1 UN REGARD ERGONOMIQUE SUR LE TRAVAIL Auteur : Yann Poley - Déméris Conseil ww
1 UN REGARD ERGONOMIQUE SUR LE TRAVAIL Auteur : Yann Poley - Déméris Conseil www.demeris.fr Les manières de prendre en compte le travail dans les entreprises s’appuient bien souvent sur des représentations réductrices de sa complexité, contribuant dès lors à la conception de situations de travail délétères pour la santé des salariés. Toute la pertinence de l’approche ergonomique de l’activité, c’est justement de donner à voir cette complexité, en vue des transformations des situations de travail. 1. LE TRAVAIL COMME EXECUTION L’approche la plus largement partagée du travail reste fortement marquée par le taylorisme et la division verticale et horizontale du travail, où les salariés doivent se plier à des processus de fabrication établis sans eux. Il s’agit du « one best way », autrement dit l’établissement de la meilleure façon de produire, qu’il convient de leur imposer. Leurs expériences et savoir-faire sont doublement niés : une première fois puisqu’ils ne participent pas à l’élaboration des processus de production et une seconde fois puisque tout écart à la prescription est considéré comme néfaste au bon fonctionnement du système global. Il en résulte une vision profondément négative des salariés et de leur place dans le fonctionnement global de l’entreprise. Elle est encore d’actualité de nos jours et il est parfois possible de constater des actions de préventions, suite à un accident du travail par exemple, qui portent sur le rappel aux salariés des « bons gestes métiers ». 2. LE TRAVAILLEUR GESTIONNAIRE DE LA REALITE L’Organisation Scientifique du Travail (OST), chère à Taylor, développera une vision d’un homme moyen, agissant dans des conditions standardisées par une approche rationnelle. L’ergonomie francophone s’est développée en opposition de cette approche. Elle a permis de montrer qu’au contraire, travailler, c’est gérer un environnement instable soumis à des événements, des aléas, mais c’est aussi gérer les variations de sa santé, de sa fatigue. Cela implique que le travailleur n’est pas passivement un exécutant, mais qu’il lui est au contraire nécessaire de prendre des initiatives, d’adapter, de modifier ses actions, de dévier des procédures prévues pour justement réussir à atteindre les objectifs qui lui sont assignés. Ces travailleurs se trouvent à la croisée de multiples enjeux, de multiples injonctions. Il y a celles issues de la direction, mais aussi celles issues des clients, des collègues. Enfin, il y a celles qu’ils se donnent à eux-mêmes. Travailler, c’est toujours tenir plusieurs objectifs : assurer la production, préserver sa santé, réaliser un travail de qualité dans lequel on puisse « se reconnaître ». Certaines de ces prescriptions, au sens qui pré-écrit les façons de faire afin d’atteindre un objectif particulier, peuvent se compléter, s’enrichir mutuellement. D’autres sont contradictoires, de sorte qu’il n’est pas possible de les tenir en même temps. Ainsi, travailler, c’est toujours trier, prioriser entre ces différentes injonctions de faire. Par ces prises d’initiatives, ces adaptations aux évolutions du contexte, les travailleurs ont la possibilité de se développer et d’acquérir de nouvelles compétences. Les buts qui guident l’action vont s’affiner, prendre une autre dimension, notamment collective. Un regard ergonomique sur le travail – Yann Poley – Déméris Conseil 2 Ce développement n’est toutefois possible que dans la mesure où les salariés peuvent prendre des « libertés dans l’exercice de la tâche ». Dans le cas contraire, le travail peut être source de souffrances, de pathologies. C’est pourquoi cela nécessite de développer les marges de manœuvre dont disposent les travailleurs pour atteindre, et donc faire, autrement les objectifs qu’ils doivent tenir. Les collectifs jouent des rôles prédominants dans cette question des effets du travail sur les salariés. Ils permettent ou non de prendre en charge collectivement les contradictions et conflits de buts qui se présentent dans l’activité et de traiter collectivement des questions et paradoxes qui peuvent, initialement, sembler individuels dans l’activité de chacun. 2.1. Une approche systémique de l’homme au travail L’une des spécificités de l’ergonomie de l’activité est d’approcher l’Homme dans ses différentes dimensions (psychologique, sociale, cognitive et biomécanique). Cette approche holistique de l’homme s’intègre dans une approche systémique du travail où l’activité devient l’élément central à partir duquel il est possible de penser les autres dimensions du système. La figure 1, plus connue comme le « schéma à 5 carrés » (Leplat et Cuny, 1974), est « une modélisation de l'activité en tant qu’outil de compréhension des dimensions qui se jouent dans l'activité de travail » (Coutarel, 2003, p. 453). Il est ainsi possible d’envisager chacun de ces éléments « dans un tout qui fait système », notamment en portant son attention sur les liens entre ces éléments. Figure 1 : schéma des cinq carrés, adapté de Leplat et Cuny (1974) Dans ce modèle, l’activité de travail est le résultat d’une rencontre toujours unique et située entre une personne et un environnement. Cette personne est caractérisée à travers une diversité de critères (anthropométriques, biographiques, sociales, etc.). L’environnement l’est par les objectifs qu’il doit atteindre, les moyens techniques, organisationnels et environnementaux à sa disposition pour y parvenir. Ces deux aspects sont vus variables et évolutifs dans le temps. En ce sens, l’activité est fondamentalement finalisée et rationnelle. Finalisée puisqu’elle vise à atteindre des buts précis. Rationnelle puisqu’elle est toujours la résultante de décisions prises par un individu. La personne n’est toutefois pas considérée comme omnisciente. Plusieurs auteurs (par exemple Boudon, 1996 ; Simon, 1972) présentent cette rationalité comme étant limitée. Les décisions ne sont prises qu’avec les informations à disposition de l’individu, en fonction des possibilités d’action qui s’offrent à lui. La façon dont une personne travaille est en cela toujours déterminée en partie par les informations et possibilités présentes dans une situation. Un regard ergonomique sur le travail – Yann Poley – Déméris Conseil 3 2.2. Les déterminants de l’activité Les situations de travail sont par définition instables, de sorte que ce qui permet au travailleur d’atteindre les objectifs, c’est justement sa capacité à ne pas appliquer stricto sensu la procédure. Ainsi, contrairement à ce qui faisait l’un des fondements de l’OST de Taylor, « le travail, c’est la mobilisation des hommes et des femmes face à ce qui n’est pas prévu par la prescription, face à ce qui n’est pas donné par l’organisation du travail » (Davezies, 1993, p. 6). Zarifian (1995) parle d’événement, pour désigner « tout fait qui vient perturber le système » (p. 33). Les travailleurs doivent gérer ces événements et « sont amenées à prendre des décisions sur le comportement à adopter pour rétablir la situation » (Gentil, 2012, p. 43). Le quotidien des travailleurs peut ainsi être vu comme une confrontation entre ce qui est anticipé à partir de connaissances et modèles généraux, et la spécificité de chaque situation qui n’a pas été anticipée et qui nécessite d’être prise en compte dans la façon de travailler. Ce sont les travailleurs qui finalement doivent gérer le fait que la réalité est trop complexe pour se laisser encadrer par des procédures. De fait, le système nominal n’existe pas. En ce sens, l’homme, justement parce qu’il s’investit dans son travail, s’écarte des prescriptions pour gérer les imprévus. Il est de fait un acteur incontournable de la fiabilité du système. 2.3. Prendre soin du réel Travailler consiste à agir dans un environnement en perpétuel changement. Le cadre de ses actions n’étant par définition pas stable, il est nécessaire que l’individu s’adapte aux variabilités des situations extérieures, mais aussi de son état interne. 2.3.1. Régulation de l’activité et arbitrage entre les déterminants de l’activité Ainsi, travailler inclut un contrôle permanent, à la fois conscient et inconscient, de sa propre activité, en fonction d’un ensemble de règles définies par l’extérieur (règles fixées par l’organisation, règles de métiers…), mais aussi de ses mobiles et buts personnels. C’est ce contrôle qui permet, en cas de détection d’un écart entre résultats attendus et obtenus, de modifier son activité. Ces modifications de son activité sont toujours tendues par au moins deux pôles : atteinte des objectifs de production et préservation de la santé. Entre ces deux pôles, en fonction de la multitude de buts et motifs, le travailleur doit prioriser, trier, renoncer à certains buts et motifs. Il est important de garder à l’esprit que toute activité a toujours plusieurs buts, plusieurs motifs, « ce qui a pour conséquence que chacun ne peut être réalisé de manière optimale et qu’un compromis doit nécessairement être élaboré » (Leplat, 2006, p. 11). Ainsi, face à la diversité d’attentes, d’obligations, de contraintes, il existe bien souvent des contradictions et il n’est pas toujours possible de toutes les tenir ; en tenir une peut même revenir à en rejeter une autre. C’est par exemple le fait de devoir produire à temps et en qualité. Ainsi, s’il n’est pas possible de tenir les deux, le travailleur devra faire un choix et privilégier l’un sur l’autre. Les régulations des modes opératoires permettent ainsi de réaliser les tâches assignées, mais aussi d’atteindre les objectifs et buts personnels, dont la préservation de sa santé. Ce sont avant tout des compromis entre des contraintes opposées. Ces modifications des modes opératoires restent la plupart du temps dans les espaces uploads/Management/ demeris-conseil-un-regard-ergonomique-sur-le-travail 1 .pdf
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- Publié le Fev 09, 2021
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