Conférence donnée, à l’ENS de St Cloud, dans le cadre d’une journée CONSCILA (C

Conférence donnée, à l’ENS de St Cloud, dans le cadre d’une journée CONSCILA (Confrontations en Sciences du Langage), le 28 mai 2010 : « La linguistique textuelle et l’École de Prague : état des lieux » À paraître dans Verbum, en 2011. L’ÉMERGENCE DE LA LINGUISTIQUE TEXTUELLE EN FRANCE (1975-2010). PARCOURS BIBLIOGRAPHIQUE EN 100 TITRES Jean-Michel ADAM Université de Lausanne RÉSUMÉ Cette étude retrace en 100 titres l’émergence de la linguistique textuelle en France entre 1975 et 2010. Elle montre l’importance des travaux de Denis Slakta et des collaborateurs de la revue Pratiques dans la reconnaissance progressive d’un champ de la linguistique plus tardivement accepté en France qu’ailleurs en Europe et dans le monde. Nous avons été conviés par Guy Achard-Bayle à dresser « des états de lieux en linguistique textuelle » et à une « mise en perspective historique » dans le contexte français et plus largement de langue française qui retrace l’influence de l’École de Prague et de sa « syntaxe fonctionnelle » sur l’émergence de la linguistique textuelle (désormais LT) en France, dans les années 70. Pour ce qui est de dessiner les développements actuels, je ne le ferai qu’indirectement, en assumant un bilan orienté et en renvoyant à la nouvelle édition de La linguistique textuelle (A. Colin, coll. Cursus, 2011) qui présente l’état actuel de ma conception du domaine. Dans une très utile synthèse internationale des études sur la cohésion et la cohérence, Michel Charolles présente la période qui précède celle dont je vais parler : Jean-Michel Adam 2 (1) Michel CHAROLLES (1986). « Le problème de la cohérence dans les études françaises sur le discours durant la période 1965-1975 ». In : M. Charolles, J. Petöfi, E. Sözer (eds), Research in Text Connexity and Text Coherence. A survey. Hamburg : Buske, 3-60. Il montre que seuls les travaux de Greimas et Rastier sur les isotopies ont accordé, en France, dans ces années-là, une place à la question de la continuité textuelle et met le doigt sur les sources méthodologiques et théoriques du blocage de l’analyse de discours française par rapport à la question de la textualité. L’excellente synthèse de Lita Lundquist (2) complète très utilement mon propos : (2) Lita LUNDQUIST (1988). « Linguistique textuelle en France ». In : G. Hodus et alii : Lexicon der Romanistischen Linguistik. Hamburg : Niemeyer. Je renvoie également à l’« histoire récente de l’Analyse du discours » de Charolles et Combettes (3), car je focaliserai mon propos sur les grammaires de texte (désormais GT) et la LT, en laissant de côté l’analyse de discours (désormais AD) et la pragmatique. Pour un bilan bibliographique plus complet et moins orienté que le parcours que je vais proposer, voir Karabétian (4) : (3) Michel CHAROLLES & Bernard COMBETTES (1999). « Contribution pour une histoire récente de l’analyse du discours ». Langue française 121, 76- 115. (4) Etienne Stéphane KARABÉTIAN (1999). « Bibliographie générale », Langue française 121, 117-123. J’ai choisi une présentation résolument historique d’un contexte que j’ai connu de près, en étant, avec Lundquist, Combettes et Charolles, un des acteurs du développement de la LT en France et en Suisse, où j’enseigne depuis 1984. J’ai été étudiant de Denis Slakta à l’université de Haute- Normandie, à Rouen, à la fin des années 1960 ; en mettant en évidence son influence sur l’émergence de la LT, en France, dans les années 1970, je lui rendrai hommage et témoignerai d’une immense dette intellectuelle. Le terme même de « linguistique textuelle » a été introduit pour la première fois par Eugenio Coseriu, dans un article écrit en espagnol, au milieu des années 1950 : (5) Eugenio COSERIU (1955-56). « Determinación y entorno. De los problemas de una lingüística del hablar », Romanistisches Jahrbuch 7, Berlin, 29-54 ; repris dans Teoría del lenguaje y lingüística general. Madrid : Gredos, 19733 : 282-323). L’émergence de la linguistique textuelle en France 3 En 1969, Harald Weinrich introduit le terme Textlinguistik dans le titre d’une étude de la syntaxe des articles en allemand : (6) Harald WEINRICH (1969). « Textlinguistik : Zur Syntax des Artikels in der Deutschen Sprache ». Jahrbuch für Internationale Germanistik 1, Berne/Frankfort, 61-74. Weinrich sera le premier titulaire de la chaire européenne du Collège de France, en 1990, et, à cette occasion, il donnera un des premiers cours de LT en France. C’est dans ces années-90 que la LT et la GT se sont progressivement imposées, comme en témoignent le dernier chapitre de la Grammaire méthodique du français de Riegel, Pellat et Rioul qui est passé de 20 pages sur « La structuration du texte » (PUF 1994 : 603-623) à 47 pages sur « Texte et discours » dans la dernière édition (2009 : 1017-1064), ainsi que le dernier chapitre (2005 : 323-346) consacré au « Texte » de Linguistique d’Olivier Soutet. Dans ce manuel d’initiation à la linguistique paru en 1995 (PUF ; nouvelle éd. 2005), Soutet souligne le caractère paradoxal de la LT : La linguistique textuelle est […] une discipline quelque peu paradoxale. Evaluée à l’aune de ce qu’il est convenu d’appeler la linguistique moderne – celle qui nous conduit du comparatisme historiciste du début du XIXe siècle au poststructuralisme du dernier tiers du XXe siècle –, elle paraît toute jeune et en quête de légitimité ; replacée dans la longue durée des savoirs et des techniques – philologie, littéraire et judiciaire – qui ont pour objet, sinon le texte en général, du moins certains types de textes, elle semble n’en être que le prolongement ou l’élargissement. (2005 : 324) Le Congrès mondial de Linguistique Française qui s’est tenu à Paris en 2008 a consacré significativement une section à « Linguistique du texte et de l’écrit, stylistique ». C’était un progrès, même si cet intitulé limite le texte à l’écrit et couple cette section à la stylistique plutôt qu’à l’AD. Certes, comme le dit Soutet, la LT a quelque chose à voir avec la stylistique, qui avait pour objet la texture (elocutio) des textes littéraires, mais elle a également à voir avec la poétique, qui a pour objet la question des genres littéraires, la structure des textes poétiques et narratifs, l’insertion de la description et du dialogue dans le récit, avec l’herméneutique et la philologie, ces savoirs et techniques d’établissement du texte et de son analyse, avec la traduction qui trouve sa pleine réalisation textuelle et discursive dans la Poétique du traduire (Lagrasse : Verdier) d’Henri Meschonnic et de son « primat du texte » : l’unité du traduire « n’est pas le mot, mais le texte » (1999 : 335). J’ajoute que les « retours » de la rhétorique, de la stylistique et de la philologie (on le constate ici-même avec le programme de « philologie Jean-Michel Adam 4 englobante » de Tomás Hoskovec) sont la preuve du fait que la LT n’a pas (encore) réussi à occuper la place qui devrait être la sienne, une place qui permette sinon de périmer ces sciences et disciplines du texte, du moins d’inscrire leurs acquis dans un nouveau cadre théorique et méthodologique1. 1. ENTRE GRAMMAIRE DE TEXTE ET ANALYSE DU DISCOURS : L’IMPORTANCE DES TRAVAUX DE DENIS SLAKTA Au début des années 1970, Slakta publie deux articles qui ont trait à la grammaire des cas (7) et aux actes de discours (8), articles inscrits dans le cadre de l’analyse du discours politique (étude d’un corpus de Cahiers de doléances) : (7) Denis SLAKTA (1971). « Esquisse d’une théorie lexico-sémantique ». Langages 23, 87-134. (8) Denis SLAKTA (1974). « Essai pour Austin ». Langue française 21, 90-105. Dans (7), il met en avant une proposition de Halliday (9) : « L’unité de base “n’est pas le mot ni seulement la phrase, mais le texte” » (1970 : 160). (9) Michael Alexander Kirkwood HALLIDAY (1970). « Language structure and language function ». In : J. Lyons (ed), New Horizons in Linguistics. Harmondsworth : Penguin, 140-165. Slakta résume ses travaux en cours d’une manière très représentative du champ de l’analyse française du discours de l’époque : La démarche est celle-ci : le texte est mis en rapport direct à une formation sociale particulière (France de 1789). Le décret royal entraîne la rédaction de Cahiers de doléances – c’est-à-dire qu’il produit une situation de communication spécifique. S’instaure alors une action verbale particulière : le texte, par sa fonction sociale, est défini comme spécifiquement politique. Cela implique une demande (contexte abstrait) qui va s’exprimer en fonction d’un état concret du monde – c’est-à-dire en fonction de la représentation imaginaire que les sujets du Roi de France entretiennent à leurs conditions réelles d'existence, en Normandie, en 1789 (contexte concret). Des potentialités syntaxiques et sémantiques sont ainsi ouvertes par l’acte spécifique de la demande, et les choix sont opérés en fonction de la compétence spécifique (grammaire) et en fonction de la compétence générale (idéologie). (1971 : 113) 1 J.-M. ADAM (2005). « Les sciences de l’établissement des textes et la question de la variation ». In : J.-M. Adam & U. Heidmann (eds), Sciences du texte et uploads/Management/ conscila-verbum.pdf

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  • Publié le Jui 01, 2021
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