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Carré L’apprenance – Conférence Espés – 12.02.14 - p.1/6 L’apprenance : une autre culture de la formation Philippe Carré Equipe Apprenance et formation (Cref, EA 1589) Université Paris Ouest Nanterre La Défense Merci Georges Ferone et Catherine Delarue-Breton de cette invitation. Sur leur demande, je ne vais pas vous parler de formation des enseignants … Mais tenter d’élargir la question à celle de la formation professionnelle des adultes, dont les enseignants ne représentent qu’un cas spécifique (environ 5% des actifs sont enseignants). Il s’agit donc ici de faire écho d’un point de vue sur la formation professionnelle continue (FPC), dont la traduction à la question urgente de la formation des enseignants pourra faire l’objet du débat. Pour ce faire je procèderai en deux temps. D’abord, en posant la question de l’efficience de la formation des adultes, puis en proposant le concept d’apprenance comme vecteur de changement culturel dans ce domaine. 1. La formation aujourd’hui : quelle efficience ? La notion de formation : un flou … artistique ? La formation, en France, est encore une notion polysémique qui recouvre des catégories d’action disparates. Qu’y a-t-il de commun, en effet, entre un Rapid Learning de 15 minutes pour un employé de call-center, un congé-formation promotionnel de longue durée à l’université, un séminaire d’une semaine en résidentiel pour cadres, une action organisée sur le poste de travail et un programme e-learning à suivre le soir chez soi ? Ou encore entre le stage obligatoire d’une journée annuelle d’un fonctionnaire territorial, dix jours d’accompagnement à la prise de poste d’une nouvelle recrue et les apprentissages informels permanents du médecin, de l’infirmière, de l’autodidacte ou du citoyen avide de fréquenter un « gai savoir » qui ne concerne que lui ? Voire encore avec, à la manière de la Bildung des philosophes, le processus de construction de soi tout au long d’une vie ? Formation, formation, formation … Où sont tes limites ? Carré L’apprenance – Conférence Espés – 12.02.14 - p.2/6 Dans l’entreprise, le périmètre précis de ce que l’on appelle « formation » est glissant, voire introuvable, comme l’avaient déjà saisi Gehin et Méhaut en 1988 : entre le « déclaré » (saisi par la trop célèbre fiche 2483), le « négocié » (inscrit au plan de formation), le « formalisé » (action organisée hors plan) et surtout l’ « exhaustif » (ensemble des opportunités de développement des compétences), le champ est à géométrie très variable. En particulier, La durée moyenne des formations poursuit son recul, pour s’établir à 62 heures en 2010 (PLF 2013). Et cette moyenne cache des disparités énormes selon le dispositif (elle est, pour le plan de formation, d’environ 30 heures). Qu’est-ce donc que la formation ? La question se complexifie encore quand on retient, avec Desjeux (2004), l’idée que chacun/e se saisit du réel en utilisant une échelle d’observation spécifique à sa position dans le champ social, entraînant une forme de myopie face à la perspective d’une autre échelle. En somme, dit Desjeux, « le réel change avec l’échelle d’observation ». Chacun l’analyse à travers des filtres à focales variables, réglés en fonction des expériences singulières qu’il en a eu et des rôles qu’il y joue. Les préconceptions ainsi construites varient selon que l’on est dirigeant, manager, responsable RH, gestionnaire, prestataire public ou privé, formateur ou … « simple » participant. Au niveau « macro », pour le dirigeant, la formation est avant tout un indicateur de gestion, voire une statistique. Aux yeux du formateur, au niveau « meso », la formation est avant tout une scène. Son attention est centrée sur les conditions matérielles (confort, équipement, horaires), la nature du groupe et les relations humaines, les conditions nécessaires à l’adhésion des participants et à la satisfaction des prescripteurs. Au plan « micro », le participant est l’acteur potentiel des transformations cognitives et/ou affectives que la formation peut favoriser. L’objet de la formation peut alors représenter une réelle opportunité pour apprendre, une simple occasion de s’informer, une contrainte ennuyeuse, une activité passionnante, une situation anxiogène ou encore une distraction agréable. C’est pourtant bien à ce niveau flottant des dispositions personnelles que se joue la réalité de la formation. Produira-t-elle les effets souhaités chez la personne concernée, et donc, par contrecoup, sur l’organisation ? Le sujet social apparaît alors comme, in fine, le paramètre majeur de l’efficience de la formation. Selon certains, il est même vraisemblable que si l’on supprimait la moitié des actions de formation inscrites au plan des organisations françaises, tout en les remplaçant par quelque avantage social, la différence pour les salariés et les entreprises serait indiscernable… Sur ce terrain désenchanté, les mirages pédagogiques ou technologiques viennent aujourd’hui à la rencontre des lamentations politiques ou gestionnaires Quel modèle pédagogique ? Stage, e-learning, innovation … Carré L’apprenance – Conférence Espés – 12.02.14 - p.3/6 Les acteurs de la formation sont également aux prises avec un doute chronique, quand il s’agit d’ingénierie pédagogique. La formule classique du stage reste très largement dominante dans les pratiques, mais paraît aujourd’hui grevée par son inertie. Ce modèle-monopole de la pensée pédagogique unique est essoufflé. On en a déjà largement entamé le procès : trop lourd à organiser, trop coûteux, rarement opportun, mal ou pas évalué, souvent inadapté, décalé du travail, etc. On cherche donc à « déstagifier » depuis près de 25 ans… Depuis cette époque, avec la diffusion de la micro-informatique a émergé le modèle de l’EAO, devenu multimédia, puis FOAD, e-learning, aujourd’hui MOOCs : ces contre-modèles nourrissent bien des espoirs et autant de désillusions. Juste-à-temps, juste-ce-qu’il faut, juste où il faut… C’est le rêve du « savoir à portée de la main », selon la formule visionnaire de Caspar, qui semble se concrétiser au rythme exponentiel du développement technique. Pourtant les déceptions s’accumulent et le taux de diffusion de la formation en e-learning « pur » plafonne à 5 ou 10% dans les grandes organisations depuis son essor il y a un quart de siècle. Ce modèle pédagogique est, pourtant a priori, d’une efficacité comparable au modèle présentiel (Fenouillet, 2006). Par-delà le bilan critique des formules traditionnelles basées sur le stage, et le demi-échec du e- learning, de multiples organisations publiques ou privées créent des services « d’innovation pédagogique ». Innovations et retro-innovations de toutes sortes font l’objet d’expérimentations passionnées, d’exposés fougueux et prosélytes auprès d’audiences avides de découvertes radicalement rénovatrices. Pourtant, par-delà la séduction initiale, on observe une succession régulière d’effets de vague, une mode venant, comme c’est sa nature, en remplacer une autre. La pédagogie des adultes, après avoir été le champ de changements sociaux et d’innovations profondes de nos conceptions de l’éducation et de l’apprentissage, tournerait-elle en circuit fermé ? Si être dans le vent est bien un souci de feuille morte, selon le mot de Kundera, serions nous déjà à l’automne de la formation des adultes ? Le serpent de mer de l’évaluation La question se complique quand on observe les litanies récurrentes sur les carences de l’évaluation. Les enquêtes montrent à l’envi que si l’on contrôle toujours la participation, parfois les acquis, une infime minorité d’actions de formation donnent lieu à mesure du transfert des compétences en situation de travail. Ce serpent de mer traverse les eaux tranquilles de la formation depuis près de 40 ans, entrainant le débat, loin de la question de l’efficience, vers une opposition stérile entre gestion cynique des coûts et illusions enchantées de la pédagogie… Les héritages de l’expérience scolaire Enfin, le poids des représentations sociales de l’apprentissage, largement héritées de l’expérience scolaire et par définition universellement partagées, imposent un ensemble de préconceptions peu favorables au changement : l’apprentissage résulterait de la transmission de savoirs par un Carré L’apprenance – Conférence Espés – 12.02.14 - p.4/6 « sachant », vers un « formé » supposé réceptif, au cours d’une transaction, cours ou stage, dont la résultante serait liée à la qualité technologique, pédagogique, didactique portée par l’enseignant. Ces préconceptions sont basées sur le modèle scolaire de la classe, dont on oublie que, loin d’être éternel, il fut généralisé depuis moins de trois siècles. Son extension à la formation des adultes, remarquable dans les cours du soir du XIXème, n’est qu’une des formes possibles cependant. Pensons à la tradition millénaire du compagnonnage, à l’enseignement mutuel, aux méthodes Carrard / TWI qui ont fait le succès de l’Afpa. Sans aller jusqu’à invoquer ici la dimension anthropologique de l’autodidaxie, ce phénomène éternel auquel les technologies du web 2.0 (moteurs de recherche, réseaux sociaux, wikis et forum) donnent une actualité médiatique et une validité prospective que les interventions de D. Peraya et M. Lebrun ne manqueront pas de confirmer. La formation marche sur la tête : l’erreur pédagogique fondamentale Le monde de la formation professionnelle continue « à la française », issu de la loi refondatrice de 1971, n’a toujours pas réussi à se débarrasser du lourd héritage du modèle scolaire, dans les représentations des acteurs d’abord, dans les pratiques ensuite. La figure de la transmission de savoirs, même rénovée et adoucie sous le masque de l’animation, uploads/Management/ concept-d-x27-apprenance 2 .pdf
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- Publié le Sep 25, 2021
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