Aline et Valcour, tome 2 ou le roman philosophique Sade, Marquis de, 1740-1814

Aline et Valcour, tome 2 ou le roman philosophique Sade, Marquis de, 1740-1814 Release date: 2006-02-07 Source: Bebook ALINE ET VALCOUR, ou LE ROMAN PHILOSOPHIQUE. par D.A.F. DE SADE * * * * * TOME II. TROISIÈME PARTIE. * * * * * Écrit à la Bastille un an avant la Révolution de France. ORNÉ DE SEIZE GRAVURES. 1795. * * * * * Nam veluti pueris absinthia tetra medentes, Cum dare conantur prius oras pocula circum Contingunt mellis dulci flavoque liquore, Ut puerum aetas improvida ludificetur Labrorum tenus; interea perpotet amarum Absinthy lathicem deceptaque non capiatur, Sed potius tali tacta recreata valescat. Luc. Lib. 4. * * * * * LETTRE TRENTE-CINQUIÈME, _Déterville à Valcour_. Verfeuille, 16 Novembre. HISTOIRE DE SAINVILLE ET DE LÉONORE[1]. C'est en présentant l'objet qui l'enchaîne, qu'un amant peut se flatter d'obtenir l'indulgence de ses fautes: daignez jeter les yeux sur Léonore, et vous y verrez à-la-fois la cause de mes torts, et la raison qui les excuse. Né dans la même ville qu'elle, nos familles unies par les noeuds du sang et de l'amitié, il me fut difficile de la voir long-tems sans l'aimer; elle sortait à peine de l'enfance, que ses charmes faisaient déjà le plus grand bruit, et je joignis à l'orgueil d'être le premier à leur rendre hommage, le plaisir délicieux d'éprouver qu'aucun objet ne m'embrâsait avec autant d'ardeur. Léonore dans l'âge de la vérité et de l'innocence, n'entendit pas l'aveu de mon amour sans me laisser voir qu'elle y était sensible, et l'instant où cette bouche charmante sourit pour m'apprendre que je n'étais point haï, fut, j'en conviens, le plus doux de mes jours. Nous suivîmes la marche ordinaire, celle qu'indique le coeur quand il est délicat et sensible, nous nous jurâmes de nous aimer, de nous le dire, et bientôt de n'être jamais l'un qu'à l'autre. Mais nous étions loin de prévoir les obstacles que le sort préparait à nos desseins.--Loin de penser que quand nous osions nous faire ces promesses, de cruels parens s'occupaient à les contrarier, l'orage se formait sur nos têtes, et la famille de Léonore travaillait à un établissement pour elle au même instant où la mienne allait me contraindre à en accepter un. Léonore fut avertie la première; elle m'instruisit de nos malheurs; elle me jura que si je voulais être ferme, quels que fussent les inconvéniens que nous éprouvassions, nous serions pour toujours l'un à l'autre; je ne vous rends point la joie que m'inspira cet aveu, je ne vous peindrai que l'ivresse avec laquelle j'y répondis. Léonore, née riche, fut présentée au Comte de Folange, dont l'état et les biens devaient la faire jouir à Paris du sort le plus heureux; et malgré ces avantages de la fortune, malgré tous ceux que la nature avait prodigués au Comte, Léonore n'accepta point: un couvent paya ses refus. Je venais d'éprouver une partie des mêmes malheurs: on m'avait offert une des plus riches héritières de notre province, et je l'avais refusée avec une si grande dureté, avec une assurance si positive à mon père, qu'ou j'épouserais Léonore, ou que je ne me marierais jamais, qu'il obtint un ordre de me faire joindre mon corps, et de ne le quitter de deux ans. Avant de vous obéir, Monsieur, dis-je alors, en me jettant aux genoux de ce père irrité, souffrez que je vous demande au moins la cruelle raison qui vous force à ne vouloir point m'accorder celle qui peut seule faire le bonheur de ma vie? Il n'y en a point, me répondit mon père, pour ne pas vous donner Léonore, mais il en existe de puissantes pour vous contraindre à en épouser une autre. L'alliance de Mademoiselle de Vitri, ajouta-t-il, est ménagée par moi depuis dix ans; elle réunit des biens considérables, elle termine un procès qui dure depuis des siècles, et dont la perte nous ruinerait infailliblement.--Croyez-moi, mon fils, de telles considérations valent mieux que tous les sophismes de l'amour: on a toujours besoin de vivre, et l'on n'aime jamais qu'un instant.--Et les parens de Léonore, mon père, dis-je en évitant de répondre à ce qu'il me disait, quels motifs allèguent-ils pour me la refuser?--Le désir de faire un établissement bien meilleur; dussé-je faiblir sur mes intentions, n'imaginez jamais de voir changer les leurs: ou leur fille épousera celui qu'on lui destine, ou on la forcera de prendre le voile. Je m'en tins là, je ne voulais pour l'instant qu'être instruit du genre des obstacles, afin de me décider au parti qui me resterait pour les rompre. Je suppliai donc mon père de m'accorder huit jours, et je lui promis de me rendre incessamment après où il lui plairait de m'exiler. J'obtins le délai désiré, et vous imaginez facilement que je n'en profitai que pour travailler à détruire tout ce qui s'opposait au dessein que Léonore et moi avions de nous réunir à jamais. J'avais une tante religieuse au même Couvent où on venait d'enfermer Léonore; ce hasard me fit concevoir les plus hardis projets: je contai mes malheurs à cette parente, et fus assez heureux pour l'y trouver sensible; mais comment faire pour me servir, elle en ignorait les moyens.--L'amour me les suggère, lui dis-je, et je vais vous les indiquer.... Vous savez que je ne suis pas mal en fille; je me déguiserai de cette manière; vous me ferez passer pour une parente qui vient vous voir de quelques provinces éloignées; vous demanderez la permission de me faire entrer quelques jours dans votre Couvent.... Vous l'obtiendrez.--Je verrai Léonore, et je serai le plus heureux des hommes. Ce plan hardi parut d'abord impossible à ma tante; elle y voyait cent difficultés; mais son esprit ne lui en dictait pas une, que mon coeur ne la détruisît à l'instant, et je parvins à la déterminer. Ce projet adopté, le secret juré de part et d'autre, je déclarai à mon père que j'allais m'exiler, puisqu'il l'exigeait, et que, quelque dur que fût pour moi l'ordre où il me forçait de me soumettre, je le préférais sans doute au mariage de Mademoiselle de Vitri. J'essuyai encore quelques remontrances; on mit tout en usage pour me persuader;mais voyant ma résistance inébranlable, mon père m'embrassa, et nous nous séparâmes. Je m'éloignai sans doute; mais il s'en fallait bien que ce fût pour obéir à mon père. Sachant qu'il avait placé chez un banquier à Paris une somme très-considérable, destinée à l'établissement qu'il projetait pour moi, je ne crus pas faire un vol en m'emparant d'avance des fonds qui devaient m'appartenir, et muni d'une prétendue lettre de lui, forgée par ma coupable adresse, je me transportai à Paris chez le banquier, je reçus les fonds qui montaient à cent mille écus, m'habillai promptement en femme, pris avec moi une soubrette adroite, et repartis sur-le-champ pour me rendre dans la Ville et dans le Couvent où m'attendait la tante chérie qui roulait bien favoriser mon amour. Le coup que je venais de faire était trop sérieux pour que je m'avisasse de lui en faire part; je ne lui montrai que le simple désir de voir Léonore devant elle, et de me rendre ensuite au bout de quelques jours aux ordres de mon père.... Mais comme il me croyait déjà à ma destination, dis-je à ma tante, il s'agissait de redoubler de prudence; cependant, comme on nous apprit qu'il venait de partir pour ses biens, nous nous trouvâmes plus tranquilles, et dès l'instant nos ruses commencèrent. Ma tante me reçoit d'abord au parloir, me fait faire adroitement connoissance avec d'autres religieuses de ses amies, témoigne l'envie qu'elle a de m'avoir avec elle, au moins pendant quelques jours, le demande, l'obtient; j'entre, et me voilà sous le même toit que Léonore. Il faut aimer, pour connaître l'ivresse de ces situations; mon coeur suffit pour les sentir, mais mon esprit ne peut les rendre. Je ne vis point Léonore le premier jour, trop d'empressement fût devenu suspect. Nous avions de grands ménagemens à garder; mais le lendemain, cette charmante fille, invitée à venir prendre du chocolat chez ma tante, se trouva à côté de moi, sans me reconnaître; déjeuna avec plusieurs autres de ses compagnes, sans se douter de rien, et ne revint enfin de son erreur, que lorsqu'après le repas, ma tante l'ayant retenue la dernière, lui dit, en riant, et me présentant à elle:--Voilà une parente, ma belle cousine, avec laquelle je veux vous faire faire connaissance: examinez-la bien, je vous prie, et dites-moi s'il est vrai, comme elle le prétend, que vous vous êtes déjà vues ailleurs.... Léonore me fixe, elle se trouble; je me jette à ses pieds, j'exige mon pardon, et nous nous livrons un instant au doux plaisir d'être sûrs de passer au moins quelques jours ensemble. Ma tante crut d'abord devoir être un peu plus sévère; elle refusa de nous laisser seuls; mais je la cajolai si bien, je lui dis un si grand nombre de ces choses douces, qui plaisent tant aux femmes, et sur-tout aux religieuses, qu'elle m'accorda bientôt de pouvoir entretenir uploads/Litterature/ marquis-de-sade-aline-et-valcour-tome-2-le-roman-philosophique.pdf

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