Pour un renouvellement du fantastique : détournement, hybridation et métanarrat
Pour un renouvellement du fantastique : détournement, hybridation et métanarration dans les recueils de nouvelles de Bernard Quiriny Auteur : Zoé Van Hoeck Promoteur(s) : Pierre Piret Année académique 2020-2021 Master [120] en langues et lettres françaises et romanes, orientation générale, à finalité approfondie 2 Remerciements Merci à mon promoteur, Monsieur Pierre Piret, de m’avoir aidée dans l’élaboration de ce mémoire grâce à ses conseils avisés et sa disponibilité ; surtout, merci de m’avoir fait découvrir Bernard Quiriny. Merci à mes parents pour leur relecture, leurs encouragements et pour avoir toujours cru en mes capacités universitaires. Merci enfin à Edouard pour son dévouement, son implication, sa relecture, ses idées, ses remarques parfois innocentes mais souvent inspirantes. 3 Introduction Les recueils de nouvelles de Bernard Quiriny ne manquent généralement pas d’étonner et de surprendre leurs lecteurs : s’ils sont annoncés en quatrième de couverture, par la critique mais également par l’auteur lui-même comme fantastiques, ils ne correspondent pourtant pas vraiment à l’idée que l’on se fait de ce genre littéraire. Contrairement à ce que l’on peut retrouver dans les récits fantastiques traditionnels (notamment une dimension d’hésitation et une atmosphère parfois inquiétante), Quiriny verse souvent dans l’humour et l’ironie : une spécificité qui confère aux nouvelles une étonnante légèreté dans l’énonciation. En outre, les sujets traités dans les récits sont parfois inattendus – on pense notamment à la thématique de l’écriture, qui revient de manière récurrente – même si, à d’autres moments, on ne peut s’empêcher de repérer des caractéristiques ou des situations familières à notre conception du genre, qui permettent malgré tout d’associer les textes de Quiriny au fantastique. Difficile cependant de les y rattacher immédiatement : les figures mises en scène paraissent décontextualisées et semblent s’inscrire presque systématiquement dans un registre inadéquat, qui interpelle le lecteur. Dans l’introduction à son Panorama1, Jean-Baptiste Baronian note que le fantastique est encore étudié sur les bancs de l’école et fait l’objet de nombreux débats dans les ouvrages théoriques qui lui sont consacrés. L’essayiste belge observe en effet que dans le milieu scientifique, malgré les critiques subies à l’encontre de sa légitimité, on continue de discuter ses éléments définitoires et d’examiner les différentes voies qu’il a empruntées – surtout au cours du XXe siècle. Néanmoins, force est de constater que, de nos jours, le genre ne jouit plus d’une grande popularité et semble avoir du mal à séduire le public. Comme le remarque Catherine Rancy, la Première Guerre mondiale signe le début d’une longue période de déclin pour le fantastique : La Grande Guerre représente la fin d’une époque et d’une société […] ; après 1918, le fantastique entre dans une période de déclin ou du moins de modification, car les horreurs réelles de la guerre ont fait pâlir les horreurs de l’imagination […] le fantastique n’a plus la même raison d’être dans le monde de l’après-guerre, et il devient superficiel et conventionnel […] ; il ne trouve son véritable successeur que 1 BARONIAN Jean-Baptiste, Panorama de la littérature fantastique de langue française : des origines à demain, Paris, La Table ronde, 2007 (La petite vermillon, 270), p.19 4 dans un fantastique stylisé et personnel comme celui de Lovecraft, ou dans le fantastique influencé par la science-fiction et le thème de la quatrième dimension.2 Pour la chercheuse, le fantastique se serait donc tourné vers d’autres domaines de l’imaginaire littéraire afin de persister – notamment le champ de l’anticipation. Ni Baronian, qui écrit dans les années 2000, ni Bozzetto, théoricien du fantastique plus récent que nous convoquerons à plusieurs reprises au sein de ce mémoire, ne mentionne dans ses ouvrages un potentiel regain du fantastique au XXIe siècle. Ainsi, le choix pour Quiriny de s’illustrer presque exclusivement dans ce genre relativement impopulaire peut paraitre surprenant, d’autant que l’auteur opte le plus souvent pour le format de la nouvelle. Le fantastique se distingue en effet majoritairement dans des récits courts, c’est pourquoi on lui associe régulièrement le genre de la nouvelle : une tradition à laquelle semble adhérer Quiriny, puisque l’écrivain belge compte cinq recueils à son actif, à l’heure où nous écrivons ces lignes. Ce choix peut toutefois sembler étonnant, compte tenu du manque de succès dont souffre également la nouvelle littéraire actuellement. Même si, depuis le début des années 1980, certains observent un regain d’intérêt pour le récit bref, dans l’espace francophone, on lui préfère encore souvent le roman3. Ce dernier reste en effet plus apprécié car il permet un développement des intrigues et favorise l’identification du lecteur. Si Quiriny s’est aussi essayé au roman, notamment avec L’Affaire Mayerling4, et même à la biographie5, on le connait davantage comme nouvelliste ; c’est pourquoi, dans le cadre de ce mémoire, il nous parait plus significatif et représentatif de nous concentrer sur ses recueils de nouvelles : L’Angoisse de la première phrase, Contes carnivores, Une collection très particulière, Histoires assassines et Vies conjugales, tous publiés entre 2005 et 2019. Cependant, Quiriny n’est pas tout à fait un nouvelliste « comme les autres », puisque ses récits, en plus de relater des faits vraisemblables ou imaginaires, semblent également interroger le lecteur quant à sa conception de la nouvelle : les formes proposées dans les recueils sont parfois si variées et inattendues qu’elles en deviennent déstabilisantes. Ses textes n’apparaissent pas toujours comme continus ; l’auteur y substitue volontiers des compilations de fragments, liés ou non les uns avec les autres, et qui peuvent même se retrouver exempts de narration ! En 2 RANCY Catherine, « Introduction », dans Fantastique et décadence en Angleterre : 1890-1914, Paris, Éditions du C.N.R.S., 1982, p.2, repris dans Gallica (URL : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33473812/f24.item.texteImage, consulté le 07/08/2021). 3 COLIN Claire, « La règle et le jeu. La nouvelle contemporaine comme lieu de réflexion sur la fiction », dans DE BARY Cécile (éd.), La fiction aujourd’hui, Paris, L’Harmattan, 2013 (Itinéraires. Littératures, textes, cultures, 1), pp.51-52. 4 QUIRINY Bernard, L’Affaire Mayerling, Paris, Payot et Rivages, 2018. Il s’agit d’ailleurs d’un roman, assez long, que l’on pourrait qualifier de fantastique puisqu’il réinvestit le motif de la maison hantée. 5 QUIRINY Bernard, Monsieur Spleen. Notes sur Henri de Régnier, Paris, Seuil, 2013. 5 somme, les recueils font état d’une grande diversité d’expériences formelles, qui déconcerte celui qui les découvre pour la première fois. Ainsi, comme on le constate au travers des thématiques abordées, mais également par la présentation formelle des nouvelles, les recueils de Bernard Quiriny ne ressortissent pas à un fantastique traditionnel, tel qu’on a l’habitude de le concevoir ou de le définir. Ces observations nous conduisent à formuler l’hypothèse d’une nouvelle voie envisageable pour le fantastique, d’un renouvellement de celui-ci par le contemporain et par l’intermédiaire de quelques procédés. Nous en relevons principalement trois : le détournement ironique de certains éléments, certains traits caractéristiques du fantastique dans la narration ; l’hybridation générique et discursive, dont témoignent d’une part la présentation formelle des nouvelles, d’autre part le brouillage des catégories au sein des littératures de l’imaginaire ; et la métanarration, qui prend acte de la récurrence presque obsessionnelle de certains sujets dans les nouvelles de Quiriny : l’écriture, la littérature, la figure de l’écrivain. Détournement, hybridation et métanarration sont donc selon nous trois aspects qui permettent à l’auteur de faire évoluer le genre sur des voies différentes, sans pour autant s’éloigner radicalement de la visée initiale – ce qui laisse penser que ce renouvellement pourrait remettre en question notre conception et nos définitions du genre littéraire que nous étudions ici. 6 Note : par souci de lisibilité, nous accorderons des abréviations à chaque recueil. La mention d’une nouvelle sera automatiquement suivie des initiales du recueil concerné entre parenthèses, ou, le cas échéant, du titre du recueil en entier : AP : QUIRINY Bernard, L’Angoisse de la première phrase, Paris, Phébus, 2005. CC : QUIRINY Bernard, Contes carnivores, Paris, Seuil, 2008. CP : QUIRINY Bernard, Une collection très particulière, Paris, Seuil, 2012. HA : QUIRINY Bernard, Histoires assassines, Paris, Rivages poche, 2018. VC : QUIRINY Bernard, Vies conjugales, Paris, Rivages, 2019. Les numéros de pages utilisés pour citer certains passages de la nouvelle dont il est question ne seront pas systématiquement précédés des initiales du recueil. 7 Chapitre I. Un fantastique détourné Les recueils de Bernard Quiriny sont loin de ressortir à un fantastique traditionnel : constat assez évident, qu’il est possible de faire après la lecture de quelques nouvelles seulement. Non traditionnel, certes, mais faisant parfois usage de motifs reconnaissables : pensons notamment à celui du vampire, que l’on retrouve dans « Sanguine » (CC), celui du double, identifiable dans « Morno, au Chili » (CP), ou encore aux objets qui s’animent d’intentions mauvaises dans « Les choses ont la parole » (HA). C’est davantage le registre d’écriture des nouvelles, toujours léger et ironique, ainsi que le cadre de celles-ci, jamais réellement inquiétant, qui interpelle le lecteur et nous conduit à penser que ces éléments caractéristiques, décontextualisés, seraient susceptibles de conférer au fantastique des tonalités innovantes. Pour confirmer nos impressions initiales, il nous faut toutefois introduire au préalable quelques éléments d’information qui nous permettront de mieux nous figurer uploads/Litterature/ zoe-vanhoeck-11601600-2021.pdf
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- Publié le Oct 26, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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