L’enseignement supérieur et la recherche en Haïti : état des lieux et perspecti

L’enseignement supérieur et la recherche en Haïti : état des lieux et perspectives Jean-Marie Dulix Théodat Dans le séisme qui a touché la capitale haïtienne, on est frappé par le caractère impressionnant des dégâts matériels : le palais national, le parlement, le palais de justice, la direction des impôts, etc. sont réduits en poussière. Tous les symboles de la représentation nationale et les éléments de l’organisation du pouvoir ont été détruits. Certains directeurs généraux sont morts avec leurs collaborateurs dans l’effondrement de leurs bureaux. C’est dire que l’ébranlement physique des lieux vient ponctuer de façon tragique la faillite, considérée comme consommée depuis une décennie, de l’Etat haïtien. Néanmoins, dans la douleur, on ne peut s’empêcher d’être également frappé par le courage dont a fait montre la population et la solidarité qui s’est manifestée dès les premiers instants ayant suivi le désastre. Le chaos annoncé ne s’est pas produit. Les lieux ont été sévèrement touchés, mais les liens sont restés intacts : entre voisins, entre parents, entre collègues, l’entraide est patente et révèle des réserves d’humanité dont on ne croyait plus les Haïtiens capables entre eux. Des comités de vigilance se sont créés pour assurer l’évacuation des blessés et l'organisation des soins, la collecte des ordures, la distribution de l’eau et la vigilance nocturne autour des camps pour éviter les pillages. A l’évidence, Haïti ne pourra pas se remettre seule de pareil dommage. L’aide étrangère afflue, généreuse, mais l'enseignement supérieur ne figure pas dans le calendrier des priorités du gouvernement. La part réservée à l'école fondamentale et secondaire, pour des raisons d'équité sociale évidente et compréhensible, a toujours primé dans la répartition des ressources publiques allouées à l'enseignement en général. Le système ancien de la formation à l'étranger de l'élite locale a prévalu jusqu'à aujourd'hui. Que les États-Unis et le Canada devancent la France comme destination principale des étudiants haïtiens titulaires d'un baccalauréat ne change rien au fond du problème. Il faut aider Haïti à former elle-même ses cadres et leur donner les moyens de rester travailler sur place par des mesures incitatives en faveur de l'enseignement et de la recherche. Investir dans les murs, c'est bien, investir dans l'humain, c'est mieux. Pour se relever le pays aura besoin de l’engagement de toutes les bonnes volontés ; c'est ainsi qu'il faut interpréter l'engagement de nouveaux acteurs de la scène éducative et universitaire haïtienne : le Brésil, Cuba, le Venezuela. Cette coopération sud-sud offre l'intérêt que lesdits partenaires étrangers sont ou ont été confrontés récemment, à des degrés divers, sur leur territoire à des problèmes similaires liés à la pauvreté de masse, l'analphabétisme et l'exode des cerveaux. Cette générosité ne vaut que si les Haïtiens se donnent les moyens d'assurer eux-mêmes la relève, car dans la longue durée, le pays devra compter d'abord sur ses propres forces, ses propres talents. A partir du constat que les Haïtiens formés à l'étranger ne reviennent pas pour la plupart travailler au pays, le pari est de renverser la tendance et d'offrir aux étudiants haïtiens un cadre de formation universitaire et professionnelle de qualité répondant aux besoins de la reconstruction de Port-au-Prince et du développement du pays. Parmi les principaux chantiers de la reconstruction, le système universitaire est stratégique : il représente l'avenir de l'État. Telle est l'école, tel est l'État. Un lieu d'apprentissage et de liberté ou un espace de punition permanente et de libertés bafouées ? En Haïti, l'urgence est telle qu'il faut relever à la fois les murs et le niveau du personnel. Les maux de l'Université en général sont multiples et notoires : éparpillement des sites, mauvais équipement des salles, sous-qualification des enseignants, etc. Les pays francophones, la France et le Canada en particulier, ont répondu sans délai à l'appel des collègues et étudiants haïtiens, à l'heure de l'épreuve, par des accueils spontanés, des propositions de bourses et des débours importants, aidé à surmonter le traumatisme collectif de la cessation brutale des cours. Ces partenaires entendent participer pleinement à la relève du système universitaire haïtien. Les journées de réflexion qui se sont tenues sous l'égide de la Conférence des Recteurs et Présidents d’Universités de la Caraïbe (CORPUCA), à Santo Domingo, en février, à l'invitation du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), à Paris, en mars, la mission française de l'Agence Interinstitutionnel de la Recherche pour le Développement (AIRD) d'avril 2010, à Port-au- Prince, et les journées organisées par le GTEF du 11 au 12 mai 2010,ont abouti à l'idée qu'il fallait inscrire dans la longue durée l'action solidaire francophone, tout en encourageant l'ouverture du milieu universitaire haïtien sur les autres aires linguistiques de son environnement régional. Il s'agirait rien moins que de sanctuariser un montant d'environ 500 millions d'euros sur 10 ans pour financer la relance du système universitaire national. En suivant ces recommandations, il apparaît que les revendications des différents participants à ces forums convergent vers la nécessité d'un accord cadre qui fasse fond sur les collaborations internationales déjà existantes et en développe de nouvelles répondant à l'urgence de la situation créée par le séisme du 12 janvier 2010. Le constat liminaire que l’on peut faire est celui de l’éparpillement de l’enseignement supérieur en institutions multiples et de force très inégale, d’une part, l’indigence de la recherche, d’autre part. Cette situation n’est pas une conséquence du tremblement de terre qui a dévasté l’ensemble de la région métropolitaine, mais le résultat d’une désaffection durable qui a éloigné le secteur de l’enseignement universitaire des préoccupations des autorités publiques. En revanche, le tremblement de terre a provoqué un exode accéléré des cadres et des étudiants, certains pour une durée courte, d’autres plus durablement, voire définitivement. Le paradoxe de la situation tient dans l’affirmation par tous de la nécessité d’inscrire l’enseignement universitaire et la recherche au cœur du calendrier dans les mesures nécessaires à la relève de la situation. La question se pose de savoir si les discours ne sont qu’une façon commode de se dédouaner de ne rien faire en faveur de ce secteur, ou s’il existe des obstacles objectifs à la réalisation du saut qualitatif et quantitatif nécessaire pour sortir de l’ornière le système d’enseignement supérieur haïtien. Le propos est de trouver les moyens de mettre fin sans délai à la fuite des étudiants et des enseignants laissés désemparés par le séisme, mais il s’agira à plus long terme, de créer les conditions d’un maintien sur place de forces vives, formées dans le pays, par le biais d’un système d’enseignement rénové, débouchant sur des savoir-faire utiles à la société et donnant lieu à des emplois correctement rémunérés. Nous proposons une analyse à trois pas de temps, qui considère, en premier lieu la situation d’avant le 12 janvier 2010, de façon à bien distinguer les effets du séisme, qui sont conjoncturels, des effets structurels, plus lointains, de l’absence de mesures opportunes en faveur de ce secteur depuis plusieurs générations. Puis nous proposerons un calendrier d’activités et d’actions possibles à moyen terme, en vue de la relance du système universitaire haïtien. Enfin nous proposons des actions à plus long terme pour enraciner durablement et efficacement les établissements d'enseignement et de recherche dans le paysage intellectuel caribéen, francophone en particulier. I- Le paysage universitaire haïtien Jusqu’à la création de l’Université d'État d’Haïti (UEH) en 1944, l’enseignement supérieur en Haïti a fait l’objet d’une évolution erratique marquée par le désintérêt du pouvoir pour le savoir et la connaissance. Certes, en 1815, le roi Henry Christophe fonda l’Académie d’Haïti, sur le modèle anglais, mais il ne s’agit que d’un début timide, resté longtemps sans suite. Cette institution comprenait une École de Médecine, de Chirurgie et de Pharmacie, une École des Arts et Métiers et une École d’Agriculture. Durant tout le XIX siècle, c’est en Europe, en particulier en France que se forme l’élite intellectuelle du pays, les grands noms de la littérature et des arts sont liés au retour au pays de personnes ayant vécu un temps à l’étranger avec le but de se former ou de se perfectionner. Cette solution a permis d’avoir une intelligentsia de qualité, mais limitée en nombre. Le XX siècle ne change rien à ce dispositif jusqu’à ce que le tournant des années 1970 fasse apparaître une polarisation croissante des universités nord-américaines dans le recrutement des étudiants haïtiens. A partir des années 1990-2000, la République dominicaine apparaît comme une destination accessible, aujourd’hui choisie par plus de 15 000 étudiants nationaux. Cet engouement pour les études à l’étranger et la réorientation de destination des étudiants est la conséquence d’une double inflexion dans le paysage universitaire : le recrutement dans des couches nouvelles, l’augmentation sensible du nombre de bacheliers. Il y a donc eu élargissement de la demande à la fois pour des raisons démographiques et des raisons sociales. En ce sens, il est permis de dire que l’enseignement supérieur est le reflet de l’évolution politique et démographique d’Haïti. Mais comme souvent, c'est avec beaucoup de retard par rapport aux voisins cubain et dominicain, pour ne rien dire de Porto Rico et de la Jamaïque, que les autorités haïtiennes ont commencé à uploads/Litterature/jean-marie-dulix-theodat-haiti-l-x27-enseignement-superieur-et-la-recherche-en-haiti 1 .pdf

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