LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE SOUS L’ECLAIRAGE DES CRITICAL MANAGEM
LA RESPONSABILITE SOCIALE DE L’ENTREPRISE SOUS L’ECLAIRAGE DES CRITICAL MANAGEMENT STUDIES : VERS UN NOUVEAU CADRE D’ANALYSE DE LA RELATION ENTREPRISE–SOCIETE Inès DHAOUADI Université de Toulouse 1 – LIRHE 2 rue du Doyen Gabriel Marty, Bât. J, 31042 Toulouse cedex ISG Tunis Ines.Dhaouadi@sip.univ-tlse1.fr Assâad EL AKREMI Université de Toulouse 1 – LIRHE 2 rue du Doyen Gabriel Marty, Bât. J, 31042 Toulouse cedex assaad.el-akremi@univ-tlse1.fr Jacques IGALENS Université de Toulouse 1 – IAE 2 rue du Doyen Gabriel Marty, 31042 Toulouse cedex jacques.igalens@univ-tlse.fr Résumé : L’examen de la littérature managériale sur le thème “Business & Society” révèle qu’un grand nombre d’études sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est inscrit dans un paradigme positiviste ou fonctionnaliste. Ces études sont dominées par une analyse descriptive des fondements éthiques de l’activité organisationnelle et par des recherches empiriques sur le lien entre la performance sociale et la performance financière de l’entreprise ; elles renvoient clairement à une interprétation instrumentale de la RSE. L’objectif de cette communication est de présenter l’apport des Critical Management Studies (CMS) comme un nouveau cadre d’analyse qui permet d’enrichir le débat sur la RSE et de contribuer à son développement théorique. Après avoir passé en revue l’évolution historique et conceptuelle d’une doctrine de la RSE ainsi que l’émergence et l’institutionnalisation des CMS dans le champ de la gestion, trois approches de cette grille d’analyse critique dans le domaine de la RSE seront discutées. L’intérêt de l’approche foucaldienne pour une relecture de la RSE comme processus de savoir-pouvoir et pour une compréhension approfondie et systématique des effets de pouvoir des discours et des pratiques de la RSE sera enfin souligné. Mots-clés : Responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), Critical Management Studies, outils et dispositifs de RSE, approche foucaldienne du savoir-pouvoir. Face aux défis posés par le libéralisme économique, la mondialisation des échanges et la montée de l’insensibilité sociale et environnementale de certaines entreprises (Descolonges et Saincy, 2004), le débat sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) est devenu de plus en plus central. L’examen de la littérature managériale portant sur ce thème révèle que celle-ci est largement dominée par le paradigme positiviste ou fonctionnaliste1 (Scherer et Palazzo, 2007 ; Korhonen, 2002 ; Jones, 1996). Ainsi, en se cantonnant souvent à la description des fondements éthiques de l’activité organisationnelle ou à l’étude empirique des liens entre performance sociale et performance financière, ces recherches versent dans une interprétation instrumentale de la RSE (Acquier, 2007). Afin de dépasser les limites de l’analyse fonctionnaliste qui domine le champ Business & Society, cette communication a pour objectif de présenter l’apport des Critical Management Studies (CMS) à l’étude de la RSE et à l’enrichissement des débats qui portent sur le développement théorique de celle-ci. Pour atteindre cet objectif, nous présenterons brièvement, dans une première section, l’évolution théorique et conceptuelle d’une doctrine de la RSE. Dans une deuxième section, nous exposerons le courant des CMS comme l’institutionnalisation d’un corps d’études critiques dans le champ de la gestion ainsi que les courants théoriques majeurs qui les constituent. Dans la troisième et dernière section, nous passerons en revue trois approches de cette grille d’analyse critique qui ont été mobilisées pour l’étude de la RSE : l’approche marxiste- institutionnaliste, l’approche habermasienne et l’approche post-coloniale. Nous mettrons surtout l’accent sur l’intérêt de l’approche foucaldienne pour une relecture de la RSE comme un processus de savoir-pouvoir. 1. L’émergence de la RSE comme un domaine académique de recherche : une perspective historique Le succès du concept de RSE ne doit pas être considéré comme un simple effet de mode car il a déjà une longue et riche histoire qui a émergé, aux Etats-Unis, dès la fin du 19ème siècle (Pasquero, 2005a). La RSE est d’ailleurs considérée comme « la reconfiguration contemporaine d’une question récurrente depuis l’avènement du capitalisme : celle des rapports entre éthique et économie » (Salmon, 2005, p. 202). Au cours de son développement, ce concept a connu plusieurs transitions théoriques et une multiplication d’outils et de pratiques de gestion ainsi qu’une prolifération de termes connexes et concurrents tels que : l’éthique des affaires, la citoyenneté d’entreprise et le développent durable (Frederick, 1978 ; Gond, 2006). Dans ce papier, nous nous focaliserons essentiellement sur le concept de RSE que nous pouvons définir comme la prise en considération par une entreprise, dans la détermination de ses objectifs stratégiques, des demandes sociales et environnementales de ses différentes parties prenantes qui vont au-delà de ce qui est prescrit par la loi (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004). Après avoir présenté les différentes évolutions conceptuelles qu’a connues la RSE comme domaine académique de recherche, nous présenterons les typologies des théories qui ont contribué à l’élaboration de ce domaine. 1.1. Les différentes phases d’élaboration théorique et conceptuelle de la RSE Pour mieux rendre compte de l’émergence et de l’évolution historique de la RSE comme un champ d’étude qui s’est peu à peu construit à l’intérieur des sciences de gestion (Pasquero, 1 Scherer et Palazzo (2007) utilisent le terme de ‘paradigme positiviste’, suggéré par Donaldson (1996), pour désigner le paradigme de recherche dans lequel s’inscrit la plupart des études en matière de RSE. Nous voulons ici souligner qu’à l’instar de Korhonen (2002) et Jones (1996), nous utiliserons le terme de ‘paradigme fonctionnaliste’, suggéré par Burrell et Morgan (1979), pour désigner ces mêmes études. 1 2005a), nous présenterons, dans un schéma synthétique, les différentes phases de l’élaboration de ce domaine d’étude depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours. Figure 1. L’évolution conceptuelle de la RSE 1920 1953 1970 1973 1979 1984 1986 1987 1998 Publication de l’ouvrage « Social Responsibilities of t he Businessman» " Public service " "Managerial trusteeship" Corporate Social Responsive ess (CSR2) n Théorie des parties s prenante Performance Sociale de l’Entreprise (PSE) L’institutionnalisation du champ Business and Society Corporate Social Rectitud (CSR3) e 1996 - P remiers travaux CMS sur la RSE Cosmos - Science - Religion (CSR4) Développement Durable 1.2. Les différentes typologies des théories fondatrices de la RSE Le manque de consensus à propos de la définition du concept de RSE, les ambiguïtés et les contradictions qui lui sont inhérentes (Gond et Mullenbach-Servayre, 2003) ainsi que le caractère controversé et complexe des différentes approches qui constituent ce domaine d’étude (Garriga et Melé, 2004) rendent la tâche de l’identification de ses fondements théoriques problématique. Plusieurs auteurs se sont attachés à cet exercice en proposant différentes typologies des théories fondatrices de la RSE. Le tableau ci-dessous présente une synthèse non exhaustive de ces typologies. Tableau 1. Les typologies des théories fondatrices de la RSE Auteurs Les théories mobilisées par chaque typologie L’idée véhiculée par chaque typologie Frederick (1978, 1986, 1998) - Corporate Social Responsibility (CSR1) - Corporate Social Responsiveness (CSR2) - Corporate Social Rectitude (CSR3) - Cosmos – Science – Religion (CSR4) Le domaine d’étude de la RSE s’est construit à partir des transitions de théories fondatrices intégrant les visions allant de la CSR1 à la CSR4 Gendron (2000) - Courant moraliste - Courant contractuel - Courant utilitariste Les théories de la RSE sont classifiées dans trois principaux courants de recherche à savoir le courant moraliste, contractuel et utilitariste. Ces courants renvoient respectivement à trois grandes écoles de pensée : l’école « Business Ethics », l’école « Business & Society » et l’école « Social Issue Management » Gond et Mullenbach- Servayre (2003) - La théorie des parties prenantes - La théorie du contrat entreprise-société - La théorie néo-institutionnelle La RSE est considérée différemment par ces trois théories fondatrices. Elle est le résultat d’une gestion stratégique et éthique des intérêts des groupes intéressés selon la théorie des parties prenantes ; le moyen pour une entreprise d’entretenir le pouvoir et la légitimité qui lui ont été accordés par la société pour la théorie du contrat entreprise-société ou une réponse aux différentes pressions institutionnelles pour la théorie néo-institutionnelle. - Les théories instrumentales Les théories fondatrices de la RSE peuvent être 2 Garriga et Melé (2004) - Les théories politiques - Les théories intégratives - Les théories éthiques classées en quatre groupes selon l’importance accordée aux logiques politiques ou morales ou intégratives en dépassement des logiques instrumentales. 1.3. Les limites du courant fonctionnaliste de la RSE Deux principales limites sont adressées à la vision fonctionnaliste des travaux sur la RSE. La première, d’ordre idéologique, renvoie aux arguments instrumentaux en faveur de la RSE selon lesquels dans l’entreprise, considérée comme un outil de création des richesses, l’adoption d’un comportement socialement responsable serait un moyen pour améliorer aussi bien la performance économique de l’entreprise que le bien-être de la société (Jones, 1996 ; Scherer et Palazzo, 2007). La deuxième limite souligne le manque de justifications éthiques et de questionnements critiques des normes et des attentes des différentes parties prenantes qui sous-tendent les modèles de performance sociale de l’entreprise (Igalens et Gond, 2003). Ces modèles ont pour objectif implicite de produire une connaissance technique sur le fonctionnement des entreprises dans un contexte de pressions sociétales accrues (Scherer et Palazzo, 2007). Le souci de dépasser ces limites dans les études sur la RSE a amené certains chercheurs à s’orienter vers les études critiques uploads/Management/ 2007dhaouadi-elakremi-igalens048-pdf.pdf
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- Publié le Oct 16, 2022
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