Montaigne Essais 1 Pr{/àce d'André Gide Texte intégral Montaigne Essais 1 C'est
Montaigne Essais 1 Pr{/àce d'André Gide Texte intégral Montaigne Essais 1 C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit, dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée ... je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défa"uts s'y liront au,\rif, et ma forme naïve, autant que la révé- rence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces, nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volon- tiers peint tout entier, et tout nu. «Dans la plupart des auteurs, je vois l'homme qui écrit ; dans Montaigne je vois l'homme qui pense » (Montesquieu). Anonyme : Portrait présumé de Michel de Montaigne. Conservé au château de Montaigne. propriété de Madame Mahler-Besse. 1 Il 9 782070 362899 ISBN 2-07-036289-2 A 36289 J'& catégorie 4 .. -·· ... .. -·· ... Michel de Montaigne • Essais LIVRE PREMIER. Édition présentée, établie et annotée par Pierre Michel Préface d'André Gide Gallimard • © Éditions Gallimard, I96J, pour l'établhsement du texte, la présentation et J'annotation. © Éditions Gallimard, 1962, pour la préface d' A11dré Gide. PRÉfACE A mon ami Charles Du Bos en souvenir de l'ile Saint-Louis. << Un suf!isant lecteur descouvre souvent ès escrits d' aulrt!J, des perfections autres que celles que l'autheur y a mises et apper- ceiies, et y preste des sens et des visages plus riches >>, dit Montaigne. A << sujjisant lecteur >> d'atfiourd'hui, Montaigne sera-t-il<< suf!isant >>lui-même, et saura-t-i! répondre aux ques- tions nouvelles que nous avons à lui poser? Satu doute l'importance d'un auteur tient-e!!e non seulement à sa valeur propre, mais encore et beaucoup à l'opportunité de son message. D'autres que f1Joi, plus érudits, feront valoir l'apport historique de Montaigne et diront si peut-être, avant lui, Érasme 1 n'avait point posé les premières bases d'une humaine sagesse dont les peuples enc!éricalisés de l'Europe avaient en ce te111ps grand besoin. Tel que je suis,je le prmds tel qu'il est. Il nlaurait pardonné de parler de lui de cette manière désultoire qui lui est propre. Tout ordre qu'on essaie d'apporter en un tel stfiet le trahit. <<S'il naissoit à cette heure quelque chose de pareil, il est peu d'hommes qui le prisassent >>, disait-il de Socrate, et pouvons- nous dire de lui. A 11otre époque d'après-guerre, les esprits constructeurs sont en faveur particulière; tout auteur est mal vu I. Érasme mourut en 1536; Montaigne naquit en I5H· 8 Préface IJIIi ne Stlil proposer tm -!Ystè111e. Jt.Iontaigne, il eslurai, 11e nous apporte auc1111 systè111e, et l'on a beau jeu d'insister sur son sctpticisme jusqu'à t•oir dans le : ~ Qtte sçaisje ? » le dernier 111ot de la sagesse et de son enseignement. Pourtant, j'oserai dire que ce scepticisnte n'est poù1t ce qui me plaÎt dans les Essais, ni la lefO!l que surtout j'y puise. Si peut-être je les tire à moi, c'est po11r e11 obtenir 111ieux que des doutes et des interrogations. Il se111ble qu'en foce de l'atroce question de Pilate, dont l'écho retentit à trat'ers les âges : ~Qu'est-ce que la vérité? » Alontaigne reprenne à son compte, encore que tout hunJaine- 11/nzt, d'une manière toute profane et dans un sens très différent, la dù•ùze réponse dtt Christ : «Je suis la tJérité. » C'est-à-dire qu'il estime ne pom•oir véritablement connaître rien, que !tti- IJJêllle. De là cette extraordinaire défiance, dès qu'il raisonne : de là cette confiai/ce, cette assurance, dès qu'il s'abandonne à lui-même et qu'il résigne à lui ses uisées. C'est bien ce qui l' aiJÛ!Ie à tant parler de lui; car la cotmaissance de soi lui paraÎt aussitôt plus importante que toute autre. « Il faut, écrit-il, oster le masque aussi bien des choses que des personnes. » S'il se peint, c'est pour se démasquer, convaincu (jtle « l'es/re tJeritable est le cof!Jmencement d'une grande vertil ». Et je vottdrais inscrire en tête. des Essais ces n1ols adnJirables. Mais cette résolution qu'il a prise de ne s'admettre que véri- table et de se peindre au naturel, je doute qu'il en ait saisi lui- lllênze tout d'abord et la hardiesse et la portée. Il ne pouvait non plus pressentir la faueur qu'elle rencontrerait,· et l'on excuse certaine hésitation première de son trait, cet abri qi/il cherche dans les halliers touffus de l'histoire, ces exemples, ces tâtonne- ments infinis. Il s'intéresse à lui confusément d'abord,, sans trop sauoir ce qui impôrte et si peut-être le plus négligeable en apparence et le plu.r méprisé n'est pas précisément ce (jtli n1érite le plu.r d'attention. Tout, en lui-même, reste pour lui l'objet de curiosité, d'amusement, de surpri.re : « Je n'qy ven monstre et miracle au monde plus exprés que moy-mesmes : on s'appriuoise à toute estrangeté par l'usage el le temps; mais plus je me hante et nte connois, plus ma difformité m'eslonne, moins je m'entensen moy.» Et n'est-il pas plaisant Préface 9 de l' mtendre parler de sa « dijfornlité » !tmdis q11e re fJIIC tJous aimons en lui, c'est ce qui nous per111et précisé111mt de Je trout•er pareil à !tous et ordinaire. l1lais de 111ên1e q11e cei11i qui se croit sù11ple se simplifie, celui qui se croit co111pliqué se contpiique. Sans doute est-ii intéressant de chercher, à travers les confidences de "Af.ontaigne, s'il est tolfjottrs bien paretÏ à ce gu'il se croit être, ou si seulmmzt ille del'ient : « Je sens ce profit inespéré de la publication de mes meurs, écrit-il, qu'elle me sert aucunef6ent de règle; il me vient parfois quelque considération de ne trahir ma peint/IT'e. Cette pttblique décla- ration m'oblige de me tenir en ma route, et à ne des/Ttentir l'image de nJes conditions. » Si naturel qu'ii soit (ou pltttôt encore : IJII' il se veuille), il s'est un tantinet jabriq11é 1• A partir du troisiètlle liure des Essais, Mot1taig11e, parfai- Hp~ent maitre, no11 de ltti-mê111e (il ne le sera ja111ais et ne peut l'être), mais de son slfiet, ne tâtonne phu : il sait ce IJII'il veut dire, ce IJII'illui i111porte de dire, et ille dit excellmt- ntent : <1 Les autres for!IJelzt l'honmu,je le récite ..• » et pl11s loin : « Je ne peints pas l'esfre,je peints le passage. » (Les Alle~JJands diraimt : le werden.J Et cette vérité profomle commence à lui appamître, que la peùzfiiT'e qtt'il présente de lui poiiT'rait bien -être d' illférêt d'autant plus général qu'elle lui est plus partimlière; car, <1 chaque hot11111e porte la forme etztière de l'h11t11aine condition l>. Cette certitude du IIJOÙts, pamJi l'e.lfondren~ent de toutes les autres, ltti reste, qu'm ce slfjet qui est lui-IIJcÎm, il est « le plus S(Ol.'allf ho!IJ/1/C q11i uiue )) ; et ceci l' enco11ra~~e, car <1 ja111ais aucun tt' ar ri l'a ja111ais plus exactelllmt et pbts plaisatJJI/Jent à la jin qu'ii s'estoit proposé à sa be soigne l), po11r laqt~elle la se11le t•ertu qu'il exige, c'est <1 la fidélité l>; il croit pottt'oir t!follter atJsiitôt : « Celle-là)' est, la plus sincere et pttre q11i se troll/Je. l> Et ce q11i nlùztéresse, ntoi, son lerlettr, ce n'est salis dotJte pas de 1. « Et puis, puisqu'ilme f.tut faire la honte toute entière, il n'y a pas un mois qu'on me surprint ignorant dequoy le levain servoit à faire du pain. & Allons tloncl il n'en éprouve honte aucune; tout au contraire, il s'en amuse, il s'y complaît. 11 s'est tlit une fois pour toutes : • Je ne sais rien, ne saurai rien; je demeure inapte à savoir. o Et se le prouve. 10 Préface savoir que, par exm1ple, il peut <c garder ses eaux dix heures 1>1 mais bien cet indiscret besoin qu'il a de me le dire. J'y vois nJieux que de l'impudeur; une certaine protestation contre la bimséance; ce qui se tait à l'ordinaire, ce qui se· cache, c'est là ce qu'il a le plus de plaisir à dire, à étaler. Malgré ses plus cyniques efforts, il estime sans cesse que l'on pourrait aller plus loin encore :~Je 4Y imq, non pas tout mon saoul, mais autant que je l'ose dire,' et l'ose un peu plus en vieillissant. » Pourtant ce point d'heureuse audace dans l'indiscrétion per- sonnelle, Montaigne, l'âge venant, le dépasse; les retouches qu'il apporte en dernier lieu à son texte (sur l'exemplaire de Bordeaux), n'apporteront bientôt plus que réticences, explications, ratiocinations inutiles, et affaiblissement. Il s'en rend compte : ~ Ce ne sont, écrit-il, que surpoids qui ne condamnent point la première forme, mais donnent quelque prix particulier à chacune des suivantes par une petite subtilité ambitieuse. >> C'est le déclin, je préfère donc le plus souvent lire son texte avant ces dernières retouches. <<Il n'est description pareille en difficulté à la description de sqy-mesmes, ny certes en utilité », lisons-nou.r dans les Essais,· car Montaigne, en qui l'on se plaît trop souvent à ne voir qu'un égoïste, est soucieux du bien public 1• Deux textes, du reste uploads/Litterature/les-essais-montaigne-tome-i.pdf
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- Publié le Jan 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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