Recherches linguistiques de Vincennes 38 | 2009 Pour une typologie diachronique
Recherches linguistiques de Vincennes 38 | 2009 Pour une typologie diachronique et synchronique des langues romanes La diphtongaison romane et la métaphonie : le paradoxe du faible au fort Michela Russo et Fernando Sánchez Miret Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rlv/1801 DOI : 10.4000/rlv.1801 ISSN : 1958-9239 Éditeur Presses universitaires de Vincennes Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2009 Pagination : 161-206 ISBN : 978-2-84292-234-4 ISSN : 0986-6124 Référence électronique Michela Russo et Fernando Sánchez Miret, « La diphtongaison romane et la métaphonie : le paradoxe du faible au fort », Recherches linguistiques de Vincennes [En ligne], 38 | 2009, mis en ligne le 01 octobre 2011, consulté le 19 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/rlv/1801 ; DOI : 10.4000/rlv.1801 © Presses universitaires de Vincennes Recherches linguistiques de Vincennes 38 – 2009 — p. 161-206, RÉSUMÉ Classiquement, la métaphonie consiste dans l’action de la voyelle désinentielle atone sur la voyelle tonique précédente. Les auteurs remettent en question cette vue et posent que les voyelles désinentielles hautes, -i et -u, ne provoquent pas la diphtongaison de la voyelle toni- que dans les langues romanes. L’approche adoptée (phonologie particulaire) permet de mon- trer, par une ionisation phonologique, que cette évolution peut s’interpréter, de même que tout changement spontané, comme une modification de l’interprétation de la sous-spécifica- tion segmentale. Ce processus a suivi la déphonologisation de la quantité vocalique en latin tardif. Dans la métaphonie, le nombre et le genre se réalisent parasitiquement sur la voyelle tonique. La marque morphologique interne peut être réduite à un élément, qui est interprété par combinaison avec d’autres matériaux vocaliques. Cet élément agit en bloquant une évo- lution spontanée (la diphtongaison) dans le vocalisme tonique. L’italoroman se situe donc entre deux types morphologiques : concaténatif et non concaténatif; il se comporte comme les langues sémitiques à morphologies internes ou à « interdigitation ». Cet article montre que les divers types morphologiques attestés dans les langues peuvent n’être que des moda- lités de réalisation d’une même organisation sous-jacente. On s’interroge aussi sur les moda- lités de mise en relation entre une structure abstraite nécessaire (des têtes fonctionnelles ou catégorielles et leurs compléments) et sa réalisation phonologique. La syllabation garantit une réalisation linéaire successive des éléments morphologiques, mais elle est en mesure aussi de provoquer leur co-réalisation, dans un format de fusion. De cette manière, le contenu phonique des morphèmes spécifie l’interprétation de la dépendance structurale. MOTS-CLÉS Métaphonie, action du faible au fort, diphtongaison, marquage interne, ionisation phono- logique, interdigitation. LA DIPHTONGAISON ROMANE ET LA MÉTAPHONIE : LE PARADOXE DU FAIBLE AU FORT Michela RUSSO Université de Paris 8, UMR 7023/CNRS Fernando SÁNCHEZ MIRET Université de Salamanque 162 MICHELA RUSSO & FERNANDO SÁNCHEZ MIRET 1. Introduction Les processus de diphtongaison des voyelles toniques sont l’un des prin- cipaux modes de transformation du vocalisme latin. C’est pourquoi ils occupent une place importante dans les grammaires historiques de la majorité des lan- gues romanes. Les voyelles qui ont le plus diphtongué dans les langues roma- nes sont Ĕ et Ŏ (= //). Les voyelles // ont diphtongué dans toute la Romània, avec de notables exceptions en sarde et en portugais (p. ex. PĔTRA > port. pedra, log. pedra). Il n’est pas certain non plus qu’il y ait eu une diphtongaison en catalan. Dans les autres langues, le processus paraît conditionné par des contextes très divers et apparemment non connectés. Nous observons ainsi que dans certaines langues la diphtongaison s’est produite de préférence en syllabe ouverte, comme en ita- lien (toscan) et en français (p. ex. PĔ. TRA > it. pietra, fr. pierre vs. HĔR. BA > it. erba, fr. herbe). En revanche, d’autres langues ont connu une diphtongaison en syllabe ouverte et en syllabe fermée : espagnol, roumain 1, wallon, frioulan et dalmate (p. ex. PĔ. TRA > esp. piedra, roum. piatră et HĔR. BA > esp. hierba, rum. iarbă). En provençal la diphtongaison n’apparaît généralement qu’en con- tact avec un son palatal (p. ex. PĔCTU > pieit, CERĔSEA > cirieia) ; ce type de diphtongaison s’observe aussi en français, en franco-provençal, en rhéto- roman, et dans les dialectes italiens septentrionaux, à l’exception du vénitien (p. ex. PĔCTU > anc. fr. piz, CERĔSEA > cerise) 2. Enfin, dans certaines varié- tés de rhéto-roman et dans de nombreux dialectes italiens, à l’exclusion du tos- can, la diphtongaison s’est produite seulement quand la voyelle finale du mot était haute : /i/ ou /u/. L’influence d’une voyelle finale atone sur la voyelle toni- que du même mot est appelée métaphonie ; pour cette raison on nomme diphton- gaison métaphonique la diphtongaison de // dans ces variétés 3. La diphtongaison soulève des problèmes théoriques intéressants auxquels nous tenterons d’apporter des solutions. La recherche en phonétique historique ne s’est généralement pas préoccupée de trouver un mécanisme phonétique sus- ceptible d’expliquer ce changement de manière satisfaisante. Nous pensons qu’il s’agit là d’une faute méthodologique sérieuse (cf. § 1.1). Les études relatives à la métaphonie dans diverses langues du monde ont généralement mis en évidence ses relations à des domaines extérieurs à la pho- nétique. Plus précisément, les effets de la métaphonie ont été largement discu- tés dans des débats théoriques sur la phonologisation (Twaddell, 1957 ; Leonard, 1978 : chap. V) et sur la morphologisation (Dressler, 1985 ; Maiden, 1985 ; Tuttle, 1985a ; 1985b ; Maiden, 1989 ; 1991 ; Russo, 2007 : chap. 5-7 et 12). LA DIPHTONGAISON ROMANE ET LA MÉTAPHONIE: LE PARADOXE DU FAIBLE AU FORT 163 1.1. Qu’est-ce que la diphtongaison métaphonique ? Trop souvent les phénomènes étudiés par la phonétique historique ont été présentés et expliqués à partir des résultats finaux, en laissant de côté la néces- sité d’éclairer les processus qui conduisent à ces résultats. De fait nous som- mes trop habitués aux lois phonétiques qui résument une histoire complexe par une brève formule. La diphtongaison métaphonique ne fait pas exception. Une formulation canonique de cette loi phonétique est celle que l’on trouve dans la grammaire de Meyer-Lübke (1890 : § 152) : « Die Schicksale des e ̜ sind bedingt durch die folgenden Vokale : vor u, i wird e ̜ zu ie bezw. ẹ, vor a, e, o dagegen bleibt es als e ̜. Die Zahl der folgenden Konsonanten ist gleichgültig. Dies findet sich im Neapolitanischen, im Apulischen […] ». Dans cette formulation on trouve l’information suivante : a) le point de départ //; b) le point d'arrivée, qui dans ce cas est double : d'une part // ou /e/, d'autre part //; c) le contexte phonétique dans lequel apparaît ce double point d'arri- vée (voyelles hautes dans un cas, opposées à des voyelles moyennes et basses dans l'autre) ; d) la distribution géographique. La tactique interprétative habituelle pour ce type de textes conduit le lec- teur à l’interprétation selon laquelle les voyelles hautes ont provoqué le chan- gement de // et qu'elles ont provoqué dans certaines zones la diphtongaison de cette voyelle (// > //) et dans d'autres sa fermeture (// > //). Rien n'est dit du ou des mécanismes qui ont pu produire ces changements. Dans la littérature consacrée à la diphtongaison métaphonique, les défi- nitions de ce type abondent. On donnera comme exemple cette autre définition, postérieure à celle de Meyer-Lübke : « Umlaut is the substitution of a phonemically higher vowel (or partially higher diphthong) for a lower vowel, under stress, when the posttonic vowel itself is, or can be inferred to have been at an earlier time, phonemically high » (Leonard, 1978 : 201, n.1). Comme on peut le noter, cette définition ne manifeste aucun intérêt pour le fonctionnement du processus. De fait, très peu de romanistes se sont inté- ressés à cet aspect du problème. Le plus important d’entre eux a été Friedrich Schürr, auteur qui s’est le plus occupé des processus de diphtongaison dans les langues romanes et qui a aussi prêté attention à l’aspect phonétique. Nous 164 MICHELA RUSSO & FERNANDO SÁNCHEZ MIRET aborderons plus particulièrement son point de vue sur le rôle joué par la méta- phonie dans ces changements. Dans ses premiers travaux sur le romagnol Schürr concevait la méta- phonie comme un phénomène d’assimilation franchissant les consonnes inter- vocaliques pour affecter la voyelle tonique : « zeitliche Verschiebung der i-Engenbildung des artikulierenden Zungenteiles durch die dazwischenliegenden Konsonanten hindurch bis zur Beeinflußung des Tonvokals » (Schürr, 1918 : 69-70). Dans ce dialecte italien la métaphonie provoque la fermeture de certai- nes voyelles (/e/ > /i/, /o/ > /u/, /a/ > /e/) et la diphtongaison d’autres // > //, // > //. Pour expliquer cette différence de résultat (fermeture vs. diphtongai- son), Schürr suppose que l'assimilation a affecté // dans une phase où ils diph- tongaient. Cela revient à dire que la métaphonie agirait dans tous les cas comme un processus d’assimilation de l’aperture. Dans le cas des voyelles mi-ouvertes // et // l'évolution phonétique aurait été [ > [], [] > []. Mais Schürr a changé d’opinion par la suite et proposé une nouvelle manière d'interpréter la relation entre métaphonie et diphtongaison (cf. Schürr, 1936 : 279-280). À uploads/Litterature/ x-michela-russo-amp-fernando-sanchez-la-diphtongaison-romane-et-la-mnetaphonie.pdf
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- Publié le Jui 09, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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