16 / Ressources n°19 // avril 2018 Comprendre et interpréter des textes littéra

16 / Ressources n°19 // avril 2018 Comprendre et interpréter des textes littéraires RÉSUMÉ Depuis 2010, nous développons une réflexion sur l’enseignement de la compréhension-interpré­ tation à partir des travaux menés au CREN sur la problématisation et le lien que cette dernière entretient avec les apprentissages (Simon, Huchet, & Schmehl-Postaï, 2014 ; 2015). Cette réflexion nous a conduits à élaborer un dispositif didactique, le Parcours Problema Littérature (PPL) qui, se­ lon nous, constitue une modélisation des possibles pour enseigner la compréhension-interprétation des textes littéraires à l’école primaire sur la base des savoirs actuels dans ce domaine (Ahr, 2010 ; Goigoux & Cèbe, 2013 ; Bianco, 2016) et des demandes institutionnelles. En formation initiale et continue, nous proposons à des enseignants stagiaires ou chevronnés d’élaborer des PPL sur des œuvres littéraires pouvant être abordées de la grande section de maternelle au CM2. C’est l’occasion pour nous de présenter le Parcours Problema Littérature comme une modélisation possible de cet enseignement. Cet article, basé sur l’analyse de deux entretiens semi-directifs, montrera comment la mise en œuvre par des enseignants de PPL dans leur classe leur a permis, à un moment donné, d’interroger leur pratique et de la faire évoluer. Les apports dans la formation initiale et continue d’un dispositif innovant pour enseigner la compréhension-interprétation des textes littéraires à l’école primaire : analyse de deux entretiens MOTS CLÉS : compréhension, littérature, problématisation, identité pro­ fessionnelle, dispositif didactique Catherine HUCHET et François SIMON, Laboratoire CREN, ESPE de l’Académie de Nantes, Université de Nantes Ressources n°19 // avril 2018 / 17 COMPRENDRE-INTERPRÉTER UN TEXTE Les recherches actuelles sur la com­ préhension-interprétation (Goigoux et Cèbe 2013 ; Bianco, 2016) listent un certain nombre de compétences que le lecteur doit mobiliser de manière simultanée : - les compétences de décodage ; - les compétences linguistiques (mor­ phologie, syntaxe) qui permettent la mise en œuvre par le lecteur de mi­ croprocessus de traitement de l’infor­ mation ; - les compétences textuelles (cohé­ rence du texte, modalités d’énon­ ciation…) qui permettent la mise en œuvre par le lecteur de macropro­ cessus centrés sur la construction et la mémorisation du texte comme un tout ; - les compétences inférentielles qui permettent au lecteur le traitement de l’information à différents niveaux (microprocessus, macroprocessus et activation des connaissances du lec­ teur) grâce à la réalisation : - d’inférences de liaison prenant ap­ pui sur le traitement des anaphores, des connecteurs, des temps verbaux, etc. ; - d’inférences interprétatives pour tisser le sens du texte en lien avec ses savoirs sur le monde et son expé­ rience de sujet ; - les compétences d’autorégulation grâce auxquelles le lecteur identifie d’éventuelles pertes de compréhen­ sion et active alors des stratégies adéquates (relecture d’un mot, d’une phrase, d’un passage) en lien avec son projet de lecteur. L’ensemble de ces compétences conduit le lecteur à l’élaboration d’un modèle mental de situation (Ecalle & Magnan, 2002). Notre vision des relations qui existent entre ces compétences est présentée dans la figure 1. Comprendre et interpréter des textes littéraires FIGURE N°1 Schématisation des processus mobilisés par un lecteur pour comprendre-interpréter un texte Connaissances et processus activités dans la compréhension-interprétation d’un texte littéraire (Simon, Huchet, 2017) 18 / Ressources n°19 // avril 2018 Depuis une vingtaine d’années au moins, il est établi qu’un enseigne­ ment explicite de la compréhension est nécessaire, notamment pour les élèves les plus fragiles : ces derniers éprouvent des difficultés à opérer des inférences et à réguler leur acti­ vité pour aller au-delà de la surface du texte. Le récent rapport Ifé Lire et écrire souligne ainsi « qu’un rôle es­ sentiel de l’enseignant dans l’étayage des apprentissages consiste à ame­ ner les élèves à [cette] clarté cogni­ tive, en explicitant et en faisant expli­ citer et clarifier le fonctionnement de l’écrit, les stratégies, les buts et les enjeux. » (Goigoux, 2016, p. 42). Deux approches de l’enseignement de la compréhension-interprétation Bien que les chercheurs s’accordent sur les processus en jeu pour com­ prendre un texte, leurs propositions divergent quant aux choix à opérer pour les enseigner. Certains cher­ cheurs privilégient une approche modulaire basée sur l’enseignement de chaque compétence de manière isolée. D’autres, sans nier parfois les apports possibles d’une approche modulaire, privilégient une approche multi-dimen­ sionnelle intégrée dont le fil conducteur est la ri­ chesse littéraire et symbo­ lique du texte lu en classe. Dans cette seconde approche, les différentes compétences sont mobili­ sées de manière simultanée comme le fait un lecteur en situation réelle de lecture. Ce choix a pour finalité de répondre aux problèmes de transfert des apprentissages posés de manière plus sensible dans une approche mo­ dulaire. Nos différents travaux (Simon, Hu­ chet, & Schmehl-Postaï, 2014 ; 2015) en proposant une modélisation de l’enseignement de la compréhen­ sion-interprétation nourrie de la théorie du questionnement (Meyer, 2001) et de celle de la problématisa­ tion (Fabre, 2009, 2016) s’inscrivent dans cette approche multi-dimen­ sionnelle intégrée. Le Parcours Problema Littérature Meyer (2001, p. 95) définit la lecture de récit comme une activité de ques­ tionnement, c’est-à-dire une activité « problématologique » qui consiste à envisager le texte comme une ré­ ponse à une question que ce dernier « figure ». Comprendre-interpré­ ter ce qu’un récit veut dire consiste donc pour le lecteur à (re)construire, à partir du sens littéral des phrases, la question figurée qui permet de sai­ sir ce récit comme un tout. Comme le précise Fabre (2016), reprenant les travaux de Meyer, la question figu­ rée par le texte n’est pas forcément celle que l’auteur avait en tête au mo­ ment où il l’a écrit. Elle n’est pas non plus une pure création de la part du lecteur car si certains passages du texte laissent ouverts les possibles, d’autres, au contraire, contraignent l’interprétation. D’ailleurs un débat interprétatif ne peut voir le jour que s’il existe entre les lecteurs un ac­ cord, aussi minime soit-il, à partir duquel ils peuvent discuter. Ainsi « le sens d’un texte réside […] au cœur du texte, comme la problématique fon­ damentale qui l’anime, dont l’auteur n’est sans doute que partiellement conscient et qui ne sera jamais épui­ sé par ce qu’en diront les lecteurs » (Fabre, 2016, p. 31). Comprendre un récit nécessite alors de mener une enquête, telle une en­ quête policière (voir Fabre, 2016), qui consiste pour le lecteur, grâce à ses connaissances littéraires et à son ex­ périence de sujet, à sélectionner les données textuelles pertinentes lui permettant de construire une ques­ tion, une problématique à laquelle le texte, envisagé comme un tout co­ hérent, peut répondre. Ce repérage de données potentiellement perti­ nentes pour poser un problème et le résoudre se fait notamment à partir de l’identification d’« intensificateurs rhétoriques » (Meyer, 2001, p. 105) qui rendent certaines données plus sail­ lantes que d’autres. Le dispositif que nous avons élaboré (Huchet, Schmehl-Postaï, & Simon, 2015) dessine des possibilités d’ac­ compagnement des élèves pour leur Nos travaux [...] s’inscrivent dans une approche multi-dimentionnelle intégrée. Ressources n°19 // avril 2018 / 19 apprendre à questionner des œuvres issues de la littérature de jeunesse. Ces possibilités sont fédérées autour de trois grands axes : - L’entrée dans l’œuvre est un mo­ ment essentiel pour permettre aux élèves de commencer à mener l’en­ quête sur le texte ; - L’avancée en termes de lecture de l’œuvre peut suivre différentes moda­ lités en fonction de l’âge des élèves : lecture à haute voix de l’enseignant, lecture silencieuse ou à haute voix des élèves ; - La régulation des apprentissages des élèves en termes de compréhen­ sion-interprétation se réalise lors de pauses spécifiques au cours de l’avancée dans l’œuvre. Il ne s’agit pas alors pour l’enseignant de s’ériger en « contrô­ leur » du sens du texte : ces pauses de régulation, basées sur des tâches de rappel, d’anticipation ou de transposition (voir plus loin), donnent lieu à des débats interprétatifs afin que se déploient les argumentations des élèves basées à la fois sur leur monde de lecteur et le monde du texte (voir Fabre, 1989). Ces débats visent en effet à identifier les données textuelles pertinentes qui pourraient venir répondre à l’enquête menée sur l’œuvre lue. Les activités de rappel demandent aux élèves de prendre en compte les don­ nées d’une portion de texte déjà lue dans une perspective de construction d’un modèle mental de la situation (Ecalle & Magnan, 2002). Les activités d’anticipation de­ mandent aux élèves de produire de nouvelles données en lien avec le texte existant. Il s’agit ici d’éprouver les capacités de l’élève à se projeter dans une suite possible cohérente avec les données textuelles jugées comme pertinentes. Cette tâche d’anticipation constitue donc une oc­ casion d’explorer et de délimiter un champ des possibles (Orange, 2006) dans le cadre de l’enquête menée sur le texte pour le reconstruire comme un tout fédéré par une problématique. Dans l’activité de transposition, l’en­ seignant demande aux élèves de pro­ duire de nouvelles données (transpo­ sition de l’histoire à son propre vécu ; transposition de l’histoire en chan­ geant d’époques, de types de person­ nages, etc.). Chaque tâche uploads/Litterature/comprendre-et-interpreter-textes-litteraires.pdf

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