Charles Baudelaire LE SPLEEN DE PARIS Le spleen de Paris Petits poèmes en prose

Charles Baudelaire LE SPLEEN DE PARIS Le spleen de Paris Petits poèmes en prose ; choix de variantes par Henri Lemaitre (1868) Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières À Arsène Houssaye ...................................................................5 I. L’Étranger..............................................................................7 II. Le Désespoir de la vieille......................................................8 III. Le Confiteor de l’artiste ......................................................9 IV. Un plaisant........................................................................10 V. La Chambre double .............................................................11 VI. Chacun sa chimère............................................................ 14 VII. Le Fou et la Vénus ........................................................... 16 VIII. Le Chien et le flacon.......................................................18 IX. Le Mauvais Vitrier ............................................................ 19 X. À une heure du matin.........................................................22 XI. La Femme sauvage et la petite-maîtresse ........................24 XII. Les Foules........................................................................27 XIII. Les Veuves......................................................................29 XIV. Le Vieux Saltimbanque ..................................................33 XV. Le Gâteau .........................................................................36 XVI. L’Horloge........................................................................39 XVII. Un Hémisphère dans une chevelure............................. 41 XVIII. L’Invitation au voyage .................................................43 XIX. Le Joujou du Pauvre.......................................................46 – 3 – XX. Les Dons des fées.............................................................48 XXI. Les Tentations ou Eros, Plutus et la Gloire.................... 51 XXII. Le Crépuscule du soir ...................................................55 XXIII. La Solitude...................................................................58 XXIV. Les Projets................................................................... 60 XXV. La Belle Dorothée..........................................................62 XXVI. Les Yeux des pauvres...................................................64 XXVII. Une mort héroïque .....................................................66 XXVIII. La Fausse Monnaie ................................................... 71 XXIX. Le Joueur généreux .....................................................73 XXX. La Corde ........................................................................ 77 XXXI. Les Vocations...............................................................81 XXXII. Le Thyrse....................................................................86 XXXIII. Enivrez-vous ............................................................ 88 XXXIV. Déjà ! .........................................................................89 XXXV. Les Fenêtres................................................................ 91 XXXVI. Le Désir de peindre ...................................................92 XXXVII. Les Bienfaits de la lune............................................94 XXXVIII. Laquelle est la vraie ? .............................................96 XXXIX. Un cheval de race ......................................................97 XL. Le Miroir ..........................................................................99 XLI. Le Port...........................................................................100 – 4 – XLII. Portraits de maîtresses................................................ 101 XLIII. Le Galant Tireur......................................................... 107 XLIV. La Soupe et les nuages ...............................................108 XLV. Le Tir et le cimetière....................................................109 XLVI. Perte d’auréole ............................................................111 XLVII. Mademoiselle Bistouri...............................................112 XLVIII. Any where out of the world......................................117 XLIX. Assommons les pauvres !............................................119 L. Les bons Chiens ................................................................ 122 Épilogue ................................................................................ 127 À propos de cette édition électronique.................................128 – 5 – À Arsène Houssaye Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu’il n’a ni queue ni tête, puis- que tout, au contraire, y est à la fois tête et queue, alternative- ment et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admi- rables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux mor- ceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Ha- chez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l’espérance que quelques-uns de ces tron- çons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j’ose vous dédier le serpent tout entier. J’ai une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit, d’Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quel- ques-uns de nos amis, n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue, et d’appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pitto- resque. Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? – 6 – C’est surtout de la fréquentation des villes énormes, c’est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n’avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier, et d’exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce cri envoie jusqu’aux mansardes, à travers les plus hautes bru- mes de la rue ? Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m’ait pas porté bonheur. Sitôt que j’eus commencé le travail, je m’aperçus que non seulement je restais bien loin de mon mysté- rieux et brillant modèle, mais encore que Je faisais quelque chose (si cela peut s’appeler quelque chose) de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s’enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu’humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus grand honneur du poète d’accomplir juste ce qu’il a projeté de faire. Votre bien affectionné, C. B. – 7 – I. L’Étranger « Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? – Je n’ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère. – Tes amis ? – Vous vous servez là d’une parole dont le sens m’est resté jusqu’à ce jour inconnu. – Ta patrie ? – J’ignore sous quelle latitude elle est située. – La beauté ? – Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle. – L’or ? – Je le hais comme vous haïssez Dieu. – Eh ! qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? – J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là- bas… les merveilleux nuages ! » – 8 – II. Le Désespoir de la vieille La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde vou- lait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux. Et elle s’approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables. Mais l’enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapis- sements. Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude éternelle, et elle pleurait dans un coin, se disant : – « Ah ! pour nous, malheureuses vieilles femelles, l’âge est passé de plaire, même aux innocents ; et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer ! » – 9 – III. Le Confiteor de l’artiste Que les fins de journées d’automne sont pénétrantes ! Ah ! pénétrantes jusqu’à la douleur ! car il est de certaines sensations délicieuses dont le vague n’exclut pas l’intensité ; et il n’est pas de pointe plus acérée que celle de l’Infini. Grand délice que celui de noyer son regard dans l’immensité du ciel et de la mer ! Solitude, silence, incompara- ble chasteté de l’azur ! une petite voile frissonnante à l’horizon, et qui par sa petitesse et son isolement imite mon irrémédiable existence, mélodie monotone de la houle, toutes ces choses pen- sent par moi, ou je pense par elles (car dans la grandeur de la rêverie, le moi se perd vite !) ; elles pensent, dis-je, mais musi- calement et pittoresquement, sans arguties, sans syllogismes, sans déductions. Toutefois, ces pensées, qu’elles sortent de moi ou s’élancent des choses, deviennent bientôt trop intenses. L’énergie dans la volupté crée un malaise et une souffrance po- sitive. Mes nerfs trop tendus ne donnent plus que des vibrations criardes et douloureuses. Et maintenant la profondeur du ciel me consterne ; sa lim- pidité m’exaspère. L’insensibilité de la mer, l’immuabilité du spectacle, me révoltent… Ah ! faut-il éternellement souffrir, ou fuir éternellement le beau ? Nature, enchanteresse sans pitié, rivale toujours victorieuse, laisse-moi ! Cesse de tenter mes dé- sirs et mon orgueil ! L’étude du beau est un duel où l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu. – 10 – IV. Un plaisant C’était l’explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. Au milieu de ce tohu-bohu et de ce vacarme, un âne trottait vivement, harcelé par un malotru armé d’un fouet. Comme l’âne allait tourner l’angle d’un trottoir, un beau monsieur ganté, verni, cruellement cravaté et emprisonné dans des habits tout neufs, s’inclina cérémonieusement devant l’humble bête, et lui dit, en ôtant son chapeau : « Je vous la souhaite bonne et heureuse ! » puis se retourna vers je ne sais quels camarades avec un air de fatuité, comme pour les prier d’ajouter leur approbation à son contentement. L’âne ne vit pas ce beau plaisant, et continua de courir avec zèle où l’appelait son devoir. Pour moi, je fus pris subitement d’une incommensurable rage contre ce magnifique imbécile, qui me parut concentrer en lui tout l’esprit de la France. – 11 – V. La Chambre double Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre vé- ritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légère- ment teintée de rose et de bleu. L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. – C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse. Les meubles ont des formes allongées, prostrées, uploads/Litterature/baudelaire-le-spleen-de-paris.pdf

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