La crime d’Olga Arbélina ou le récit de plusieurs crimes Nombreux sont les écri

La crime d’Olga Arbélina ou le récit de plusieurs crimes Nombreux sont les écrivains qui ont fait du français leur langue d’écriture. Cette tendance de ce qu’on appelle généralement littérature francophone , s’est fait ressentie dans tous les compartiments de la production littéraire , dans les ouvrages de spécialité mais aussi dans les récits de voyage, les mémoires, les correspondances ou les romans, etc. Les raisons en sont multiples. Premièrement grace à son statut de langue de grande culture et communication : « Si la Révolution et les guerres qui s'ensuivent ternissent la faveur dont jouit le français auprès des élites européennes, beaucoup, à l'ère romantique, lui restent fidèles en tant que langue de communication et d'écriture. »1 Toutefois, les raisons de l'adoption ont changé. « Nombre de ceux qui, pendant la période romantique et postromantique, continuent à écrire en français - qu'il s'agisse de Goethe, de Heine, de Kotzebue, de Calvos et de nombreux Grecs, de Tourgueniev, puis de Tolstoï, etc. - le font pour des raisons qui ne tiennent plus à une histoire culturelle assumée "les yeux fermés", mais à des raisons propres à chacun, idéologiques ou autobiographiques.2» On doit mentionner la situation des écrivains (ex)colonisés, qui ont subi une triple domination, politique, linguistique et littéraire et qui ont fait de la langue d’autrui leur langue d’écriture, comme est le cas de Rachid Boudjedra, d’Albert Camus ou d’Assia Djebar. Cette orientation « n'est pas comparable à la domination spécifique qu'exerce par exemple la langue française sur les écrivains européens ou américains, qui décident - comme Cioran, Kundera, Gangotena, Becket, Strinberg - de l'adopter, quelquefois momentanément, comme langue d'écriture »3 . La question se pose différemment pour Andreï Makine, écrivain français contemporain d’origine russe qui traitera à travers son écriture la situation de la Russie natale et de la communauté russe, étiqueté par les jurnalistes « l’écrivain russe à Paris »4 1Murielle Lucie Clément, L'Entre-deux-mondes chez Andreï Makine, http://www.lavielitteraire.fr/index.php/dossiers/dossier-makine/lentre-deux-mondes 2 Ibid. 3 Id 4 Ibid. , Écrivains franco-russes, Faux Titre, 2008. La Russie n'appartient pas au groupe des pays dominés politiquement, linguistiquement ou littérairement. Elle n'a pas été colonisée comme, par exemple, certains pays d'Afrique. Toutefois, elle fait partie des pays où l'imposition politique a dominé et la censure a régné. Le choix du français comme langue d'écriture est du d'une part, à « sa littérarité supérieure à celle du russe. De l'autre, parce que cette langue, l'écrivain la connaît depuis son enfance. Ecrire autrement en français pour prouver son existence. Ecrire la symbiose des vérités culturelles visualisées dans la transcendance du quotidien. Ecrire la vérité de l'Entre-deux-mondes.. »5 Le crime d’Olga Arbélina6, le cinquième roman d’Andreï Makine, publié en 1998, mais commencé un an avant,a eu comme source d’inspiration une anecdote son auteur racontée. « Une princesse russe vivait dans un village d’immigrés. Les gens pensaient qu’entre elle et son enfant, il y avait… et, à ce moment du récit, les gens se taisaient. J’ai pensé qu’il y avait là - confie Makine- une matière poétique forte, une situation qui dépassait même celle des romans de Dostoïevski, dont les héros s’arrêtent à la frontière.» 7 Le roman s’ouvre avec l’image d’un cimetière russe situé à une ville française, Villiers-la-Forêt, où sont enterrés les immigrés russes ayant fui la Révolution bolchevique et qui ont fondé, dans les années 20, la Horde d’or. Il ne s’agit cependant d’un cimétière quelconque, mais selon l’avis d’une française d’ «un vrais jardin, un peu à l’abandon, où l’on sent toute de suite qu’ils, eux, ont une autre vision sur la mort que nous 8». « Eux », les Russes, « nous », les Français. Cette autre vision sur la mort est mis en scène par un vieillard, « le gardien » du lieu, qui raconte à tous ceux qui veulent l’écouter les déstins des personnes énterrés si loin de leur terre natale. De cette manière nous arrivons à connaître l’histoire d’un danseur de ballet, passe avant le temps où le récit de l’aventurier comte Khodorski. Un jeune étudiant, qui aspire à devenir écrivain, demande au vieillard de lui raconter l’histoire d’une tombe censée appartenir à un homme alors qu’elle porte le nom d’une femme. Une histoire que cet« homme qui évoquait comme pour lui même les 5 Ibid. 6 Andreï Makine, Le crime d’Olga Arbélina Paris, Mercure de France, collection Folio, 1998. 7 Emmanuelle Occelli : Programmation et représentation dans la fabula du désir du lecteur http://revel.unice.fr/cnarra/index.html?id=14#bodyftn9 8 Ibid.,pag 23. êtres dans leur si rapide et si personnel glissement de la vie à la mort 9»va raconter pour la première fois. Olga est alors cette femme de quarante-sept ans que par une journée de juillet 1947, les habitants de Villiers-la-Forêt, découvrent presque nue, mais encore vivante, à côté d’un homme mort, Serge Goletz, ancien officier de l’Armée blanche, le « médecin- entre-nous », sur les berges d’une rivière. Olga est reconnue tout de suite. Réfugiée de la révolution d'octobre, et abandonnée par son mari, Olga s’est installée, avec son enfant hémophile, dans cette ville de province où elle devient bibliothécaire. Son logement était une maison isolée, à l’arrière d’une ancienne fabrique de bière transformée en appartements pour les réfugiés russes. Cette histoire provoquera une agitation considérable parmi les villierois. Dès lors, «Tout le monde à Villiers-la-Forêt durant ces mois s’improvisa conteur et détective10». Olga et Goletz ne se fréquentaient guère, à la connaissance des autochtones : comment expliquer leur promenade en barque et le chavirement ? Qu’en est-il de son amant parisien, un journaliste connu et marié, qu’Olga voyait régulièrement ? Ménage à trois ? Mais l’enquête conclut à un accident et prononce un non-lieu. La nuit tombe et le gardien fait entrer dans sa maison l’écrivain russe, et continue son récit en remontant au 25 août 1946, date à laquelle Olga se fait avorter clandestinement chez Li, une amie d’enfance établiée à Paris. De retour chez elle, Olga reprend ses activités quotidiennes, la vie paisible qu’elle partage avec son enfant malade déjà adolescent, tout en se remémorant son passé : son époux qui l’a quittée lorsque leur enfant n’avait que six ans, son enfance à Ostrov dans la maison nobiliaire où se donnaient des bals costumés, l’interminable révolution bolchevique, son exil, son arrivée à Paris en 1922, la naissance de son fils en 1932, son installation au sein de la communauté russe vieillissante et atone comme un matin de neige. Dans cette ville de province de l’après-guerre français où seules les variations du ciel et des saisons apportent l’improbable, Olga vit hantée par le caractère irrémédiable de sa vie. Solitaire, renfermée, elle ira jusqu’à connaître la folie la plus sombre, jusqu’à devenir étrangère à elle-même et à son propre fils. Dans cette lente observation, entrecoupée d’événements blessants, d’un temps qui passe mais ne passe pas et jamais ne 9 Id., pag 17. 10 Id., pag 39. s’accomplit, surgit la figure de Goletz qui soigne son fils quand son genou enfle à la moindre écorchure, sensible aux charmes d’Olga, trop entreprenant à son goût, sachant sur elle des informations compromettantes. Olga est coupable de l’enceste consentu avec son fils. Celui-ci ajoute, à son insu, un somnifère puissant à son thé pour s'introduire dans son lit. Elle découvre de manière inattendue les faits et gestes de ce dernier. Après le dégoût et le déni, suivent la fascination de l'horreur et viennent, pour Olga, l'acceptation, la jouissance et la culpabilisation, pas nécessairement dans cet ordre. Le titre choisi par l’auteur trompe le lecteur car Le Crime d’Olga Arbélina n’est un roman policier au sens traditionnel du mot qui suit le developpement d’une enquête. Le crime d’Olga n’est pas d’avoir tué Goletz, mais la relation incestueuse entretenu malgré elle au commencement puis consentie avec son propre fils. En vérité, Le Crime d’Olga Arbélina est le récit de plusieurs crimes. Le crime historique fondateur de l’URSS, la Révolution bolchevique aux moyens et aux fins pervertis, le viol de la princesse Olga Arbélina, la relation incestueuse avec son fils, le meurtre du « médecin-parmi-nous », qui espérait la forcer à une rencontre charnelle. Au fil de la lecture, un autre crime est commis, cette fois-ci par le lecteur, qui souille, par son regard, son voyeurisme, le bonheur filial immoral. Le titre donné par Andreï Makine à son roman suit la théorie enoncé par Umberto Eco dans l’ Apostille au Nom de la Rose11 selon laquelle l’auteur ne doit pas suggérer par le titre de son ouvrage le thème, mais plutôt faire le lecteur à s’interroger, à chercher lui- même les sens possiblesde l’oeuvre. Andreï Makine est une figure à part dans la littérature française contemporaine car, bien qu'il écrive en français, il reste, pourtant, un romancier profondément russe. Ce phénomène est expliqué par son appartenance à deux mondes différents qui ont influencé son éducation et sa formation littéraire. Ce dédoublement détermine les sujets de ses romans tirés de l'histoire russe et française, sa perception du monde, ses principes esthétiques formés à la base de deux grandes cultures. Dans ses livres, l'écrivain rend hommage à son enfance et à uploads/Litterature/ le-crime-d-x27-olga-alberkina-ou-le-recit-de-plusieurs-crimes.pdf

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