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Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), Université de Genève, septembre 2010 ETUDE COMPAREE DE DEUX ALBUMS DE « FICTION REALISTE » : COMMENT L’INTRIGUE QUESTIONNE LES CONNAISSANCES SUR LE REEL? Catherine Bruguière*, Eric Triquet** * Université Claude Bernard – Lyon 1 et LEPS Université de Lyon IUFM de Lyon, 5 rue Anselme, 69 004 Lyon cedex 4 cathbruguiere@aol.com ** Université Joseph Fourier-Grenoble 1 et LEPS Université de Lyon IUFM de Grenoble-Université, 30 avenue Marcelin Berthelot, 38 100 Grenoble eric.triquet@ujf-grenoble.fr Mots clés : Album de jeunesse - récit de fiction - Intrigue - Apprentissage scientifique - Ecole primaire Résumé. L’enjeu de la communication est de montrer comment certains albums de fiction pour la jeunesse sont porteurs de savoirs scientifiques. L’étude présentée s’appuie sur une analyse comparative de deux albums de « fiction réaliste » dans le but de fournir les premiers éléments d’une caractérisation de ce type d’albums et d’identifier la façon dont l’intrigue se double d’un questionnement sur le réel qui ouvre sur des pistes pour l’enseignement et l’apprentissage des sciences à l’école primaire. Nous analysons an particulier comment des éléments scientifiques sont implicitement convoqués pour mettre en place la complication qui fonde l’intrigue, puis sa résolution amenant le lecteur à interroger sa propre compréhension du réel. Introduction et contexte La forte désaffection des jeunes à l’égard des études scientifiques contraste avec l’engouement des jeunes pour des récits de fictions littéraires ou télévisuelles qui placent la science au cœur de leur propos, récits qui vont parfois s’imposer comme discours de référence dans la classe. On comprend alors l’intérêt d’étudier en didactique des sciences les albums de fiction pour la jeunesse, qui constituent un secteur d’édition en plein essor car ils sont lus tant dans le cadre familial que scolaire1. Nous avons pu montrer dans une première étude que certains d’entre eux offrent des récits qui ouvrent sur des questionnements propices aux apprentissages scientifiques à l’école primaire (Bruguière et al., 2007). Ces albums sont à rattacher à un type de récit que nous qualifions à présent de « fiction réaliste »2 dans la mesure où ils intègrent les sciences de manière détournée sans intention avouée de transmettre des connaissances scientifiques comme c’est le cas des albums documentaires. L’enjeu de notre communication est de mettre au jour la portée didactique de ces albums de « fiction réaliste » à travers une étude comparée de deux albums pour lesquels le récit est régi par des savoirs scientifiques en rapport avec le développement biologique des animaux : « La promesse » (Jeanne Willis et Tony Ross, Folio Benjamin, 2001 trad. 2003) et « Un poisson est un poisson » (Léo Lionni, L’école des loisirs, 1974, trad. 1981). Le but de ce travail de fournir les premiers éléments d’une caractérisation de ces albums de « fiction réaliste » et d’identifier en 1 Il existe depuis 2002 une liste d’albums publiée au niveau des instructions officielles de l’école primaire qui a été renouvelée en 2004 puis en 2007 2 Qu’il s’agit de distinguer des récits de science fiction qui relèvent d’un genre narratif structuré par des hypothèses sur ce que pourrait être le futur et/ou des univers inconnus, en partant des connaissances actuelles. Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), Université de Genève, septembre 2010 particulier la façon dont l’intrigue se double d’un questionnement sur le réel qui peut ouvrir des pistes pour l’enseignement et l’apprentissage des sciences à l’école primaire3. 2. Cadre de référence Le choix de nous intéresser au récit de fiction pour questionner l’apprentissage des sciences tient à deux raisons essentielles. D’une part, les récits sont considérés par de nombreux auteurs comme fondamentaux dans la pensée humaine. Selon Bruner (2002), nous possédons le début de la vie une sorte de prédisposition pour les récits. Fayol (1994) souligne à ce propos que les enfants disposent dès six ans d’une structure narrative comparable à celle des adultes. Une idée développée par Paul Ricœur (1984) est que le récit ne se limite pas à la narration, mais qu’il ouvre sur une interprétation. D’autre part, les travaux de Latour et Woolgar ont montré que, jusque dans le champ scientifique, le mode narratif de l’explication joue un rôle essentiel. Pour Bruner (1996 ) ou Ogborn et Millar (1998) il existe bien des analogies entre le récit et l’explication scientifique, en particulier au niveau de la relation entre des personnages et une série d’événements problématiques auxquels réagissent ces personnages. 2.1 L’intrigue au cœur du récit de fiction Veyne (1971) propose la notion d’intrigue, reprise ensuite par Ricœur comme le trait caractéristique du récit de fiction. Pour ces auteurs, l’intrigue se trouve au centre du récit, elle correspond à l’ensemble des situations et des événements, c’est-à-dire à la structure profonde, au schéma général du récit. L’intrigue est composée d’une hiérarchie d’épisodes imbriqués et emboîtés. On retrouve ici le sens étymologique du terme intrigue (du latin intricare), qui signifie en latin « complication, imbroglio », l’intrigue d’un récit apparaissant comme le détail de ses péripéties, de ses épisodes. Le plus petit épisode récurrent dans un corpus donné est le motif de l’intrigue : motif par exemple, de la chaussure perdue qui ne convient qu’à une seule personne dans Cendrillon, motif du faux nom « Personne » dans l’Odyssée. On peut caractériser un récit par le degré de complexité de son intrigue. Un récit simple est considéré comme un récit avec un seul motif qui présente les caractéristiques structurales suivantes (Molino, 2003) : « à partir d’une situation initiale rapidement esquissée se produit un événement inattendu, remarquable et surprenant… Le récit est construit de façon à conduire inexorablement à une conclusion qui constitue le point culminant du récit, qui consiste souvent en un renversement dramatique inattendu ». Le récit est porté par le caractère exceptionnel de l’événement. Molino ajoute que l’intrigue comporte une dimension de rapport interpersonnel entre les protagonistes qui touche à l’évolution psychologique des personnages. Or, les événements revêtent leur pleine signification que par les réactions qu’ils provoquent dans la conduite des personnages. La tension narrative participe de l’intrigue qui repose d’une certaine façon sur une mise en scène de la discordance, des conflits générés par l’événement perturbateur. On voit ici apparaître deux ressorts de l’intrigue, le suspense (ce qui tient en haleine le lecteur) qui repose sur l’enchaînement chronologique des actions et le motif qui appelle l’enchaînement logique et causal des événements. Ces deux plans s’impliquant mutuellement dans l’élaboration du nouement et du dénouement du récit. Dans le schéma quinaire du récit (Larivaille, 1974), le récit se définit – avant tout – comme la transformation d’un état initial à un autre état final. C’est la transformation elle-même plus que l’événement déclencheur (la complication) de cette transformation qui est considéré comme structurante pour le récit. Pour autant si aucun événement ne vient bousculer la situation initiale, aucune transformation ne se produira, l’état initial sera conservé. Le récit suppose par conséquent 3 Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une recherche sur la fonction du récit de fiction dans l’apprentissage scientifique à l’école primaire, menée au sein du cluster 14 de la Région Rhône-Alpes, réunissant des chercheurs français de plusieurs champs disciplinaires (didactique des sciences, philosophie de la connaissance, sciences de l’information et de la communication). Actes du congrès de l’Actualité de la recherche en éducation et en formation (AREF), Université de Genève, septembre 2010 nécessairement une intrigue qui s’inscrit dans le passage d’un état à un autre. L’intérêt du modèle de Larivaille est d’envisager trois étapes dans le processus de transformation : - La complication (à rapprocher du motif) : elle est marquée par un événement déclencheur de l’histoire et vient rompre l’état d’équilibre ; - La résolution : elle correspond à l’enchaînement des actions enclenchées par la phase précédente de provocation et constitue le temps permettant de résoudre la complication (à rapprocher du suspense et des évènements logiques appelés par le motif) ; - La sanction : elle clôt le processus des actions en instaurant un nouvel ordre qui sera maintenu jusqu’à la prochaine complication. En conséquence, nous proposons d’examiner le récit de fiction comme organisé autour d’une mise en intrigue générée par différentes tensions (entre les personnages, temporelle…) qui se déploie selon différentes transformations (autant de péripéties ou de complications qui participent à la résolution de la complication principale) permettant de passer d’un état initial à un état final, d’une situation de conflit à une situation de réconciliation. 2.2 La fonction de l’intrigue dans le questionnement scientifique problématique Si l’intrigue est structurante pour le récit de fiction, elle nous semble tout autant opérante dans l’activation d’un questionnement scientifique problématique. On trouve chez différents auteurs en effet différents points de convergence épistémologique entre la fiction et la problématisation scientifique. Une histoire, nous dit Jérôme Bruner (2002), commence lorsqu’apparaît une brèche dans l’ordre des choses auquel nous nous attendons. Or de la même façon, dans un problème scientifique empirique, comme nous le rappelle Laudan (1977), « quelque chose de bizarre » apparaît et appelle une explication. uploads/Litterature/etude-comparee-de-deux-albums.pdf

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