1 LA TRADITION GNOSTIQUE EN ANGLETERRE ETIENNE COUVERT LECTURE ET TRADITION, N°
1 LA TRADITION GNOSTIQUE EN ANGLETERRE ETIENNE COUVERT LECTURE ET TRADITION, N° 373-374, MARS-AVRIL 2008, P. 6-31 1/ La gnose des Humanistes. Erasme et Thomas More 2/ Le «cas» Shakespeare 3/ La gnose des Utopistes : a/ Bacon et la « Nouvelle Atlantide » b/ Milton et « Le Paradis perdu » 4/ Les sources anglaises de la maçonnerie 5/ La gnose des Romantiques : Blake, Byron, Shelley 6/ La gnose contemporaine : Aldous Huxley 7/ Bibliographie La gnose est entrée tardivement en Angleterre. Elle y a été introduite par les Humanistes de la Renaissance au XVIe siècle seulement. Nous avons déjà exposé les grandes thèses de cet humanisme renaissant et leurs rapports avec la Gnose dans notre étude «Gnose et Humanisme» (Etienne Couvert, La gnose contre la foi, chap. II, Ed. de Chiré, 1989). Il est bien nécessaire de rappeler les orientations majeures de cette gnose et son impact sur l'Angleterre. Elle se caractérise par une exaltation de l'homme, une recherche passionnée de son épanouissement dans la multi- plicité des plaisirs «qui assaisonnent la vie», selon Thomas More. Le refus absolu de toute ascèse, de toute privation et de tout sacrifice. On veut bien imiter Jésus dans ses vertus naturelles, mais on a rejeté tout un pan de l'Evangile qui de- mande un dépassement de soi. La religion des Humanistes se ramène à la sagesse antique, avec une notion toute païenne de la perfection et de la noblesse. On connaît les imprécations d'Erasme contre les moines : «cette race d'hommes du plus bas étage, mal pétris de ma- lice, aussi noirs, aussi infects, aussi abjects que le scarabée. Leur noirceur effraie, leur bourdonnement assourdit, leur odeur dégoûte». Mais en Angleterre ce mépris de la vie religieuse se conjugue bien avec le respect des habitudes, des coutumes, des rites et des traditions dans la vie familiale et mondaine, avec un souci de la respectabilité dans les manières de se com- porter. On conserve les cadres sociaux et religieux, mais l'intelligence est déjà faussée et rêve d'un monde où toutes ces barrières sociales et ces limitations seront volatilisées, un monde de plaisirs sans contraintes, celui de l'Utopie. Thomas More fut condamné au martyr par fidélité au caractère sacré du mariage, mais toute sa vie, il aura rêvé d'un monde où le mariage n'existerait plus. Une attitude bien britannique est celle de l'humour, qui consiste à prendre les choses de la vie avec le sourire, une sorte d' ironie moqueuse qui, appliquée aux principes religieux, à la doctrine morale, devient corrosive. Elle fait perdre le goût de la vérité, la fermeté de la pensée, les exigences et les nécessités de l'ordre. Elle dissout l'énergie du caractère et laisse l'esprit désarmé devant les fauteurs d'hérésie et de révolte sociale ou religieuse. A cette ironie s'ajoute une sympathie bienveillante pour les prêcheurs d'hérésies. L'évêque Gardiner, un ami de Thomas More, écrit : «Au moment où Robert Barnes fut accusé, je le connaissais bien et je n'étais pas considéré comme son ennemi et pourtant, Dieu merci, je n'ai jamais été bien disposé pour d'aussi étranges opinions que celles que lui et d'autres commencèrent bientôt à proclamer follement. Mais, comme il n'y avait pas alors de malice en eux et qu'ils avaient avec nous des entretiens où l'on trouvait quelque saveur de science, j'étais familier avec cette sorte de gens et j'étais alors attristé du sort de Barnes». Gardiner ajoute en marge : «Presque tous ceux qui sont devenus fameux (comme protestants) ont été de mes relations particulières. J'ai aimé ces hommes et j'ai toujours haï leurs méchantes opinions depuis le commencement». Voilà ce que nous avons appelé «un état d'âme humaniste». Ces prêcheurs d'Hérésie sont bien sympathiques, mais pourquoi donc soutiennent-ils des opinions si étranges ? des opinions monstrueuses ? Ils sont savants, pleins de bonté ; ils ont une conversation si agréable ! Gardiner écrit à son ami Somerset : «J'ai été aussi bien disposé que quiconque en- vers le nom d'Erasme, mais je n'avais jamais étudié son livre jusqu'à présent et maintenant je suis d'accord avec ceux qui ont dit : Erasme a pondu les œufs et Luther les a couvés». Les méchants ont été merveilleusement encouragés par ce livre dans toutes les opinions monstrueuses qui se sont récemment manifestées. L'amitié va peu à peu briser la résistance de Gardiner qui finira par agréer les opinions "monstrueuses et si étranges". C'est ainsi que se font les Révolutions. Toute l'élite intellectuelle et religieuse en Angleterre avait progressivement as- similé les projets réformistes et elle était toute préparée à en assurer le succès bien avant le Schisme. Les historiens ont pris l'habitude de nous raconter la querelle d'Henri VIII avec Rome à propos de son divorce, présenté comme la cause du Schisme. Si cette querelle fut l'occasion qui a favorisé la rupture, celle-ci était déjà dans les esprits auparavant et n'a pas trouvé une résistance énergique de la part du pays. On peut comparer le cas de l'Angleterre avec celui de la France à la même époque. C'est tout le pays qui s'est soule- vé contre la Réforme, avec une énergie farouche, après avoir assassiné deux rois, incapables de rétablir l'ordre dans le royaume. 1/ LA GNOSE DES HUMANISTES Cet "état d'esprit humaniste" se retrouve chez Thomas More, dont toute la formation a été faussée par l'idéologie ré- formiste, telle qu'on la retrouve dans son véritable testament : L'Utopie. Il se manifeste déjà dans son attitude à l'égard 2 des Protestants. De par sa fonction de Chancelier, il doit les poursuivre, mais il le fait avec beaucoup de ménagements et de douceur. Il favorise leur évasion, déclarant comprendre leur désir de trouver un gîte plus convenable. Il lui arrive même de recueillir chez lui, sous son toit, tel hérétique, comme Simon Grynoeus et de l'aider de sa bourse et de ses con- seils pour le soustraire à la police royale. La formation première de Thomas lui est venue de son admiration pour les humanistes italiens. En 1505, il publie une vie de Pic de la Mirandole. Il le présente comme son modèle et lui demande d'exprimer les propres mouvements de son esprit. Le monde est revêtu d'une nouvelle beauté à l'aube de la Renaissance. Dans son œuvre subséquente, dans L'Utopie, dans sa controverse avec Luther, dans son Dialogue du réconfort dans l'épreuve, on retrouve cette exaltation d'un monde qui a retrouvé son harmonie et d'une réduction finale du mal dans le bien, qui est la forme à peine modifiée du retour à l'Unité Primordiale chantée par tous les gnostiques. Or, Pic de la Mirandole a introduit chez les Humanistes italiens les thèmes de la Kabbale juive et ceux-ci vont appa- raître à sa suite dans la littérature (Etienne Couvert, La Gnose contre la Foi, p.52). More a lu Pétrarque et retenu son mépris de la scolastique et son admiration pour Platon. Il a également lu Marsile Fi- cin de Padoue. C'est là qu'il a trouvé cette identification de la Sagesse chrétienne avec la Sagesse antique destinées à se rejoindre dans une manifestation unique de l'âme, étincelle divine, déjà religieuse par sa nature, en se référant à l'Epître aux Romains (ch. 1 à 8) et au Néoplatonisme. More communie intensément à ces idées nouvelles. Il a été initié par ses amis Th. Linaere et surtout John Colet. Ce dernier que More a choisi comme ami et conseiller, avait tout à fait l'étoffe d'un Luther. Il s'attacha au roi Henri VII Tudor qui le nomma doyen de Saint-Paul à Londres, à 36 ans. C'était aux yeux d'Erasme , «une des grandes lumières du clergé». Il avait lu Platon et Plotin. Il avait visité tous les hauts lieux de l'Humanisme en Italie. Peu conformiste, convaincu qu'il fallait secouer la poussière de la vieille religion, il s'installa en 1496 à Oxford, où il expliqua les épîtres de saint Paul selon une exégèse intuitive qui provoqua de violentes controverses. Il critiquait violemment les moines. En 1521, il faillit se rallier à Luther, mais Erasme l'en dissuada. C'est lui qui entraîna More contre la scolastique. Faisant parler son héros auquel il s'identifiait : «Il ne laissa passer aucun de ces captieux chausse-trappes de la scolastique. Il n'y avait rien qu'il ne haïssait plus que cela. Ces subtilités, disait il, n'ont d'autre but que d'humilier des personnes fort instruites mais ignorantes de ces bagatelles». Les Humanistes avaient entrepris de multiplier les traductions de la Bible en langues vulgaires, avec des variantes et des interprétations nombreuses et divergentes. Auparavant l'Eglise ne reconnaissait que la Vulgate de saint Jérôme, comme son texte officiel. Au siècle précédent, Wiclef et ses disciples avaient répandu dans le peuple des traductions qui remettaient en cause les traditions théologiques, provoquant de multiples discussions et polémiques. Un concile d'Oxford de 1402 défendit sous des peines très sévères, de répandre toute traduction qui n'aurait pas d'abord été approuvée par un synode diocé- sain ou par un concile provincial. Tyndale publia à Worms en 1526 une traduction du Nouveau Testament en 6.000 exemplaires qui ont rapidement passé en Angleterre. 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- Publié le Sep 23, 2022
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