Pallas Descriptiones et vision stoïcienne du destin dans l'Œdipe de Sénèque Jea

Pallas Descriptiones et vision stoïcienne du destin dans l'Œdipe de Sénèque Jean-Pierre Aygon Citer ce document / Cite this document : Aygon Jean-Pierre. Descriptiones et vision stoïcienne du destin dans l'Œdipe de Sénèque. In: Pallas, 49/1998. Rome et le tragique. pp. 135-148; doi : https://doi.org/10.3406/palla.1998.1509 https://www.persee.fr/doc/palla_0031-0387_1998_num_49_1_1509 Fichier pdf généré le 25/10/2018 Abstract Bacchus plays an important part in Seneca's Œdipus : it is possible to see in him a poetic figure of Providence, as suggest the second chorus's descriptiones and a few rapprochements with the beginning of the De Providentia. Certain ecphraseis, with their motifs and the echoes that knit them together, give strength to that interpretation by laying the stress on the cyclic motion within which the tragic crisis is inscribed, and that constitutes a significant departure from Sophocles' Œdipus Rex. But the meaningful course of fate is incomprehensible to men, caught as they are in the chain of causes and effects, just as Œdipus fails to grasp the significance of the descriptio of the crossroads where he killed Laius. The images conjured up by the ecphraseis thus contribute to reveal the stoic colouring of fatum in the Latin tragedy. Résumé Bacchus joue un rôle important dans l'Œdipe de Sénèque : il est possible de voir en lui une figure poétique de la Providence, comme le suggèrent les descriptiones du deuxième chœur et quelques rapprochements avec le début de De Prouidentia. Certaines ecphraseis, par leurs motifs et les échos qui les relient, renforcent cette interprétation en mettant l'accent sur le mouvement cyclique dans lequel s'inscrit la crise tragique, ce qui constitue un écart significatif par rapport à Œdipe Roi de Sophocle. Mais le sens du destin est incompréhensible aux hommes pris dans l'enchaînement des causes et des effets, comme échappe à Œdipe la signification de la descriptio du carrefour où il a tué Laïus. Les images suscitées par les ecphraseis contribuent ainsi à révéler la couleur stoïcienne du fatum dans la tragédie latine. Rome et le tragique, PALLAS, 49, 1998, pp. 135-148. Descriptiones et vision stoïcienne du destin dans Γ Œdipe de Sénèque Jean-Pierre AYGON (Professeur en classes préparatoires) II est une question qui, lorsque l'on cherche à définir la spécificité du tragique sénéquien, reste encore ouverte, c'est celle de la relation entre les tragédies et la doctrine stoïcienne. Pour apporter une modeste contribution à ce dossier déjà très fourni, nous nous limiterons à une pièce, Œdipe, et à une interrogation: la conception de la fatalité qui se dégage de l'œuvre1 est-elle en accord2 ou bien en contradiction3 avec celle des Stoïciens, et notamment de Sénèque? La pièce, en effet, n'exclut-elle pas d'elle-même que la Providence4 puisse gouverner le monde? Nous nous contenterons, pour proposer quelques éléments de réponse, d'analyser plusieurs descriptiones ou ecphraseis . Nous Les critiques admettent pour la plupart qu'il s'agit d'une "tragédie du destin". Cf. B. Marti, 1945, p. 235 sq.; G. Muller, 1953, p. 450, qui conclut que le fatum est le "Hauptakteur des Dramas"; W. Schetter, 1972, p. 403-405; plus récemment, les synthèses de N. T. Pratt, 1983, p. 96-101 et de Ch. Schmitz, 1993, p. 76-79 et p. 85. Mais cette opinion est contestée par J. P. Poe (1983, p. 140), pour qui la pièce pose le problème de la responsabilité morale en l'absence de libre choix. Pour la question difficile de la conception du destin dans le stoïcisme, cf. notamment les ouvrages d'A. A. Long (1971), de J.-J. Duhot (1989) et la mise au point de M. Conche, 1992 (2), p. 51-57. Pour W. Schetter (1972, p. 411; 431-33) la culpabilité d'Œdipe n'est pas incompatible avec la morale stoïcienne; cf. N. T. Pratt, 1983, p. 100-101, K. Schôpsdau, 1985, n. 24, p. 100. Cf. I. Opelt, 1972, 92-128; J. Dingel, 1974, p. 72-80, 115-119; D. Henry et B. Walker, 1983, p. 136; P. J. Davis,1993, p. 164-65. Pour la question de la Providence et l'analyse de la conception de Sénèque, qui se situe dans la lignée de Chrysippe, à la différence de Cléanthe, cf. E. Andreoni-Fontecredo, 1992, p. 161-64. En nous référant à cette notion de Providence, nous simplifions le débat, et ne prenons pas en compte les discussions concernant les distinctions possibles entre le destin (Fatum), la Fortune (Fortuna) et les dieux (Deus-dei). Pour F. H. Sandbach, par exemple, 1975, p. 160 sq., la conception de la Fortune qui ressort des tragédies est contraire au stoïcisme. 136 Jean-Pierre AYGON entendons par là des passages qui suscitent avec netteté une image mentale, la vision d'un spectacle particulier, quel qu'il soit* . On sait en effet que ces développements brillants jouent un grand rôle dans le théâtre sénéquien. Nous prendrons moins en compte les données elles-mêmes du mythe que la façon dont la pièce les organise et nous nous nous appuierons sur la trame même du texte, en comparant l'œuvre de Sénèque {Œdipe) à celle de Sophocle {Œdipe Roi) lorsque cela nous semblera utile6. D'abord, nous montrerons que le deuxième chœur donne de Bacchus une image nettement positive, qui peut rappeler la figure de la Providence. Ensuite, nous essaierons de prouver, en l'insérant dans l'opposition qui structure l'ensemble de la pièce, que cet éloge de la puissance de Bacchus n'est pas ironique. Enfin, s'il est vrai que le destin a un sens, il est clair que les hommes ne savent pas le comprendre: c'est peut-être ce que signifie l'absence de réaction d'Œdipe lorsque Créon lui décrit d'une manière détaillée le carrefour où il a tué son père. En premier lieu, les chœurs d' Œdipe accordent une place privilégiée à Bacchus, ce qui est loin d'être le cas pour Dionysos dans Œdipe Roi. Chez Sophocle, en effet, cette divinité n'est qu'accessoirement mentionnée dans les chœurs. Ainsi, dans les v. 151-215, les choreutes se demandent avec angoisse quelles sont les volontés d'Apollon7, puis adressent une prière à trois dieux, Athéna, Artémis et Apollon (159-67). Après une rapide évocation des ravages dus au fléau (168-86), ils se plaignent des malheurs causés par Ares et implorent successivement l'aide de Zeus (200- 202), d'Apollon et d'Artémis (203-208), et enfin de Dionysos (209-15). Le troisième chœur exprime son effroi devant le scepticisme impie dont font preuve Jocaste et Œdipe, adresse une prière à Zeus à la fin (903-905) et se lamente de voir les oracles d'Apollon méprisés (906-10). Quant au quatrième chœur, il s'interroge sur l'identité des parents d'Œdipe et passe en revue différentes divinités: Phoibos en tête, puis Pan, Apollon, Hermès et, en dernier lieu, Bacchos. Au contraire, chez Sénèque, le premier chœur s'adresse directement à Bacchus, dès le début (113-14: tuus Me, Bacche, /miles), et le deuxième constitue une longue prière, destinée à cette seule divinité et assortie de son éloge (403-508). Certes, la présence de ce dieu n'a rien de surprenant: puissance tutélaire de la Phocide et de Delphes, à part égale avec Apollon8 , il entretient des liens particuliers avec Thèbes. Mais pourquoi la pièce latine lui accorde-t-elle une si grande importance? Plusieurs critiques, tout en reconnaissant que la figure de Bacchus apporte un contrepoint lumineux entre la scène qui précède {exstipicium) et celle qui suit 5 Cf. notre article sur Γ ecphrasis dans Pallas, 41, 1994, p. 41-45 et 50-51. 6 Les commentateurs ont souligné à quel point Sénèque s'était écarté de Sophocle, tout en reprenant pour l'essentiel la même version de la légende: cf. notamment E. Paratore, 1956; G. Muller, 1953; W. Schetter, 1968; D. Henry- B. Walker, 1983, p. 128; K. Schopsdau, 1985; G. Paduano, 1988. 7 V. 154: "Dieu de Délos, dieu guérisseur..." 8 Cf. v. 279: gratum Phocidos Baccho solum ; v. 281 -.Parnasos biceps. V ŒDIPE DE SÉNÈQUE 1 37 (nekyomanteia), ont mis l'accent sur le caractère sauvage, inhumain, des métamorphoses dues à Bacchus, sur l'aspect inquiétant du dieu qui, comme Œdipe lui-même, pervertirait l'ordre de la nature9 . Nous observons au contraire que, si le dieu reste ambivalent, sa violence ne donne pas matière à des descriptiones en forme, mais est plus rapidement évoquée: meurtre de Penthée par les Bacchantes thébaines (439-44); sort d'Ino et de Palémon (445-48); mort de Lycurgue (471); enumeration de peuples soumis à Bacchus (472-83); combats entre les guerriers nés des dents du dragon, à la fondation de Thèbes (484-85); métamorphose des filles de Proetus en génisses (486-87). En revanche, quatre descriptiones remarquables sont développées, mettant en lumière son caractère bienfaisant: l'une, au début, le dépeint avec son visage apotropaïque et sa tenue habituelle (403-23); une deuxième, située au centre du choeur, raconte la célèbre métamorphose des pirates (449-66bis), passage sur lequel nous reviendrons pour en dégager la tonalité exacte; une troisième évoque les noces de Bacchus et d'Ariane à Naxos (488-502); et une dernière constitue le point d'orgue de l'ode, avec un tableau du cosmos (503-508). En outre, si Bacchus et Œdipe modifient la nature, c'est dans des directions radicalement opposées: les motifs descriptifs soulignent clairement cette antithèse. Ainsi, le bosquet que Bacchus fait surgir sur le navire des pirates (449-66 bis) contraste vivement avec la forêt sinistre qui entoure la fontaine Dircé, au début du récit de la nekyomanteia (530-47), cérémonie uploads/Management/ aygon-jean-pierre-descriptiones-et-vision-stoicienne-du-destin-dans-l-x27-oedipe-de-seneque.pdf

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  • Publié le Mai 03, 2021
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