1 Comment parler d’un film ? © Les Grignoux, 2010. Tous droits de reproduction

1 Comment parler d’un film ? © Les Grignoux, 2010. Tous droits de reproduction et d’adaptation réservés pour tout pays. D / 2010 / 6039 / 9 (nouvelle édition) Michel Condé Une étude réalisée par le centre culturel Les Grignoux Écran large sur tableau noir © Centre culturel Les Grignoux 3 Comment parler d’un film Introduction La vision d’un film ne s’achève sans doute pas avec la fin de la projection : très souvent en effet, les spectateurs éprouvent le besoin ou l’envie d’en parler avec d’autres, que ce soit d’ailleurs de façon positive ou négative. À première vue passive, la réception filmique suscite de nombreuses réactions qui sont gé- néralement ignorées dans les analyses classiques du cinéma mais qui apparais- sent comme le contrecoup « dynamique » de cette phase de passivité. Loin de se contenter de sa propre appréciation subjective, le spectateur souhaite mani- festement échanger avec d’autres spectateurs ses avis et impressions, confron- ter son opinion avec celle d’autrui, partager son enthousiasme ou au contraire son dégoût avec d’autres personnes, qu’elles aient vu ou non le film en cause. Ce processus d’échange peut se faire oralement, mais il passe également par des voies écrites, quand on lit ou relit après la vision des critiques dans la presse, ou bien aujourd’hui par la participation à des forums de discussion sur Internet consacrés au cinéma. François Truffaut a plusieurs fois cité cette formule entendue selon lui à Hollywood « chacun a deux métiers : le sien et critique de cinéma », tout en ajoutant « C’est vrai et l’on peut, à volonté, s’en réjouir ou s’en plaindre. J’ai choisi depuis longtemps de m’en réjouir, préférant cet état de chose à l’isole- ment et l’indifférence dans lesquels vivent et travaillent les musiciens et sur- tout les peintres » 1. Depuis lors, la formule a été souvent citée pour dévalori- ser ces appréciations spontanées du tout un chacun et défendre une approche critique mieux informée qui serait le fait de « spécialistes », aspirant souvent à devenir à leur tour des professionnels du cinéma. Mais cet apophtegme mé- connaît sans doute l’importance psychologique et sociale de cette phase de partage avec autrui qui semble indispensable au processus de réception fil- mique (et sans doute plus largement artistique). Psychologiquement, nous éprouvons vraisemblablement le besoin de maîtriser, par l’échange ou la com- munication, les émotions ressenties pendant la projection, et, socialement, le cinéma est perçu — au moins pour une part — comme une injonction ou une prescription d’opinion qui implique une réaction implicite ou explicite de notre part : c’est évident pour des films dont le propos est clairement politique ou idéologique (par exemples les films de Ken Loach ou de Michael Moore), mais l’expérience montre que la plupart des films suscitent chez les spectateurs des prises de position, souvent polémiques, qu’elles soient de nature politique, morale, esthétique ou simplement humaine (comme quand on condamne le comportement de tel ou tel personnage mis en scène) 2. 1. François Truffaut, « À quoi rêvent les critiques ? » dans Les Films de ma vie, Flammarion, 1975, p. 19. 2. Les phénomènes abordés ici dépassent sans doute le cadre de la pragmatique qui est une branche de la sémantique s’intéressant notamment aux énoncés « performatifs » où l’énonciation se combine avec une action (comme quand un maire marie un homme et une femme en les déclarant « mari et femme »). Cette approche de type linguistique, même si elle prend en compte le contexte du discours (dans ce cas le film), nous semble peu capable de rendre compte de la diversité réelle des réactions des spectateurs. On remarquera à ce propos que, si le cinéma de fiction s’apparente à première vue à un texte déclaratif (il raconte quelque chose), les réactions qu’il peut susciter semblent indiquer qu’il est souvent perçu comme un texte à valeur performative, c’est-à-dire cherchant à agir sur le spectateur (suscitant ainsi une réaction qui peut être positive ou au contraire négative). De façon imagée, on pourrait dire que le film, loin de se clore sur son propre message, est une adresse aux spectateurs appelés à se manifes- ter à leur tour. 4 Écran large sur tableau noir © Centre culturel Les Grignoux Comment parler d’un film Introduction Dans ce contexte, l’on comprend facilement que la séance de cinéma donne souvent lieu à des débats, des rencontres ou des animations de nature très di- verse mais qui vont s’appuyer naturellement sur ce besoin ou ce désir de réac- tion présent chez beaucoup de spectateurs. L’objet des réflexions proposées ici est précisément de fournir aux animateurs quelques pistes pour mener un tel débat à propos d’un film vu de façon collective. On précisera cependant immédiatement que ces réflexions porteront sur les différentes dimensions du film et non sur l’exploitation éventuelle des thèmes dont traite tel ou tel film. Le cinéma est en effet un art de la représentation, et, dans une discussion, l’on passe très facilement du film à la réalité qu’il évoque plus ou moins direc- tement ; mais il ne saurait être question d’aborder ces réalités nécessairement diverses, exigeant sans doute de multiples compétences qui ne peuvent être le fait d’un seul animateur. On insistera précisément ici sur les différents aspects d’un film qui, dans les débats, est facilement réduit à n’être qu’un prétexte à la discussion. Rarement en effet, le film est considéré comme un véritable interlocuteur, et son propos est souvent considéré comme évident et immédiatement compréhensible par tous. Or, comme on essayera de le montrer, les choses ne sont sans doute pas aussi simples, et l’intérêt du cinéma (ou plus exactement un des intérêts du meilleur cinéma) est de nous proposer une représentation souvent problé- matique, complexe, nuancée et parfois ambivalente de la réalité. En outre, un film se réduit rarement à un propos, à des idées ou à des thèmes explicites et encore moins à un discours plus ou moins démonstratif : d’autres aspects — esthétiques, émotionnels, affectifs, imaginaires… — méritent d’être pris en compte et discutés avec les différents spectateurs. Ce sont ces aspects propre- ment filmiques qui retiendront ici notre attention. Enfin, on se limitera ici au domaine du cinéma de fiction qui n’obéit pas aux mêmes conventions que le documentaire soumis à une exigence de vérité, de sincérité et d’authenticité, inconnue de la fiction : même s’il ne faut pas né- gliger la part de mise en scène et de subjectivité que comprend tout docu- mentaire (qui ne se résume jamais à un simple enregistrement de la réalité) 1, le spectateur qui regarde un film de fiction sait qu’il s’agit là du résultat d’un important travail de mise en scène (même si ce travail est en tant que tel invi- sible), que les acteurs apparaissant à l’image interprètent en fait un rôle et que 1. C’est un lieu commun de la pensée critique d’affirmer qu’il n’y aurait pas de différence essentielle entre documentaire et fiction ou qu’à tout le moins, les frontières entre les deux seraient poreuses, sous pré- texte que les deux résulteraient d’un travail de mise en scène et comporteraient une part de subjectivité. Mais le critère de différenciation est mal choisi, car la différence entre ces deux genres est constituée par la convention qui lie implicitement le spectateur et l’auteur du film de fiction : quand je vois un Alien dans le film de Ridley Scott, je ne me pose pas la question de savoir si de tels êtres existent ou non, car il s’agit clairement d’un univers de fiction ; en revanche, face à un documentaire, je peux poser la question de la sincérité du cinéaste (n’a-t-il pas payé les personnes qu’il a filmées ?), de la vérité des faits montrés (les images n’ont-elles pas été trafiquées ?) et de leur éventuelle manipulation notamment au montage. On sait aujourd’hui que plusieurs plans de Citizen Kane ont en fait été obtenus par trucage (alors que le célèbre critique André Bazin les avait salués comme des exemples de réalisme), mais ces découvertes ne signifient absolument pas que Welles était un « menteur » ou un « falsificateur ». En revanche, découvrir de tels trucages dans un documentaire décrédibiliserait totalement leur auteur. Enfin, le fait que la frontière entre fiction et documentaire soit poreuse avec l’apparition de réalisations comme les « docu-fictions » (où des faits censément historiques sont mis en scène et interprétés par des acteurs) ne signifie pas que la distinction n’a pas de sens : dans le champ des sciences humaines, il n’y a pas (ou très peu ?) de distinctions absolues, essentielles, formelles, et les réalités doivent plutôt être décrites comme formant un continuum ; mais cela ne signifie pas qu’une distinction ne soit pas pertinente. Personne ne peut tracer précisément la frontière entre la plaine et la montagne, mais cela n’implique pas qu’il n’y a pas de différence entre la plaine et la montagne ! Écran large sur tableau noir © Centre culturel Les Grignoux 5 Comment parler d’un film Introduction les événements racontés sont pour une uploads/Litterature/comment-parler-d-x27-un-film-michel-conde-une-etude-realisee-par-le-centre-culturel-les-grignoux.pdf

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