LA LITTÉRATURE PATRISTIQUE DES « QUAESTIONES ET RESPONSIONES » SUR L’ÉCRITURE S

LA LITTÉRATURE PATRISTIQUE DES « QUAESTIONES ET RESPONSIONES » SUR L’ÉCRITURE SAINTE Dans la préface de sa traduction des homélies d’Origène sur Ézéchiel, saint Jérôme rappelle que les œuvres du grand docteur alexandrin sur l’Écriture peuvent être réparties en trois catégories : les scholies, courtes notes sur des passages détachés ; les homélies, instructions adressées aux fidèles; et les commentaires ou tomes, traités méthodiques qui donnent !’explication complète d’un livre^ entier (1). On peut dire qu’à l’époque patristique, tous les commentateurs» de l’Écriture sainte ont adopté l’une ou l’autre de ces trois mé- thodes. Les évêques et les prêtres, officiellement chargés d’enseigner la doctrine chrétienne à leurs fidèles, ont préféré d’ordinaire la forme homilétique : le nom de saint Jean Chrysostome est ici parti- culièrement représentatif. Les docteurs ont plutôt rédigé des scholies· ou des commentaires. Ceux d’entre eux qui ont écrit des scholies ont trouvé, dans 1& littérature profane, un genre littéraire particulièrement adapté à leur but : celui des questions et réponses, ζητήματα *al λύσεις, et ils n’ont pas hésité à l’employer. Pendant plusieurs siècles s’est ainsi, développée, tant en Orient qu’en Occident, une longue série de Quaestiones, dont nous possédons encore de nombreux spécimens. Tout n’est pas également intéressant dans cette série : le genre lui- même était quelque peu artificiel ou arbitraire ; il facilitait les pro- ductions anonymes ou apocryphes; et souvent de grands noms (1) Jé r ô me , Praefat. m ho mil. Origenis in Ezech., édit. Bà e h r e ns, Leipzig, 1925, p. 318 : «... ut scias Origenis opuscula in omnem Scripturam esse triplicia. Primum eius opus Excerpta sunt, quae graece σχόλια nuncupantur, in quibus ea, quae sibi videbantur obscura aut habere aliquid difïicultatis, summatim breviterque perstrinxit. Secundum homeliticum genus, de quo et praesens interpretatio est. Tertium quod ipse inscripsit τόμους, nos volumina possumus nuncupare, in quo opéré tota ingenii sui vela spirantibus» ventis dédit et reccdens a terra in medium pelagus aufugit. מ 211 LA LITTERATURE PAÏRISTIQUE. servent aujourd’hui à couvrir de lamentables pauvretés. Mais il reste qu’dn trop grand nombre d’exégètes ont fait usage de ce procédé pour qu’il soit permis de le négliger. Sans avoir la prétention d’épuiser* un sujet très vaste, nous voudrions, dans les pages qui suivent, rappeler au moins les grandes lignes de l’histoire des Ques- tions et réponses scripturaires au cours de la période patristique (1). Il est inutile d’insister sur les origines du genre. Il semble bien que, le premier, Aristote a donné à l’exposé et à la solution des problèmes la forme littéraire des ζητήματα καί λύσεις; et l’on trouve dans la liste de ses écrits un ouvrage qui porte ce titre. Mais, déjà avant lui, les sophistes et les rhéteurs se plaisaient à multiplier les questions dont ils faisaient chercher la solution à leurs auditeurs ou à leurs élèves : les poèmes d’Homère surtout étaient pour eux la source inépuisable d’apories toujours nouvelles (2). Les commentateurs d’Aristote ne dédaignèrent pas d’employer le même procédé. C’est ainsi que, sous le règne de Septime Sévèref Alexandre d’Aphrodisias rédigea quatre livres de φυσικών καί έθικών αποριών και λύσεων et un livre de προβλήματα. Plus tard, au 1ve siècle,. Dexippos écrivit des άπορίαι καί λύσεις εις τας Αριστοτέλους κατηγορίας# Les ouvrages du ״maître devenaient ainsi le point de départ de recherches et de travaux, auxquels on donnait naturellement la forme désormais classique des questions. Dans toutes les écoles philosophiques en effet, on avait recours à cette méthode. Les stoïciens multipliaient les ζητήματα en matière morale : ils se demandaient par exemple si le sage s’enivrera (3), si le méchant est libre, si l’homme vertueux peut être esclave, etc... Volontiers, ils donnaient à leur casuistique une forme paradoxale afin d’exciter (1) Qu’il soit bien entendu que nous nous bornons ici à une étude d’histoire de l’exégèse. Nombreux ont été les moralistes et les écrivains spirituels qui onf employé la même méthode. Iis restent en dehors de notre perspective. Bien des collections comportent en même temps des questions scripturaires et des questions morales ou ascétiques : noos laisserons de côté ces dernières. (2) Nous possédons, sous le nom d’Aristote, un recueil de προβλήματα en trente-huit titres, où sont traitées des questions d’histoire naturelle et aussi de musique et de poésie. Ce recueil peut contenir des parties authentiques ; il a certainement été complété par bien d’autres auteurs ou copistes. (3) Dans le De ptantatione Noe, Philon consacre un très long développement à ce ζήτημα, dont l’étude a été faite par Ar n im, Quellenstudien zu Philo, dans Kir s s l in g et WiLAMOwiTZ, Philolog. Unters., t. XI, Berlin, 1888, p. 101140־ .Cf. E. Br é a ie r , Les idées philosophiques et religieuses de Philon d'Alexanlrie, Paris, 1908, p. 257-259. ]'attention et de pouvoir ensuite proposer des réponses mieux as- surées. On comprend sans peine que cette méthode ait été excellente dans renseignement scolaire et un passage de la Vie de Plotin nous apporte là-dessus d'intéressantes informations : « Trois jours durant, raconte Porphyre, je l’interrogeai sur la manière dont l’âme est unie au corps, et il ne s’arrêta pas de me donner des démonstrations. Un certain Thaumasius, entré dans la salle, dit qu’il voulait l’entendre faire une conférence suivie et propre à être écrite, mais qu’il ne voulait pas de ce dialogue où Porphyre faisait les questions et lui les réponses. — Mais, si Porphyre ne me questionnait pas, dit Plotin, je n’aurais pas d’objections à résoudre et je n’aurais rien à dire qui pût être écrit (1). » Comme les Ennéades ont commencé par être parlées avant d’être écrites, on peut dire que, « réduit à son schéma le plus simple, un traité de Plotin se divise ordinairement ainsi : Xaporie, où la question à résoudre est posée ; la démonstration qui procède par la dialectique; la persuasion, qui s’efforce d’entraîner la conviction; enfin, pour conclure, une sorte d’élévation ou hymne qui proclame le bonheur d’avoir accès au monde intelligible (2); » La méthode des apories était courante dans les écoles (3). Il était naturel qu’elle fût employée par les commentateurs des livres saints dans les mêmes conditions qu’elle l’était par les exégètes d’Homère ou d’Aristote. 212 REVUE BIBLIQUE. Philon. Le premier, à notre connaissance, qui l’ait utilisée ici est Philon d’Alexandrie. Dans le catalogue de ses œuvres, Eusèbe de Césarée déclare en effet : « 11 a d’abord expliqué avec suite et ordre le récit delà Genèse dans un ouvrage intitulé Allégorie des lois saintes; (1) Po r ph y r e, Vie de Plotin, XIII; trad. Br é h ie r , Plotin, Ennéades, t. I, p. 15; Paris, 1924. . (2) E. Br é h ie r , La philosophie de Plotin, Paris, 1928; p. 17. Un excellent exemple de la méthode des questions est le huitième traité de la seconde Ennéade. Il s’agit de savoir pourquoi les objets éloignés paraissent plus petits, et que, à une grande distance, ils paraissent être à un intervalle peu considérable. Plotin indique cinq solutions de ce problème, et fait suivre de réponses les quatre explications qu’il rejette. Il est d'ailleurs curieux qu’il adopte la quatrième solution. « Tout se passe <|0mme s’il lisait ou se faisait lire un de ces προβλήματα rédigés par les commentateurs d’Aristote, en y ajoutant au fur et à mesure ses propres réflexions. » E. Br é h ie r , Plotin, Ennéades, t. II, Paris, 1924, p. 97. (3) Rappelons encore l'ouvrage de Séhèque, Quaestionum naturalium libri Y III. % puis il a traité à part et en détail les questions de certains chapitres de la Bible, proposant et résolvant les difficultés (εκστάσεις τε καί διαλύσεις πεποιημένος) : il a conséquemment appelé son ouvrage Problèmes et solutions sur la Genèse et ΓExode (1). » Il est possible que Philon ait eu l’intention de commenter sous forme de questions et de réponses, le Pentateuque entier (2) ; mais le fait qu’Eusèbe ne connaisse que des Questions et réponses sur la Genèse et l’Exode nous amène à douter fortement qu un tel projet ait été réalisé. Il est même vraisemblable que l’exégète n’a pas expliqué en entier les deux livres dont il a pu entreprendre l’inter« ־ prétation : les Questions sur la Genèse, divisées en six livres, ne vont pas plus loin que le vingt-huitième chapitre et n’ont jamais dû le dépasser. Les Questions sur l’Exode étaient, au témoignage d’Eusèbe, réparties en cinq livres (3). Trois d’entre eux ont dû disparaître peu de temps après la rédaction de Y Histoire ecclésiastique9 car la tradition postérieure ne connaît plus que deux livres, qui doivent être le second et le cinquième de la collection originale (4). A l’exception d’un certain nombre de fragments, contenus sur- tout dans les Sacra Parallela, le texte original des questions de Philon est aujourd’hui perdu : nous ne possédons plus, en une ancienne traduction latine, qu’un important fragment du sixième livre des Questions sur la Genèse; et surtout, dans une version arménienne, que les livres sur la Genèse, un morceau du second livre uploads/Litterature/la-litterature-patristique-des-x27-quaestiones-et-responsiones-x27-sur-l-x27-ecriture-sainte-bardy-gustave-source-revue-biblique-41-no-2-1932-p-210-235.pdf

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