1 In Vie pédagogique, n° 112, septembre-octobre 1999, pp. 16-20 Dossier “ Faire
1 In Vie pédagogique, n° 112, septembre-octobre 1999, pp. 16-20 Dossier “ Faire acquérir des compétences à l’école ” “ Dans le fond, c’est manifester le maximum d’estime qu’on puisse avoir pour les savoirs que de les transformer en compétences ”. Construire des compétences, tout un programme ! Entrevue avec Philippe Perrenoud * Propos recueillis par Luce Brossard pour Vie Pédagogique Professeur à l’Université de Genève et auteur de nombreux ouvrages sur l’éducation, dont un sur les compétences intitulé “ Construire des compétences dès l’école ”** * Courriel : Philippe.Perrenoud@pse.unige.ch. Site WEB : http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/welcome.html ** Perrenoud, Ph. (1997) Construire des compétences dès l’école, Paris, ESF (2e éd.1998). , M. Philippe Perrenoud avait été invité par l’Association des cadres scolaires du Québec à prononcer la conférence d’ouverture de leur colloque de l’année dernière. Nous avons profité de sa présence au Québec pour nous entretenir avec lui du virage de l’école vers les compétences. Vie Pédagogique : Tous les pays développés semblent s’orienter vers l’approche par compétences. S’agit-il d’une nouvelle panacée ? D’un nouveau remède aux maux de l’école ? Philippe Perrenoud : Les réformes successives du système éducatif n’ont pas encore abouti à des résultats satisfaisants. Là est l’essentiel. L’école “ peut mieux faire ”. Pour avoir le courage de remettre l’ouvrage sur le métier, peut-être avons- nous besoin de créer de nouveaux mots-clés, pour nous donner l’impression qu’il y a un enjeu, un défi nouveau. Ne nous y trompons pas : si le langage est nouveau, l’approche par compétences répond à un vrai et ancien problème de l’école. Dans le meilleur des cas, les jeunes sont “ savants ”, lorsqu’il sortent de l’école. Ils ne sont pas nécessairement compétents. Autrement dit : beaucoup n’ont pas appris à mobiliser leurs savoirs en dehors des situations d’examen. Ce qu’ils savent ne leur est utile hors de l’école que s’ils parviennent à identifier, activer et coordonner leurs savoirs, voire à s’en détacher pour inventer des solutions originales, lorsque la situation exige d’aller au-delà des savoirs établis. On a mieux compris aujourd’hui que cette mobilisation ne se fait pas spontanément, au gré de l’expérience. Y entraîner est depuis toujours un enjeu de formation majeur en formation professionnelle. Le fait nouveau est que l’on s’en préoccupe désormais dès la scolarité de base. 2 Il y a, derrière les réformes du curriculum en termes de compétences, une prise et peut-être une crise de conscience. L’école accapare beaucoup d’années de la vie de chacun, en lui promettant que cet investissement va être utile. La désillusion est accentuée par le fait que, depuis un siècle, la scolarisation n’a cessé de s’étendre ; on a mis de plus en plus de jeunes à l’école, pendant de plus en plus d’années. Les obstacles à l’accès à l’école sont aujourd’hui largement surmontés dans les pays développés. La question est maintenant de savoir si ce qu’on y apprend justifie les longues années qu’on y passe. La question ne se pose pas pour ceux qui apprennent en dépit de toute pédagogie, mais pour le plus grand nombre. Dans une société moderne, on estime que tous ont besoin de savoirs et de compétences. Pourquoi y a-t-il autant de jeunes qui, après dix ans passé à l’école, ne savent pas véritablement lire ? Et pourquoi ceux qui ont passé des examens ne parviennent-ils pas à se servir de leur savoir dans la vie, par exemple pour prendre soin de leur santé ou comprendre les enjeux politiques ? C’est un nouveau défi. Maintenant que l’école existe et touche tout le monde, il faut faire en sorte qu’elle atteigne ses buts pour tous ou presque tous. Une difficulté : définir des compétences V.P. : Définir une compétence dans le domaine scolaire n’est pas si simple. En formation professionnelle, on semble n’avoir pas trop de difficulté à cerner les compétences liées à un métier. Mais en français, en mathématiques, c’est autre chose. Quelle définition pourrait-on donner au terme “ compétence ” en pensant aux matières scolaires ? Ph. P : Une compétence est une capacité d’action efficace face à une famille de situations, qu’on arrive à maîtriser parce qu’on dispose à la fois des connaissances nécessaires et de la capacité de les mobiliser à bon escient, en temps opportun, pour identifier et résoudre de vrais problèmes. Dans la vie, par exemple, chacun affronte des situations dans lesquelles il doit savoir argumenter pour obtenir ce qu’il veut : s’expliquer, obtenir des informations, justifier son comportement, faire comprendre ses choix, défendre ses droits et son autonomie. Ce sont des situations banales, qu’on rencontre dans le travail, dans la famille, dans la cité. L’argumentation a des enjeux familiaux, scolaires, professionnels, économiques, politiques, juridiques. Quand on doit justifier la garde de ses enfants dans une procédure de divorce, c’est évidemment plus important que d’expliquer à un ami pourquoi l’on n’aime ou l’on n’aime pas Céline Dion. Ces situations ont toutefois en commun le fait qu’argumenter est un moyen d’action ou d’influence. Argumenter ne consiste pas à préparer une belle déclaration. Il faut être capable de répondre aux objections, de développer son raisonnement, de penser différemment des autres, de percevoir leurs propres ambivalences et contradictions. C’est une compétence que de pouvoir soutenir son point de vue sans fuir la confrontation, en écoutant les autres, en tenant compte de leur avis, en faisant des compromis quand il faut prendre des décisions. L’acquisition de cette compétence 3 requiert certaines connaissances, sur le fond aussi bien que linguistiques et psychosociologiques, mais elles ne servent à rien si on ne peut les mobiliser face à un interlocuteur et construire une “ stratégie argumentative ” efficace, adaptée au contenu, au moment, au destinataire. Certaines compétences mobilisent de nombreux savoirs scolaires, d’autres font appel à d’autres types de savoirs, plus liés à des contextes d’action particuliers. La compétence d’argumentation fait souvent appel à des savoirs d’expérience, à des savoirs “ psychosociolinguistiques ” qui ne sont pas enseignés à l’école de base. Travailler une telle compétence à l’école ne peut donc se résumer à donner une large culture générale, encore moins à dispenser quelques savoirs procéduraux sur l’argumentation. Il s’agit d’entraîner l’argumentation, en faisant varier les contextes et les enjeux. On se trouve dans le droit fil d’une pédagogie de la langue comme outil de communication. D’autres compétences, par exemple financières (gérer son budget, décider d’un plan d’épargne ou d’un investissement, prévoir le montant de ses impôts ou dépenser sans être dans les chiffres rouges), font appel à des connaissances mathématiques, à la notion d’intérêt, à diverses opérations, aussi bien qu’à des connaissances juridiques et commerciales. Une partie de ces connaissances sont acquises à l’école. Il y a toujours des connaissances “ sous ” une compétence, mais elles ne suffisent pas. Une compétence est quelque chose que l’on sait faire. Mais ce n’est pas un simple savoir-faire, un “ savoir-y-faire ”, une habileté. C’est une capacité stratégique, indispensable dans les situations complexes. La compétence ne se réduit jamais à des connaissances procédurales codifiées et apprises comme des règles, même si elle s’en sert lorsque c’est pertinent. Juger de la pertinence de la règle fait partie de la compétence. V.P. : Est-ce que ce ne sont que les pratiques sociales valorisées qui vont nous guider dans le choix des compétences à retenir pour l’école, si on ne peut pas tout faire quand on adopte cette approche ? Ph.P. : On ne peut pas tout faire. Travailler par compétences demande du temps. Il faut donc opérer des choix, à la fois quant aux compétences visées et aux connaissances pertinentes. Quelles compétences faut-il viser dans l’enseignement de base ? Il est difficile, pour l’école, de se référer à des pratiques sociales très concrètes, parce que ces dernières sont situées dans des milieux, dans des organisations, dans des rapports sociaux. Par exemple, organiser une grève ou un mouvement de protestation, c’est ce que doivent savoir faire un certain nombre de salariés dans les périodes de conflits du travail. Est-ce à l’école de développer cette compétence ? Même si l’on tente de l’euphémiser, en disant “ savoir organiser un mouvement collectif ”, l’idée apparaîtra encore trop contestataire. De reformulations en adoucissements, on en arrivera à un énoncé “ politiquement correct ”, mais tellement abstrait, tellement vide, que les professeurs auront toute latitude de ne pas le prendre au sérieux. Certains ne verront même pas ce qu’il faut faire pour la travailler. 4 Alors, faut-il rester très terre à terre et se référer à des pratiques sociales qui sont forcément marquées de valeurs, de choix politiques, de rapports de force ? Ou vaut-il mieux définir des “ compétences transversales ” d’un tel niveau d’abstraction que plus personne ne se rend compte qu’elles renvoient à la vie quotidienne et aux rapports sociaux ? Si l’école se risquait à définir des compétences qui évoquent clairement les situations de la vie, il resterait une question difficile : à quel acteur social se référer ? A l’école, on ne forme pas les élèves à devenir premier ministre, prix Nobel de médecine ou champion de tennis, parce que ceux qui sont uploads/Management/ construire-des-competences-tout-un-programme.pdf
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- Publié le Fev 04, 2021
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