary), Leiden, 1973, p. 32 sq.), - le "mois" intercalaire ("treizième mois"), - les noms de certaines constellations (avec même un "dauphin", JB § 194), le problème des planètes (graha ?), les étoiles filantes (MS 1.1.6 : 124.2), - Sirius et Orion (cf. B. Forssman, KZ 82, 1968, pp. 37-65). Il est impossible de traiter ici < 239 > tous ces problèmes ; je projette d'en discuter quelques-uns en collaboration avec M. P. Nieskens. 11 Cet hymne offre quelques interprétations sûres : il décrit le lever de la lune (1), des sept étoiles de la Grande Ourse (9 am yé saptá raśmáya), le coucher des cinq étoiles nommées ukan- (peut-être le Tandis que dyáu représente le ciel lumineux du jour, et aussi le ciel nocturne (d'après RV 1.105.10, cf. note 9 et Kirfel, Kosmographie, p. 34), le sens de svàr est ambigu : ce mot peut désigner "le soleil" et "le ciel illuminé", ou bien "le paradis lumineux (des dieux)", au firmament (n ka-) du ciel. De même, svargá- (loká-) désigne le paradis (de la lumière).13 La connotation lumineuse de ces mots réside dans leurs nakatra hasta, cf. Kirfel, Kosmographie, p. 139 ; autre interprétation chez C. Kiehnle, Vedisch uk und uk/vak, Wiesbaden, 1979, p. 82 sq. ; cf. A. Scherer, Die Gestirnnamen bei den indogermanischen Völkern. Heidelberg, 1953, s.v. "Ochse"), qui se trouvaient au milieu du haut ciel (10 am yé páñcokáo mádhye tasthúr mahó divá) ; et la position des "bien-ailés" qui sont "assis au milieu du ciel" sur la (voie) montant au ciel, et qui "écartent du chemin le loup venant en travers des eaux juvéniles" (11 supar etá åsate mádhya åródhane divá / té sedhanti pathó v ka tárantam yahvátīr apá) : peut-être ce "loup" (près de notre Scorpion) est-il situé dans la branche de la Voie Lactée au moment du lever du soleil (12). Dans la Voie Lactée, on trouve aussi l'Aigle (singulier !), et tout près de la "porte", cf. RV 3.7.7 et infra n. 69. Voir aussi "la marche du haut ciel" : divó bható gåtú (RV 1.71.2). 12 Kuiper estime que "in the nocturnal aspect of the cosmos the cosmic waters form the night-time sky and are, accordingly, automatically above the earth" (AIC, p. 144 ; cf. aussi "The bliss of Aša", IIJ 8, 1964, p. 107 sqq. et AIC, pp. 37, 74, 78-9, 146, 150). Je montrerai plus loin que ce n'est pas tout le ciel nocturne qui correspond aux eaux cosmiques, mais seulement la rivière céleste, la Voie Lactée (mais cf. JB 1.5 (§ 1) et ChU 8. 4.1). La lumière du jour pénètre les eaux pendant la nuit : c'est pour cela qu'elles sont claires pendant la < 240 > nuit (et sombres - JUB 1.25 - pendant le jour : la nuit y est entrée). Ainsi, la Voie Lactée est claire, brillante comme une rivière pendant la nuit : la lumière du jour (svar) y est entrée, et elle n'est pas visible pendant le jour : la nuit y est entrée ; elle est alors trop sombre pour être visible (TS 6.4.2.4). La VS dit : kí samúdrasama sára ? - dyáu (23.47-8). 13 En termes cosnmogoniques, il n'y avait pas de nuit aux temps originaires. C'est seulement après la mort de Yama - le fils du dieu Vivasvant, mais aussi le premier mortel - que les dieux créèrent la nuit, racines (*dieu-, sh2uel(g)-), mais l'expression svargá- loká-, qui signifie littéralement "le monde lumi- neux", "l'espace lumineux", désigne en fait, si l'on passe en revue les uploads/Litterature/ witzel-sur-le-chemin-du-ciel.pdf

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