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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Alexie Tcheuyap Études littéraires, vol. 35, n° 1, 2003, p. 13-28. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/008630ar DOI: 10.7202/008630ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 29 juillet 2014 01:44 « Le littéraire et le guerrier : typologie de l’écriture sanguine en Afrique » Études Littéraires Volume 35 No 1 Hiver 2003 LE LITTÉRAIRE ET LE GUERRIER TYPOLOGIE DE L’ÉCRITURE SANGUINE EN AFRIQUE Alexie Tcheuyap La littérature africaine est née, on le sait, de la confrontation coloniale avec son cortège de violence et de racisme. En dehors de quelques exceptions, la plupart des textes fictionnels étaient le lieu d’un affrontement permanent entre l’occupant hostile et les populations locales ou entre des cultures que rien ne permettait au départ de réconcilier. Mais si les déchaînements nationalistes et quelques guerres civiles ont été convoqués dans les récits de nombreux romanciers au Cameroun, en Algérie ou au Congo- Zaïre, on remarque que l’actualité exceptionnellement convulsive de cette dernière décennie a remis l’Afrique sur la sellette avec la naissance d’une véritable littérature « sanguine ». Des guerres récentes sont mises en fiction selon des dispositions et des déterminations qui méritent d’être considérées. Une littérature de l’apocalypse, de l’horreur et de l’abjection vient ainsi de naître, permettant de compléter les images monstrueuses largement diffusées sur divers écrans et dont sont avides maints spectateurs occidentaux et autres spécialistes de droits sélectifs de la personne. La publication d’Allah n’est pas obligé par Ahmadou Kourouma et le controversé projet d’écriture « par devoir de mémoire1 » qui ont subitement porté à la scène littéraire près d’une dizaine de romans thématisant les massacres, mais, surtout, l’attribution simultanée du prix Renaudot et du prix Goncourt des lycéens au roman de Kourouma, pourraient laisser l’impression que les guerres fratricides aux conflits sanglants sont nouvelles en Afrique. Certes, les enjeux et les ravages sont différents, mais un parcours plus attentif des productions permet de remarquer que l’esthétisation du sang est en effet une 1 Fest’Africa, une organisation financée par la France dont la responsabilité dans le génocide rwandais est pourtant établie, a en effet conçu et financé un projet d’écriture « en résidence » ayant permis à Boubacar Boris Diop, Véronique Tadjo, Thierno Monénembo, Nocky Djedanoum, Monique Ilboudo, Kously Lamko, Abdourahman Wabéri et bien d’autres écrivains d’écrire sur le génocide rwandais. 14 ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 35 NO 1 HIVER 2003 permanence dans ces écritures. Si on assiste à une gigantesque militarisation de la littérature et des populations, cela est consécutif à des événements de l’histoire dont des moments tragiques et tourmentés sont mis en récit. Se posant comme nécessité, la littérature sanguine se révèle contemporaine d’une violence actante, comme une « écriture du dedans » qui prend en charge les éclaboussures des amputations et des viols monstrueux. Se servant essentiellement de la prose, cet article tente d’opérer une typologie des écritures sur la guerre en Afrique. Pour faire suite à Ruptures et Écritures de violence, l’ouvrage de Pius Ngandu Nkashama (1997) qui n’aborde pas de manière spécifique l’enjeu du guerrier, après les études consacrées à l’Algérie dans L’esprit Créateur (vol. XLI, n° 4, 2001) et le numéro 148 (2002) de Notre librairie intitulé Penser la violence, le présent article se concentre spécifiquement sur le fait guerrier pour en déterminer les enjeux dans la création littéraire en Afrique. Sans trop insister sur l’hypothèse que le sujet humain ou africain est essentiellement belliqueux, je démontrerai que l’irruption du militaire est non seulement liée à une logique de conquête ou de défense du pouvoir, mais aussi que la guerre comme thématique est liée à la nature et à la construction de l’État. Elle peut aussi faire partie de structures identitaires parfois « meurtrières », comme le suggère un ouvrage d’Amin Maalouf (1998) et, dans bien des cas, est aussi considérée comme le seul moyen envisageable pour une conquête totale de la liberté, surtout pour les peuples victimes de la terreur (post)coloniale. Le fait de guerre, qui suscite souvent le fait littéraire, devient de ce fait un élément fondamental d’une pensée et d’une société en crise. Dans cette étude, mon approche est chronologique et fondée sur une historiographie des guerres « de terrain » qui entraînent des productions littéraires. Elle permet de déterminer non seulement des « constances » mais aussi une sorte de « longue durée », laquelle indique la persistance d’une pratique et la répétition d’un schéma. La guerre est avant tout un acte de force qui cherche à soumettre l’ennemi à notre volonté : pour contraindre l’adversaire à se soumettre, il faut […] le réduire complètement à l’impuissance, ou, du moins, le mettre dans des conditions telles que cette éventualité lui paraisse imminente […] que l’ac- tion militaire doit tendre sans cesse à désarmer l’ennemi, ou, ce qui revient au même, à le renverser2. On peut toutefois observer dans ce contexte que la littérature orale africaine, et spécialement l’épopée, est en elle-même une littérature de la guerre, que celle-ci est la condition essentielle de sa production. Épopées et guerres (re)fondatrices Les épopées africaines, comme toutes les autres du reste, sont le lieu textuel par excellence d’un déploiement du schéma guerrier. Lorsqu’on considère Chaka, une épopée bantoue (Thomas Mofolo, 1949) et Soudjata ou l’épopée mandingue (Djibril Tamsir Niane, 1960), on se rend compte que les batailles sont au cœur des récits. Les divers protagonistes, Sounjata, mais surtout Chaka, sont animés par une incorrigible volonté de puissance. 2 Carl von Clausewitz, De la guerre, 1989, p. 36. LE LITTÉRAIRE ET LE GUERRIER 15 Souverains aux velléités ouvertement expansionnistes, ils constituent en permanence des menaces pour leurs voisins. Chaka, par exemple, ne nourrit pas seulement un goût excessif pour un pouvoir absolu et totalitaire. Il est essentiellement mû par le désir d’agrandir son territoire, car le prestige d’un souverain se détermine par l’étendue de son royaume et le nombre de ses vassaux. La question de l’espace physique est donc vitale dans l’épopée en ce sens que la géographie est caractérisée par la mobilité et l’instabilité. Il est important de protéger les acquis et d’élargir l’espace des conquêtes pour pouvoir prélever les impôts, donnée cruciale dans la sujétion. Selon Lilyan Kesteloot et Bassirou Dieng, Le pays se mesure plutôt par les villages qui paient tribut, puis par les vassaux qui le perçoivent pour leur compte et en reversent une partie au suzerain. Le pays […] s’arrête là où un autre prince lève l’impôt. C’est donc un espace perpétuellement menacé par un pouvoir ennemi, un espace mouvant qui peut s’agrandir par la conquête ou se rétrécir par l’invasion ou la razzia étrangère3. Dans le récit de Mofolo et dans toutes les autres épopées, le territoire du héros ne rétrécit jamais. Chaka le dit lui-même, trois choses lui importent : pouvoir, guerres et armées4. Lors d’une rencontre avec Issanoussi, il sollicite du sorcier « un pouvoir tel que si un homme partait jeune de l’endroit où [il se tient] en ce moment, pour faire le tour de ce qui formera [ses] états et marchait toujours sans jamais s’arrêter, il ne serait pas encore revenu à son point de départ qu’il serait déjà vieux5. » Le désir d’espace est donc vital. Chaka ne s’en cache d’ailleurs pas : [Chaka] porta ses regards tout d’abord sur les peuples qui demeuraient au septentrion de son pays, jusqu’aux territoires inconnus de lui… il porta ensuite son regard dans la direction du midi sur les nations qui vivent au bord de l’océan ; il contempla des villes et des villages, de petits et de grands souverains, des terres riantes parsemées de cités occupées tranquillement par leurs habitants, et il sourit à sa contemplation… puis ses yeux se portèrent sur les hautes montagnes à l’horizon. […] il y vit des clans innombrables […] qui tous vivaient en paix, sans que rien vînt déranger leur quiétude. Alors, il se mit à rire, et se parlant à lui-même il dit : Mon royaume partira d’ici et s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre ! Il n’y aura plus une multitude de potentats, mais un chef unique, un souverain suprême, et celui-là, ce sera moi6 ! Pour accomplir ce dessein, Chaka n’a qu’une seule méthode : la conquête, la guerre offensive car elle évite d’être conquis. La trajectoire est donc celle de la pro-activité de l’initiative : Chaque politie est incitée à développer la plus grande puissance, en mobilisant les ressources guerriè- res et en nouant des alliances judicieuses. Les stratégies dominantes sont offensives, soit directes quand on uploads/Litterature/le-litteraire-et-le-guerrier-pdf.pdf

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