Études photographiques 12 | novembre 2002 L'« âge d'or » revisité/Alentours de

Études photographiques 12 | novembre 2002 L'« âge d'or » revisité/Alentours de Bayard Critiques de la crédulité Yves Michaud Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/etudesphotographiques/321 ISSN : 1777-5302 Éditeur Société française de photographie Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2002 Pagination : 110-125 ISBN : 2-911961-12-9 ISSN : 1270-9050 Ce document vous est offert par Campus Condorcet Référence électronique Yves Michaud, « Critiques de la crédulité », Études photographiques [En ligne], 12 | novembre 2002, mis en ligne le , consulté le 21 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/etudesphotographiques/ 321 Ce document a été généré automatiquement le 21 janvier 2022. Propriété intellectuelle Critiques de la crédulité Yves Michaud image Nous savons tous que les images sont produites. Je veux dire par là : nous savons bien qu'elles ne sont pas de simples émanations de la réalité, des simulacres ou petites images émises par les choses comme le prétendaient les Épicuriens, des pellicules arrachées à elles, mais des objets construits entretenant avec la réalité des relations compliquées. Nous savons bien que ce que nous voyons dans les magazines ou sur nos écrans de télévision n'est pas la réalité mais des signes humains d'origine technique, qui entretiennent avec le réel une relation problématique. Et pourtant, nous ne voulons pas y croire et nous nous empressons de prendre pour argent comptant ce que nous apportent les médias. Même les intellectuels critiques croient tout ce qu'on leur montre. L'expression "vu à la télévision" témoigne non seulement de notre manière de concevoir la notoriété mais aussi de notre manière de concevoir la réalité. Il y a là quelque chose qui touche en profondeur au régime de la croyance dans nos sociétés de médias. Au point que comme au XVIIIe siècle, c'est d'une théorie et d'une critique du témoignage et de la crédulité que nous aurions avant toute autre chose et constamment besoin. Il nous faut inlassablement reprendre l'analyse et faire de nouveau valoir de salutaires banalités à propos du caractère construit, produit et fabriqué des images, y compris de celles qui se présentent comme les plus vraies et les moins contestables. Il y a là comme un travail de Sisyphe. Entre parenthèses, cette tâche devrait conduire à s'interroger non seulement sur la malédiction des dieux mais sur les capacités réelles de Sisyphe, sur la nature de son rocher et la crédulité de ceux qui regardent la scène. [p. 111] image Je vais donc à mon tour m'atteler à cette tâche à propos des images du photojournalisme. Sans entrer dans des questions compliquées concernant le statut ontologique des images, j'entendrai sous ce terme tous ces documents apparemment doués de ressemblance ou de semblance qui nous paraissent rapporter la réalité avec un indice de vérité particulier, qu'il s'agisse d'images photographiques ou d'images vidéo. Ma définition, on s'en doute, est on ne peut plus prudente, mais elle couvre assez bien l'ensemble des objets considérés. Critiques de la crédulité Études photographiques, 12 | novembre 2002 1 image Avant même d'entamer l'analyse, il faut faire quelques remarques sur la manière dont ces images nous arrivent je ne parle pas du médium technique de la transmission mais des modalités d'apparition. image Elles nous parviennent tantôt isolées (une image, un cliché), tantôt en paquets (les images d'un événement au sein d'un reportage). Elles nous arrivent aussi tantôt comme de simples documents ("le lieu où fut trouvé le corps de la victime", "la scène de l'attentat", "l'accident"), tantôt déjà transformées en icônes, insignes, emblèmes ou symboles (je ne choisis pas parmi ces termes qui renvoient chacun à leur manière à la valeur symbolique particulière de l'image) d'un fait ou d'une situation humaine : le malheur des Palestiniens, la guerre du Viêt Nam, la douleur d'une mère, l'accablement des victimes, la brutalité du soudard.[p. 112] Qu'elles nous viennent seules ou au sein d'une série, quelle que soit leur valeur symbolique ou leur banalité, ces images sont de toute manière prises dans un flux: l'immense fleuve de toutes les images qui sortent des laboratoires et des boutiques de développement rapide, qui se succèdent dans les journaux et magazines, sur les télévisions, sur les panneaux publicitaires urbains, sur les écrans vidéo des boutiques ou des galeries marchandes, sur les murs d'images des sièges des grandes sociétés et des ministères, sur les stands des salons d'affaire, etc., etc. Nous vivons dans un monde de surabondance et même d'indigestion d'images, très différent de mondes anciens pas si éloignés de nous qui étaient pauvres, très pauvres, voire quasiment démunis d'images et qui les considéraient en conséquence comme extrêmement précieuses, menaçantes ou bien dotées de pouvoirs magiques à aborder et à manipuler avec la plus grande précaution. image Nous accordons aussi aux images une valeur de véracité particulière: elles sont vraies pour ainsi dire par principe. Ce qui recouvre des raisons passablement différentes. Parce qu'elles rapportent comment étaient les choses ou comment elles se sont passées. Parce qu'on nous assure qu'elles sont vraies, parce que les canaux de communication par lesquels elles nous viennent sont consacrés à l'information et donc "objectifs". L'historienne de l'art Patricia Fortini Brown a écrit un livre sur la peinture vénitienne du xve siècle 1où elle montre que les peintures de l'époque étaient investies par les contemporains d'une valeur de véracité particulière: on pouvait dire d'une chose ou d'un événement qu'ils étaient vrais parce que c'était ainsi que les représentaient les peintures peintes dans un esprit de témoignage oculaire. C'était vrai parce que c'était peint ainsi. Pour nous, c'est vrai parce que c'est ainsi sur l'image, parce que ce fut photographié ou pris en vidéo ainsi. Le plus souvent on a rapporté, et on rapporte encore aujourd'hui, cette véracité particulière de l'image photographique au caractère automatique et mécanique de la prise de vue et de l'enregistrement photographique, à l'objectivité de l'"objectif", à la brûlure du réel sur l'empreinte photographique (Benjamin), au caractère d'index du signe photographique. On sait très bien qu'il n'en est rien. Il reste pourtant beaucoup de cette conception dans notre crédulité envers les images (que l'on songe seulement au culte de la photocopie dans l'administration, bien qu'il n'y ait rien de plus facile à falsifier et que, de toute manière, on ne regarde jamais la copie!), alors que nous savons pertinemment bien que les images sont produites, fabriquées et donc peuvent être aussi bricolées, montées et remontées, pour tout dire trafiquées et falsifiées. [p. 113] image Dans les pages qui suivent, je vais argumenter la thèse banale mais largement déniée en dépit de toute l'évidence que l'image est le produit de dispositifs de production et que si degré particulier de véracité il y a, il doit être compris et évalué Critiques de la crédulité Études photographiques, 12 | novembre 2002 2 par rapport à ces dispositifs de production. Il se peut que ces réflexions jettent des doutes ou des ombres sur le photojournalisme. image La prise de vue image La prise de vue comme saisie ou capture de l'image, moment en principe premier et fondateur du processus, est soit accidentelle, soit professionnelle. Quelqu'un se trouvait être là avec un appareil: un passant avec sa caméra, un insomniaque sur son balcon qui prend la vidéo d'une bavure policière (affaire Rodney King), ou bien un reporter (en général c'est plutôt une foule de reporters) était arrivé sur les lieux. image Il faut cependant remarquer, avant même de raisonner sur ces considérations, que la prise de vue a une contingence très particulière et qu'elle peut en fait être tout simplement absente, ratée ou détruite: il n'y avait personne sur place quand la chose est arrivée, ou bien ceux qui étaient là sont morts, ou bien encore personne n'a eu le temps ou la présence d'esprit de réagir. Il n'y a pas de photos des cadavres de tous ceux, très nombreux, qui se jetèrent dans le vide le 11 septembre 2001 depuis les étages en feu des Twin Towers et s'écrasaient au sol en des impacts sourds que l'on entend dans le film des frères Jules et Gédéon Naudet sans que les spectateurs actuels ni même ceux du moment (les pompiers présents dans les halls) osent comprendre de quel bruit il s'agit. Cela tient non seulement à des raisons de décence dont je vais très vite parler, mais aussi à ce qu'il n'y avait tout bonnement personne en dessous pour prendre ces photos, ou encore à ce que ceux qui s'y aventurèrent, s'il y en eut, sont morts. Cette extrême contingence de l'image, qui explique pourquoi de la plupart des événements les plus graves et les plus tragiques il n'y a aucune image, devrait faire réfléchir sur les documents qui existent en s'interrogeant sur leur existence à partir de tous ceux qui n'existent pas et qui auraient pu, voire dû, exister: par quel miracle une prise de vue nous arrive-t-elle? Comment cela se fait-il qu'il y ait eu un témoin? Comme on sait, les miracles sont rares¤ Je suggère que nous prenions modestement et lucidement la mesure de cette exception: ce jour du 3 février 1968 où Eddie Adams photographia l'assassinat d'un prisonnier viêt-công par le général uploads/Management/ 2002-12ep-mic.pdf

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  • Publié le Jan 02, 2022
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