BIODIVERSITÉ : DES MACROBES AUX MICROBES ET AU DELÀ ? Christophe Malaterre Édit

BIODIVERSITÉ : DES MACROBES AUX MICROBES ET AU DELÀ ? Christophe Malaterre Éditions Kimé | « Bulletin d’histoire et d’épistémologie des sciences de la vie » 2011/1 Volume 18 | pages 61 à 77 ISSN 1279-7243 ISBN 9782841745593 DOI 10.3917/bhesv.181.0061 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-bulletin-d-histoire-et-d-epistemologie-des-sciences-de-la- vie-2011-1-page-61.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Kimé. © Éditions Kimé. Tous droits réservés pour tous pays. 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Jusqu’à présent, les études sur la biodiversité ont surtout concerné les organismes vivants les plus facilement identifiables, ces « macrobes » que sont les animaux et les plantes. Des études récentes, néanmoins, ont commencé à s’intéresser à la biodiversité du monde des micro-organismes ou des « microbes », et notamment des bactéries. Certains scientifiques évoquent même la nécessité d’aller au delà de ces organismes unicellulaires, par exemple en intégrant les virus, les viroïdes ou encore les plasmides. Dans cet article, je montre que l’extension de la notion de biodiversité aux microbes et au delà révèle un problème philosophique de fonds : celui lié à la définition d’une « limite inférieure » de biodiversité. Je défends la thèse selon laquelle ce problème ne peut être résolu par la recherche d’un critère naturel si on adopte une conception gradualiste de la transition matière inerte / matière vivante. Cet argument conduit alors à une conception normative de la biodiversité. *** ABSTRACT. Up to now, biodiversity studies have mostly concerned the types of living organisms that are most readily identifiable, i.e. animals and plants that one might call « macrobes ». Some recent studies however have started to look into the biodiversity of micro-organisms or « microbes » such as bacteria. Some scientists even argue that it is necessary to also look beyond such unicellular organisms and also study biodiversity from the point of view of entities such as viruses, viroïds or plasmids. In this paper, I show that the extension of the notion of biodiversity to microbes and beyond reveals a deeper philosophical problem: that of assigning a « lower limit » to * Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et Techniques, 13 rue du Four, 75006 Paris ; christophe.malaterre@gmail.com. Je tiens à remercier tout particulièrement Anouk Barberousse, Jean Gayon et Maureen O’Malley, ainsi que deux relecteurs anonymes pour leurs commentaires. Je remercie aussi la Fondation Louis D. de l’Institut de France pour son soutien financier. © Éditions Kimé | Téléchargé le 24/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.131.88) © Éditions Kimé | Téléchargé le 24/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.131.88) 62 biodiversity. I argue that this problem, owing to the gradual nature of the transition non-living/living matter cannot be solved by the search for a natural criterion. This, in turn, points to the necessity of a normative approach to biodiversity. *** INTRODUCTION L’écologie a connu, ces dernières décennies, un élargissement considérable de ses périmètres d’étude, passant d’écosystèmes locaux à des écosystèmes en interaction au sein de régions de plus en plus vastes, au point même d’intégrer la biosphère dans sa totalité. La notion de biodiversité a, elle aussi, élargi son périmètre. Si elle va aujourd’hui bien au delà des espèces « charismatiques » que sont la baleine, le panda ou l’ours blanc, elle reste néanmoins fortement cantonnée aux organismes les plus facilement identifiables à l’œil nu, ces « macrobes » que sont les animaux et les plantes. On peut légitimement se poser la question de savoir si elle ne devrait pas tout aussi bien concerner un vaste ensemble de micro-organismes ou de « microbes », certes petits par leur taille mais au rôle pourtant bien réel dans la biosphère. Il est intéressant de voir que des études scientifiques récentes ont notamment commencé à s’intéresser à la biodiversité des bactéries, voire même à celle des virus. Mais l’extension de la notion de biodiversité aux microbes et au delà révèle un problème de fonds lié à la spécification d’une « limite inférieure » de biodiversité. Je défends la thèse selon laquelle ce problème, de par la nature de la transition matière inerte / matière vivante, ne peut être résolu par la recherche d’un critère naturel. Dans un premier temps, je situe le contexte, précise la notion de biodiversité et son périmètre classique. J’avance alors, dans un second temps, des arguments en faveur d’une biodiversité microbienne. Je montre ensuite comment la définition d’une biodiversité microbienne rencontre, non seulement, deux problèmes classiques qui se posent à toute définition de biodiversité, mais aussi un problème spécifique lié à la question de la définition du vivant et à l’inexistence d’une délimitation nette entre le vivant et l’inerte microscopique. Je conclus en proposant d’aborder la question de la « limite inférieure » de biodiversité par une voie normative. © Éditions Kimé | Téléchargé le 24/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.131.88) © Éditions Kimé | Téléchargé le 24/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.131.88) 63 BIODIVERSITE, MACROBES, MICROBES ET AUTRES La notion de biodiversité apparaît dans les années 1980. Le mot résulte d’une contraction de l’expression « diversité biologique »1, mais les problématiques et les concepts qui la caractérisent sont néanmoins antérieurs : ils relèvent de ce qui s’appelle déjà depuis les années 1950 la « diversité écologique»2. La notion de « biodiversité » semble avoir été mise sur le devant de la scène pour deux raisons. D’une part, au début des années 1980, la recherche en diversité écologique se retrouve dans une impasse en ce qui concerne un débat pourtant majeur sur les liens théoriques et empiriques que sont sensées entretenir la diversité des espèces et la stabilité des écosystèmes. De surcroît, des questions de conservation se font plus pressantes, suscitant alors un débat moins abstrait et quantitatif qu’auparavant, mais plus normatif et appliqué, et requérant l’élaboration d’une argumentation justificative des politiques de conservation de la biodiversité. Ce faisant, la notion de biodiversité hérite d’un grand nombre de concepts, de méthodes et d’outils développés par plusieurs décennies de travaux sur la diversité en écologie. C’est le cas, en particulier, d’outils mathématiques de mesure de la diversité3. Car un problème central se pose : celui de la définition même de la biodiversité. Ce problème est double car il requiert, à la fois, de décider du type d’entités dont on va chercher à déterminer la diversité, et de statuer sur le type de mesure, c’est-à-dire d’outil mathématique de quantification, à utiliser pour donner une valeur à cette diversité. De manière intuitive, la biodiversité est définie, classiquement, comme la richesse d’un habitat en termes d’espèces d’organismes vivants. Ce faisant, et bien que l’homme s’identifie spontanément plus 1 D. Takacs, The Idea of Biodiversity: Philosophies of Paradise, Baltimore, Johns Hopkins University Press. 2 S. Sarkar, « From ecological diversity to biodiversity », in Hull D., Ruse M. (eds) The Cambridge Companion to the Philosophy of Biology, Cambridge, Cambridge University Press, 2007, pp. 388-409. 3 On distingue ainsi trois types de mesure de biodiversité : la diversité α, qui mesure la diversité au sein d’une zone géographique donnée, la diversité β, qui mesure la diversité entre différentes zones, et la diversité γ, qui rend compte de la diversité totale d’une région et qui inclut à la fois la diversité α et la diversité γ. Voir l’article fondateur de R. H. Whittaker, « Vegetation of the Siskiyou Mountains, Oregon and California », Ecological Monographs 1960, 30: 279-338. © Éditions Kimé | Téléchargé le 24/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.131.88) © Éditions Kimé | Téléchargé le 24/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 105.235.131.88) 64 facilement à l’ours blanc qu’au mille-pattes, la notion de biodiversité n’est en aucun cas restreinte aux espèces les plus visibles ni les plus charismatiques. Pourtant, comme le soulignent O’Malley et Dupré, dans les faits, les recherches sur la biodiversité ont souvent tendance à se limiter aux organismes facilement identifiables à l'œil nu et ne s’intéressent que trop rarement aux micro-organismes4. En somme, la biodiversité, telle que pratiquée aujourd’hui par la science, est surtout une biodiversité des « macrobes » sans véritable prise en compte du monde des « microbes » qui apparaît ainsi, de facto, marginalisé5. Pourtant, de nombreux travaux récents en phylogénétique permettent des reconstructions de plus en plus fines de « l’arbre du vivant », et témoignent de sa richesse, de son foisonnement et de l’étroite imbrication des trois grands domaines uploads/Litterature/bhesv-181-0061.pdf

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