Citations philosophiques expliquées Florence Perrin Alexis Rosenbaum © Groupe E
Citations philosophiques expliquées Florence Perrin Alexis Rosenbaum © Groupe Eyrolles, 2007 ISBN 978-2-212-53825-0 Première partie Le sujet Chapitre 1 La conscience et l’inconscient C i t a t i o n s p h i l o s o p h i q u e s e x p l i q u é e s 12 © Eyrolles Pratique Blaise Pascal (1623-1662), Pensées 1 Qu’y a-t-il de plus misérable qu’un homme ? Éphémère locataire d’une planète perdue dans un canton de l’univers, son existence n’est qu’un bref hoquet entre la naissance et la mort. Ses forces sont dérisoires : un choc mal placé, une simple vapeur de poison, suffisent à le tuer. Même la raison qui fait sa fierté ne saurait le sauver : il ne sait ni d’où il vient ni où il va, et tombe d’incertitudes en erreurs, sans point fixe pour le soutenir. Pourtant, n’est-ce pas cette clairvoyance, cette conscience d’être misé- rable, qui le hisse d’emblée au-dessus du reste de la Création ? Car, quand bien même « l’univers l’écraserait, remarque Pascal, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien ». La conscience inverse ainsi l’ordre des valeurs : parce qu’il est doué de pensée, l’homme est investi d’une grandeur paradoxale, née de la compré- hension de sa propre petitesse. Pourquoi chercher la dignité humaine dans une contradiction ? Le propos s’éclaircit si l’on se réfère à la religion chrétienne, dont Pascal fait l’apologie. La grandeur de l’homme lui vient de son origine divine, et sa misère du péché originel. Nous tourner vers la première serait source d’orgueil ; nous affliger du second serait motif de désespoir. Mais l’amour de Jésus-Christ, incarnation sublime de Dieu dans la misère humaine, permet de nous reconnaître et de nous vouloir semblables à Lui. « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant. » 1. Garnier-Flammarion, texte établi par L. Brunschvicg, 1976, § 347, p. 149. 1 . L a c o n s c i e n c e e t l ’ i n c o n s c i e n t © Eyrolles Pratique 13 Deux siècles après Pascal, le philosophe allemand Friedrich Nietzs- che se moquera lui aussi de l’orgueil humain. Mais en recherchant la grandeur de l’homme une fois écartées ses prétentions, il aboutira à une toute autre conclusion : « Tu dis “moi” et tu es fier de ce mot. Mais ce qui est plus grand, c'est ce à quoi tu ne veux pas croire – ton corps et sa grande raison. » René Descartes (1596-1650), Discours de la méthode 2 La célébrité de la formule en occulte l’originalité car il ne va pas de soi de déduire son être de sa pensée. Comment la conscience peut-elle être la preuve de notre existence ? L’ambition cartésienne est d’obtenir une vérité indubitable. Or, la maté- rialité du monde extérieur, que nous tenons pour évidente, n’est pas si certaine que cela, comme en témoignent nos illusions d’optique, ou encore l’expérience courante du rêve, dont l’impression de réalité est très convaincante. De même, la familiarité entretenue avec notre corps, si elle semble être un témoignage plus concret de notre être, ne résiste pas à un examen attentif, ainsi que l’illustrent les témoignages d’ampu- tés qui éprouvent des sensations de leur membre « fantôme ». Par conséquent, le monde, pas plus que le corps, n’offre de vérité certaine. En revanche, si je peux douter de tout, le fait même de douter, donc de penser, est une réalité indiscutable. Le contenu de ma pensée, ce que j’imagine, mémorise ou calcule, peut s’avérer faux ou illusoire ; cela ne remet pourtant pas en cause la présence de ma pensée qui demeure « Je pense, donc je suis. » 2. Garnier-Flammarion, 1966, Quatrième partie, p. 61. C i t a t i o n s p h i l o s o p h i q u e s e x p l i q u é e s 14 © Eyrolles Pratique hors de doute. Quand bien même j’affirmerais que je ne suis pas, je ne cesserais pas d’être pour autant. Voilà pourquoi si je pense (cogito), alors je suis (ergo sum), c'est-à-dire j’existe, au moins en tant que cons- cience. Avec Descartes, l’expérience de la pensée fonde en ce sens la première des vérités, même si celle-ci reste paradoxalement la plus difficile à saisir… peut-être parce qu’elle nous est si intime que nous ne la percevons même plus. « Donc je suis » ? Ne pas confondre pour autant la certitude de mon existence avec la valeur de ma personne. « Être » est une chose, exis- ter comme subjectivité authentique en est une autre. D’où le constat plutôt amer du philosophe danois Søren Kierkegaard : « La majorité des hommes sont des “Je” abrégés ; ce que la nature avait prévu pour être taillé en Je est bientôt émoussé en un simple sujet à la troisième personne. » Sigmund Freud (1856-1939), L’Inquiétante Étrangeté et autres essais 3 Freud n’a pas découvert l’inconscient. À la fin du XIXe siècle, il était déjà établi que certains événements mentaux se déroulent hors du champ de notre conscience. Mais en fondant la psychanalyse, Freud a fait de l’inconscient le moteur de notre vie psychique. Ses observations cliniques le conduisent en effet à supposer un bouillonnement intérieur de pulsions, d’images et de peurs dont l’introspection ne saisit que des bribes éparses. L’origine de cette vie psychique demeure obscure, car la conscience n'est qu'une zone à la « Montrer au moi qu’il n’est seulement pas maître dans sa propre maison. » 3. Gallimard, 1985, « Une difficulté de la psychanalyse », p. 186. 1 . L a c o n s c i e n c e e t l ’ i n c o n s c i e n t © Eyrolles Pratique 15 surface de l'esprit, telle la partie émergée d'un iceberg (dont la partie immergée serait l'inconscient). Ainsi, la vraie signification de nos émotions et conduites est rarement celle que nous leur donnons spon- tanément. Sais-je seulement pourquoi j’ai rêvé d’elle, pourquoi je déteste les foules, pourquoi j’apprécie que les choses soient disposées symétriquement, pourquoi je perds régulièrement un certain objet… ? L’invention de la psychanalyse fut un ébranlement philosophique, non seulement parce qu’elle démontra l’importance des désirs sexuels dans la construction de l’identité, mais surtout parce qu’elle infligea à l’homme une immense vexation. À la suite de Copernic, qui montra aux hommes que la terre, loin d’être au centre du monde, était un petit satellite au fin fond de l’univers ; après Darwin, qui leur apprit qu’ils ne constituaient nullement le sommet de la Création, mais une simple espèce animale dans le vaste processus de l’Évolution, Freud s’efforça de leur révéler qu’ils n’étaient pas même maîtres de leur propre esprit. Humiliation salutaire ? Cette réduction de l’être humain à ses pulsions ne fut pas du goût de tous. On notera par exemple le mot du philosophe français Alain, contemporain de Freud : « Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable. » C i t a t i o n s p h i l o s o p h i q u e s e x p l i q u é e s 16 © Eyrolles Pratique Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), Émile ou De l'Éducation 4 L’historien ou l’ethnologue, observant la diversité des mœurs, en conclut que la morale est relative à la culture, dépendante de l’éduca- tion et variable selon les époques. Mais le regard du philosophe tend à dépasser cette hétérogénéité. N’y a-t-il pas, au fond de toute évaluation morale, une conscience universelle du bien et du mal ? Répondre à cette question exige, selon Rousseau, que nous consultions en priorité notre cœur, afin de garantir l’honnêteté de notre jugement. Le fond de notre âme abrite en effet un principe inné de justice et de vertu, auquel nous devons nous fier. Telle est la conscience, faculté que la nature a déposée en chacun, et qui surpasse par sa vérité instinctive toutes les recommandations de la société ou de la raison. C’est, par exemple, sa voix qui se fait entendre lorsque nous sommes convenables aux yeux d’autrui mais, au regard de notre âme, indignes. À condition de laisser cette faculté divine s’exprimer en nous et d’être à l’écoute de son infaillible jugement. L’amour du bien et l’aversion du mal s’éprouvent donc avant de s’apprendre. Mais cette voix céleste qui nous exhorte à nous hisser au- delà de nous-mêmes est bien souvent étouffée par nos intérêts égoïs- tes… ou encore recouverte par notre éducation. C’est pourquoi, dans l’instruction d’Émile, Rousseau recommande contre toute attente que son jeune élève soit livré à lui-même, en espérant que sa nature sera pour lui un meilleur guide que les artifices de la civilisation. « Conscience ! Conscience ! uploads/Litterature/ citations-philosophiques-expliquees-pdf.pdf
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- Publié le Jui 28, 2021
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