Chapitre 4 : le règne du Classicisme II est désormais traditionnel de parler d'

Chapitre 4 : le règne du Classicisme II est désormais traditionnel de parler d'auteurs classiques sans toutefois en définir les caractéristiques fondamentales. En effet, la majorité des ouvrages portant sur cette période de la pensée économique développe une démarche nominative grâce à laquelle on liste un certain nombre d'auteurs reconnus comme tels. Si Adam Smith (considéré comme le Père Fondateur), David Ricardo ou le Pasteur Thomas Malthus figurent systématiquement dans cette liste, par contre des auteurs comme Jean-Baptiste Say ou comme John Stuart Mill y sont quelquefois absents ou classés à la marge comme plus hétérodoxes. De la même façon, on peut s'interroger pour savoir si Marx, voire Keynes, ne sont pas eux aussi les derniers des grands auteurs classiques. Tout ceci pose donc la question de la définition de ce qui est « classique » et d'aucuns ont l'habitude de citer Sainte-Beuve considérant le classicisme comme la somme de ce qui est jugé digne d'être enseigné en classe (réalisant ainsi ce que les sociologues modernes appelleraient un arbitraire culturel!). De la même façon, on fait appel à Boileau, à son goût de la vérité et à son rejet de ce qui est vague ou démesuré, le classicisme rejoignant ainsi le bon sens et l'académisme en s'identifiant totalement à leurs principes. Or les classiques ne sont souvent enseignés maintenant que dans des cours d'Histoire de la Pensée Économique ou dans des initiations à vocation plus large ou érudites. Certains pays les ont totalement oubliés même si leurs plus éminents libéraux appartiennent à une Association mondiale d'économistes ayant pour logo le portrait d'Adam Smith, classique de tous les classiques ! D'autres vont assimiler le classicisme au XVIIIe siècle. Ils reprennent ainsi, avec un certain décalage, un classement qui avait été effectué en matière d'art et de littérature. Or ces auteurs ont, certes, écrit à partir de 1760 mais d'autres publient durant cette période sans toutefois être considérés comme tels. L'opposition entre « classiques » et « modernes » semble alors aisée, comme si les économistes qui leur avaient succédé avaient totalement rompu avec leurs théories. Certains enfin vont considérer ce courant de pensée comme constitué de « formes consacrées» ou d'auteurs « de référence », reconnaissances collectives envers des économistes qui ont créé la science économique. Les Classiques correspondraient ainsi à un certain idéal scientifique et moral. Mais la reconnaissance collective actuelle semble assimiler de plus en plus la création de la science économique à l'apparition de la pensée marginaliste, chacun recherchant ses propres «pères fondateurs » au sein des penseurs les plus proches de ses propres analyses! La question semble donc extrêmement délicate, mais, au total, les économistes classiques sont soumis aux mêmes interrogations, adoptent un ensemble d'hypothèses identiques et développent un point de vue unique. Ils se séparent néanmoins selon leur origine géographique et leur attitude vis-à-vis de la révolution industrielle. C'est à partir de ce constat que nous définirons le classicisme comme un courant de pensée partageant les mêmes idéaux (comprendre la société en mutation), mettant un sens identique à leur travail (accroître le bien être des citoyens de leur nation) et développant une démarche critique (confronter les théories aux faits économiques). D'un coté nous trouvons les grands classiques anglais Adam Smith, David Ricardo, Thomas Malthus) préoccupé par les prix, le travail et les rendements et d'un autre nous trouvons en France Jean-Baptiste Say soucieux des progrès de la productivité et des équilibres des marchés et de la production. Adam Smith par exemple, veut étudier les faits « qui ont perfectionné les facultés productives du travail » (Richesse des Nations, 1776). Thomas Malthus (Essai sur le principe de population, 1798) insiste sur les inventions et leurs conséquences sur le travail humain. David Ricardo veut souligner le rôle des prix relatifs et leur influence sur les conditions de vie (Les principes de 1 l'économie politique et de l'impôt, 1817). Mais ces préoccupations sont reléguées au second rang derrière l'étude des mécanismes des marchés. Jean-Baptiste Say veut par contre étudier les dimensions techniques de la productivité: « obtenir plus de produit pour le même travail humain, c'est le comble de l'industrie » (Traité d'économie politique, 1803). a) 1776-1820 ou la domination de la pensée classique anglaise Cette pensée anglaise va déterminer le cadre de la pensée classique. Le premier de ces classiques est Adam Smith (1723-1790). Inscrit à 14 ans au Collège de Glasgow, puis à 17 ans à Oxford où il suit des enseignements de littérature et de philosophie, Adam Smith devient professeur à Glasgow en 1751. Il soutient une Thèse de Philosophie (The theory of moral sentiments) puis obtient une Chaire de Philosophie morale. Il enseignera pendant une seule année un cours d'Économie Politique (1763). Ce cours ne sera pas publié, mais un de ses étudiants des plus studieux en prendra des notes détaillées (et ce détail montrera plus tard que le hasard ou le fait exceptionnel peut changer la nature des théories !), notes retrouvées plus tard et publiées en 1896. Peu satisfait des conditions matérielles de sa situation de Professeur d'Université, il part en 1664 en Europe comme tuteur d'un jeune Duc, cette fonction lui assurant une aisance supérieure à celle qu'il avait en enseignant à plusieurs centaines d'étudiants. Il rencontre alors les Physiocrates (dont Turgot) et publie à son retour en Angleterre en 1776 son Essai sur la nature et les causes de la richesse des nations. Cet ouvrage connaît un immense succès et sera traduit très rapidement en de nombreuses langues. L'œuvre d'Adam Smith est monumentale au point d'ailleurs que certains (comme Mark Blaug in : La pensée économique, origine et développement, Economica, Paris, 1981) prétendent que personne n'a pu lire totalement les trente-quatre chapitres composant les quatre livres de la Richesse des nations puisque seuls dix chapitres sont habituellement édités. La filiation de la pensée smithienne a été aussi discutée : certains ont vu dans cet ouvrage une analyse fortement inspirée par les thèses physiocrates au point d'ailleurs de considérer Smith comme tel. Or la publication en 1896 des notes du cours de 1763 montre que le contenu de « La richesse des nations » était déjà déterminé bien avant donc que l'auteur ne connaisse les disciples de Quesnay. En fait nous sommes là en présence d'une conjonction d'analyses établies séparément comme cela s'est produit souvent, et nous le verrons dans les parties suivantes, en économie : Menger, Walras et Jevons feront séparément les mêmes découvertes entre 1871 et 1874, Keynes et Kalecki en feront de même vers 1936... On peut s'interroger sur le contenu de l'œuvre de Smith sans entrer néanmoins dans les détails. Un certain nombre de ses idées sont communes ou voisines de celles développées par les Physiocrates : - il existe des Lois Naturelles et le rôle de l'économiste est de les découvrir... - l'Etat ne doit pas (ou très peu, le cas contraire) intervenir, le principe d'ordre social étant assuré par le libéralisme. Par contre un certain nombre de divergences avec ses prédécesseurs font l'intérêt de Smith: - le fondement de cet ordre naturel n'est pas transcendantal mais immanent et Smith passe d'un ordre métaphysique (le déisme) à un ordre sensuel et psychologique... - les individus sont mus par des intérêts personnels et la confrontation de ces derniers réalise spontanément un ordre correspondant à l'intérêt général... - il faut abandonner la méthode d'analyse des physiocrates (déduction/analogie/enchaînement de raisonnements) pour privilégier l'observation des faits et en déduire des Lois économiques... 2 - la valeur des choses ne vient pas de la terre ou de l'agriculture mais du travail (théorie de la « valeur travail-commande »)... - les préceptes de politique économique doivent être souples même s'ils sont quelquefois entorses au libéralisme... - Le pragmatisme doit aussi guider l'action politique. Derrière ces points principaux d'analyse il y a des hypothèses extrêmement fortes : - l'économie fonctionne de manière cohérente sur la base d'un marché libre et une « Main Invisible », sorte de deus ex machina, assure cette cohérence... - sur ce marché chaque marchandise a un prix naturel (valeur) et un prix de marché, ce dernier pouvant s'éloigner du premier par le jeu de la concurrence... - ce marché peut être perturbé si la concurrence portant sur les produits ou sur les méthodes de fabrication est freinée... - les moteurs de l'économie sont les motivations individuelles, les intérêts privés et le travail personnel... - cette économie trouve aussi sa cohérence dans la stabilité des revenus (salaires, profits et rentes ne doivent pas évoluer de manière trop brutale).., - l'épargne (renonciation à la consommation) permet d'accumuler des fonds puis d'investir et de créer des revenus ultérieurs plus élevés... - le travail pour être efficace doit être divisé en respectant les habilités de chacun et en décomposant les différentes tâches nécessaires à la production d'un bien... - la richesse des nations dépend enfin tout autant des ressources naturelles (et humaines) que de l'efficacité de leurs institutions. En résumé Adam Smith construit un système conceptuel nouveau dont on pourrait penser en première lecture qu'il défend les industriels et les marchands. Or les uploads/Litterature/chapitre-3-le-classicisme.pdf

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