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Creative Commons Attribution-NonCommercial-ShareAlike 4.0 International (CC BY-NC-SA 4.0) Sens-Public, 2014 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 20 jan. 2023 10:44 Sens public Fugue du temps Le "Miroir" d’Andreï Tarkovski Jean-Yves Heurtebise 2014 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1052438ar DOI : https://doi.org/10.7202/1052438ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Département des littératures de langue française ISSN 2104-3272 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Heurtebise, J.-Y. (2014). Fugue du temps : le "Miroir" d’Andreï Tarkovski. Sens public. https://doi.org/10.7202/1052438ar Résumé de l'article Dans ses livres sur le cinéma, Deleuze le définissait comme un art de la présentation visuelle indirecte (Image Mouvement) ou directe (Image Temps) du temps (Deleuze 1983, 1985). Alors que les écrits de Tarkovski sont une référence constante, Deleuze ne consacre pourtant pas d’étude spécifique sur les formes du temps dans le cinéma de Tarkovski. Pour pallier à cet oubli, la manière dont le Temps est mis en image dans Le Miroir sera analysée à la lumière de la manière dont le Temps est pensé par Tarkovski au niveau biographique, historique, et mystique. Nous verrons comment, dans son film Le Miroir, Tarkovski établit tout un circuit entre les souvenirs personnels, les images d’archives, les images du rêve et les symboles de l’inconscient afin de donner à voir/entendre une nouvelle forme/fugue du Temps. Revue internationale International Web Journal www.sens-public.org Fugue du temps : Le Miroir d’Andreï Tarkovski JEAN-YVES HEURTEBISE Résumé : Dans ses livres sur le cinéma, Deleuze le définissait comme un art de la présentation visuelle indirecte (Image Mouvement) ou directe (Image Temps) du temps (Deleuze 1983, 1985). Alors que les écrits de Tarkovski sont une référence constante, Deleuze ne consacre pourtant pas d’étude spécifique sur les formes du temps dans le cinéma de Tarkovski. Pour pallier à cet oubli, la manière dont le Temps est mis en image dans Le Miroir sera analysée à la lumière de la manière dont le Temps est pensé par Tarkovski au niveau biographique, historique, et mystique. Nous verrons comment, dans son film Le Miroir, Tarkovski établit tout un circuit entre les souvenirs personnels, les images d’archives, les images du rêve et les symboles de l’inconscient afin de donner à voir/entendre une nouvelle forme/fugue du Temps. Contact : redaction@sens-public.org Fugue du temps :Le Miroir d’Andreï Tarkovski Jean-Yves Heurtebise « Un instant est l’éternité, L’éternité est maintenant ; Voir à travers cet instant, C’est voir à travers celui qui voit1. » Introduction : puissances du Cinéma « Le merveilleux et le schématisme propres à l’Imaginaire s’y trouvent donnés d'avance et, dans le même temps, s’y expriment avec une grande précision »2 On pourrait dire ceci aussi du film Le Miroir d’André Tarkovski. Dans Le Miroir, le cinéma semble étendre la puissance de son emprise sur le réel à ce qui déborde le réel. Rendre visible l’invisible (au moyen d’images), au titre où Deleuze disait de la musique, rendre audible les puissances non sonores (au moyen de « notes »)3. Rendre visible la région obscure où le « réel » et « l’irréel », l’actuel et le virtuel (au sens bergsonien : présent insistant et passé consistant), se rencontrent : arpenter4 cette région doublement en marge à la fois du réel connu et de l’esprit conçu. Le cinéaste est comme le Stalker du film du même nom : un être arpentant sans fin un territoire mouvant5 ; un guide qui cartographie l’espace en même qu’il le déchiffre6. Lui seul connaît la morphologie de ce territoire où se chevauchent la part cachée du réel et la part « refoulée » de la conscience. Comme le Stalker, son activité est ambigüe car l’espace qu’il découvre n’existe que pour autant qu’on y croit, 1 Kuan, Wu-men, Les Fleurs de Bouddha, Une anthologie du bouddhisme, texte choisis et présentés par Pierre Crépon, Albin Michel, 1991. 2 Klee, Paul, Théorie de l'art moderne, 3. Credo du créateur, Gonthier, Denoël, 1985. 3 Deleuze, Gilles, Deux régimes de fous : Textes et entretiens, 1975-1995, « Le temps musical », Minuit, 2003. 4 Et Klee lui-même décrivait ces œuvres comme un cartographe de l’imaginaire, par exemple « Faisons à l’aide d'un plan topographique un petit voyage au pays de Meilleure Connaissance […] La première étape est enfin atteinte. Avant de nous endormir, maintes choses vont ressurgir en souvenirs, car ce tout petit voyage abonde en impressions. » 5 André Habib, « Revoir Stalker (avec un détour sur The Road to Nod) », Hors-Champ, août 2007 : « La Zone change à mesure qu’on la traverse. Du coup, les espaces sont forcément déconnectés, incompossibles. » Article publié en ligne : 2014/05 http://sens-public.org/ecrire/?exec=articles&id_article=936 © Sens Public | 2 JEAN-YVES HEURTEBISE Fugue du temps :Le Miroir d’Andreï Tarkovski qu’on y incarne nos désirs et nos doutes : à la fois génial faussaire et vrai mystagogue, le cinéaste crée un monde dont l’artificialité peut donner jour à l’expression d’une à la fois vérité existentielle et intemporelle7. Dans Le Miroir, le cinéma semble avoir produit une de ses œuvres les plus abouties. La puissance imaginaire incarnée dans l’image fait de chaque scène un ilot plastique qu’entoure un océan visuel. De ce point de vue, la Mer de Solaris métaphorise ce statut de l’image dans le cinéma de Tarkovski en même temps qu’elle « métonymise » le rapport du présent au passé qui lie chaque image à une mémoire à la fois autobiographique et universelle. Ce que nous permet le film Le Miroir de Tarkovski, c’est de penser le Temps autrement. Nous essaierons d’analyser le film en montrant comment il articule non seulement des strates temporelles différentes au niveau de sa trame narrative (enfance, adolescence, âge adulte) mais plus encore des niveaux de temporalité distincts (du moins au plus profond) au niveau de sa forme plastique : souvenir personnel, mémoire collective, temps métaphysique. 1. Souvenirs Le Miroir est le quatrième long métrage de Tarkovski (après L’Enfance d’Ivan –1962, Andreï Roublev –1966– et Solaris –1972). De tous ses films, Le Miroir est celui auquel il semblait le plus attaché8 et qu’il présentait comme étant également le plus autobiographique9 (de fait le premier titre proposé pour le film fut Confession10). Nous commencerons par explorer ce premier niveau du temps présent dans le film. Tarkovski est né en 1932 et mort en 1986. C’est sans doute le cinéaste russe le plus connu après Eisenstein et sans doute le plus opposé, non seulement dans sa manière de filmer mais aussi dans sa métaphysique, à ce même Eisenstein11. Au montage dialectique qui doit permettre la prise de conscience des contradictions réelles, Tarkovski oppose le plan séquence comme 6 On pourrait aussi songer ici à la fois à la manière dont Resnais dans son film Van Gogh faisait de la toile un espace cinématographique sur lequel on devenait capable d’errer et comment inversement, Kurosawa dans Rêves, à partir de Van Gogh également, faisait de l’écran un espace plastique à l’intérieur duquel il devenait possible d’entrer. 7 Cf. Gilles Visy, « Stalker de Tarkovski : reconstruction philosophique du monde », in Films cultes - culte du film, EPU, 2006 : « Le cinéma est un art capable de créer un univers absolu. Stalker reste une création de la pensée, une reconstruction sensible du monde et le personnage du « Stalker » exprime cette sensibilité dans son dévouement pour les autres. » 8 Tarkovski, Andrei, Sculpting in Time, University of Texas Press, 2003, p. 133. 9 Tarkovski, Andrei, Sculpting in Time, University of Texas Press, 2003, p. 158. 10 Johnson, Vida T. & Petrie, Graham, The films of Andrei Tarkovsky: a visual fugue, Indiana University Press, 1994. Article publié en ligne : 2014/05 http://sens-public.org/ecrire/?exec=articles&id_article=936 © Sens Public | 3 JEAN-YVES HEURTEBISE Fugue du temps :Le Miroir d’Andreï Tarkovski contemplation sensible du temps : ‘‘the film is like a river ; the editing must be infinitely spontaneous, like nature itself12”. Cette opposition à Eisenstein n’est peut-être pas sans rapport avec les difficultés que connaîtra Tarkovski tout au long de sa vie, avant l’exil en Europe, avec le comité soviétique de surveillance des films, Goskino13. De fait, le film Le Miroir, réalisé assez rapidement entre septembre 1973 et mars 1974, dans une ambiance de grande connivence entre tous les membres du tournage14, connaîtra des difficultés du fait des réticences des collègues de Tarkovski au sein de la compagnie nationale de production Mosfilm15. Finalement, le film sort en Russie début 1975, dans quelques salles et avec 73 seulement copies au total mais rencontre un très large succès puisqu’il affiche complet pendant plusieurs mois. Le film ne sera montré à l’étranger qu’en 1978. Sur le plan biographique, il faut rappeler certains faits qui permettent de saisir l’inscription du film dans le domaine du Souvenir. Tarkovski uploads/Litterature/fugue-du-temps-jean-yves-heurtebise.pdf

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