Revue Biblique 116 (2009), p. 82-110 Étienne Nodet LE BAPTÊME DES PROSÉLYTES, R
Revue Biblique 116 (2009), p. 82-110 Étienne Nodet LE BAPTÊME DES PROSÉLYTES, RITE D’ORIGINE ESSÉNIENNE Étienne NODET, o. p. École Biblique POB 19053 Jérusalem-IL <nodet@ebaf.edu> RÉSUMÉ Le baptême des prosélytes, institution rabbinique qui se superpose à la circoncision, est resté longtemps une énigme, puisqu’on n’arrive pas à prouver qu’il est antérieur au christianisme. Cependant, lorsqu’on examine la formation des traditions rabbiniques, on discerne une composante essénienne : ce sont les haberim, qui sont à la fois vénérés et mis à distance, car ils sont trop stricts pour servir de modèle pour tous. En effet, le propos de la réorganisation commencée à Yabné-Iamnia après 70 était d’encadrer tout un peuple. SUMMARY The Jewish proselyte baptism, which is performed after cricumcision, is a classical puzzle, since its existence before Christianity is hardly proven. But scrutinizing the formation of the Rabbinic traditions leads to identify an Essene layer from the Second Temple period, termed haberim in the sources. These groups are both held in high esteem and put at some distance, for their strictness prevented their being a model for all. Indeed the goal of the reorganization launched at Yabneh-Iamnia after 70 was to provide a whole people with guidelines. Introduction Le judaïsme rabbinique prévoit pour les nouveaux convertis la circoncision et un « baptême des prosélytes ». Comme celui-ci n’a pas d’antécédent biblique bien net, et que les passages qui le mentionnent ne sont pas antérieurs à la ruine de 70, on a d’abord cru que c’était un emprunt au christianisme, ou au moins au baptême de Jean1. Étant donné l’importance évidente d’un rite d’entrée et le nombre de règles rabbiniques détaillées concernant les prosélytes, on se borne maintenant à admettre que cette institution n’a pas pu être créée de toutes pièces par les milieux qui ont produit la Mishna ; autrement dit, elle existait à 1 Cf. références dans Harold H. ROWLEY, « Jewish Proselyte Baptism and the Baptism of John », HUCA 15 (1940), p. 313-334, n. 1. BAPTÊME DES PROSÉLYTES 2 l’époque du second temple, même si l’on n’en discerne pas l’origine2. Or, cette origine peut être retrouvée : il s’agit simplement de la coutume essénienne d’admission des néophytes. Pour le montrer, on procède en plusieurs étapes, qui nécessitent quelques détours : d’abord, un examen du baptême dans les traditions rabbiniques montre que le rite est malaisé à cerner ; ensuite, après un examen rapide de la position du judaïsme rabbinique dans le spectre des diverses tendances juives au Ier siècle, on s’attache à en déterminer une strate ancienne, qui permet une comparaison utile avec ce que l’on sait des esséniens. En finale, on propose quelques observations sur le baptême de Jean, puisque ses origines ne sont pas directement bibliques. La méthode générale employée consiste à rassembler les détails dispersés dans les sources, en recherchant une cohérence d’ensemble des systèmes de rites. I – Un baptême fugitif L’examen des sources révèle un contraste net entre les recueils tannaïtiques principaux (avant 250 ap. J.-C.) et le Talmud, qui est postérieur mais contient des traditions tannaïtiques d’autorité moindre : les plus anciens sont très allusifs, alors qu’ensuite on fournit de nombreux détails rituels. I Pour expliquer l’origine et le sens du baptême des prosélytes, il a parfois été avancé qu’il s’agit simplement de la purification lévitique3, puisque le païen est réputé impur. Cela ne peut convenir, puisqu’un tel rite est fréquent pour tout Juif, qu’il soit ou non d’origine païenne ; le baptême des prosélytes ne serait alors que la première d’une série indéfinies de purifications, et non un rite spécifique d’initiation. Considérons les passages classiques sur ce rite ; ils sont peu nombreux. Dans le traité de la Mishna (publiée vers 200) sur la Pâque, on lit (m.Pes 8:8 ; m. m.Edu 5:2) : « Un prosélyte qui s’est converti la veille de Pâque – l’école de Shammaï dit : “Il fait une immersion et mange sa pâque le soir ;” et l’école de Hillel dit : “Qui se sépare de son prépuce est comme celui qui se sépare de la tombe (rbqhm).” » Plus tard, lorsqu’après 135 la circoncision fut interdite en Judée, on précisa que le débat concernait le véritable prosélyte, et non le Juif 2 Ainsi SCHÜRER-VERMES, III:173-174, qui propose en hésitant le Ier s. ap. J.-C., à cause du silence de Philon et Josèphe sur la question. La tendance générale de l’ouvrage – l’original comme l’adaptation récente – est de projeter le judaïsme rabbinique, bien documenté, comme étant normatif en Judée à l’époque de Jésus, moins bien connue, mais c’est fréquemment inexact et complique artificiellement certaines questions. Déjà Augustin CALMET, Histoire de l'Ancien et du Nouveau Testament et des Juifs. Tome septième, Paris, 1726, p. 288, jugeait impossible que les Juifs aient emprunté ce rite aux païens ou aux chrétiens. Joachim JEREMIAS, Infant Baptism in the First Four Centuries, London, SCM Press, 1960, p. 24-37, conclut aussi, par nécessité logique, que ce baptême existait avant Jésus et Jean. 3 Ainsi dans l’original Emil SCHÜRER, Geschichte des jüdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi II, Helsingfors, J. C. Hinrichs, 1897, p. 321. BAPTÊME DES PROSÉLYTES 3 incirconcis (b.Pes 92a). L’énoncé très condensé de la Mishna comporte quelques obscurités. Deux d’entre elles sont faciles à lever. D’abord, le contexte exige que « converti » signifie « circoncis », d’autant plus qu’il est prescrit par Ex 12,43 que seuls les circoncis peuvent participer à la Pâque ; c’est confirmé par l’épisode de circoncision qui précède la Pâque d’entrée en Terre Promise4 (Jos 5,3.10). Par ailleurs, l’agneau pascal, dûment préparé, est de la catégorie des sacrifices de communion, c’est-à-dire une chose sainte qui nécessite un état de pureté. L’impureté ordinaire, au quotidien, est définie par Lv 11,24s : quiconque entre en contact avec le cadavre d’un animal est impur jusqu’au soir. Quant à l’immersion, elle n’est requise, dans ces cas mineurs, que pour les prêtres fils d’Aaron (Lv 22,6), mais la coutume était prise d’exiger de tous une pureté sacerdotale, puisque le rite avait lieu au Temple (cf. 2 Ch 30,17 ; Esd 6,21). Pour l’école de Shammaï, le païen une fois circoncis n’est affecté que d’une impureté légère, puisqu’il suffit d’une immersion le jour même. Cependant, étant donné la présence diffuse en tout lieu de bestioles mortes, tout individu, nouveau converti ou non, est présumé avoir été contaminé involontairement dans la journée. Autrement dit, l’immersion du nouveau converti est un geste ordinaire, qui ne fait pas partie du rite d’initiation ; elle n’est que la première d’une série indéfinie de purifications après la conversion. En effet, il y a plusieurs degrés d’impureté, selon une gradation des sources de contamination. Le foyer d’impureté le plus élevé est le cadavre humain, qui contamine, soit par contact direct ou indirect, soit par « effet de tente », tout ce qui se trouve sous le même toit que le cadavre (cf. Nb 19,14). Quiconque a été dans cette situation est en état d’impureté maximale, et contamine autrui. Selon b.Shab 14b-15a, le païen est considéré comme ayant par nature cette impureté maximale, d’où un risque de contamination. En particulier, on présume que les païens ont été négligents en matière de cimetières et ont enterré des avortons dans le sol ou les murs de leur maison5 (m.Ohol 18,7). Or, ce niveau d’impureté nécessite un rite de purification en sept jours, s’achevant par une immersion (Nb 19,19). Donc, il ne serait pas possible dans ce cas de manger des choses saintes le soir même. En résumé, pour l’école de Shammaï ici, il n’y a pas à proprement parler de baptême des prosélytes, contrairement aux apparences. Un fait d’avant 70 le confirme : il est rapporté que des soldats romains, qui gardaient les portes de Jérusalem et furent circoncis la veille de la Pâque, purent participer au rite le soir après une immersion ; on explique que 4 Cependant, t.Pes 8:18 cite une opinion selon laquelle l’exigence de la circoncision ne concerne que la Pâque de sortie d’Égypte ; Josué n’a pas l’autorité de la Tora. 5 Cela fournit un contexte à l’invective des circoncis de Jérusalem contre Pierre, qui est entré chez Corneille (Ac 11,3), et aussi à la discrétion du centurion de Capharnaüm, qui ne veut pas que Jésus entre chez lui (Mt 8,8). Cependant, l’impureté est d’abord un état juridique, et non une corruption physique. Aussi se demande-t-on ailleurs si le païen, qui est une source de contamination (m.Ohol 1,4), est susceptible ou non d’impureté personnelle, puisqu’il n’est pas soumis à la Loi (m.Ohol 18:4). BAPTÊME DES PROSÉLYTES 4 le mouvement des gens et la poussière autour d’eux les avait rendus impurs (j.Pes 8:8 fin) Il n’en est pas ainsi pour l’école de Hillel : pour que le désaccord ait un sens, il faut comprendre que le nouveau prosélyte ne peut manger la pâque le soir même. Autrement dit, se séparer d’un tombeau signifie entre autres choses avoir contracté l’impureté maximale, qui exige le rite de sept jours. Donc l’impureté du païen est restée entière lors de sa circoncision, et il doit être purifié, auquel uploads/Litterature/le-bapteme-des-proselytes-rite-d-origine-pdf.pdf
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- Publié le Jul 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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