1 Développement durable et management stratégique : piloter un processus de tra
1 Développement durable et management stratégique : piloter un processus de transformation de la valeur Aurélien Acquier Prof. Assistant, ESCP-EAP 79, av. de la République 75011 PARIS Tel : +33 1 49 23 58 25 Fax : +33 1 49 23 21 03 aacquier@escp-eap.net Candidat au prix Roland Calori du Jeune Chercheur (thèse soutenue le 29 septembre 2007) Résumé : Cette communication propose une conceptualisation du lien entre développement durable et management stratégique fondée sur le concept de valeur. Nous recensons tout d’abord la difficulté de trois corps de travaux principaux (approches stakeholders, ressources et compétences, RSE stratégique) à théoriser le lien entre développement durable et valeur. Nous établissons ensuite la relation entre ces deux concepts. Nous proposons que le développement durable renvoie à processus par lequel des valeurs sociales émergentes sont incorporées au jeu économique et à la stratégie des entreprises. Enfin, nous montrons que du point de vue de la firme, le pilotage du développement durable peut être appréhendé à travers deux types de pratiques : les ‘figures libres’ et les ‘figures imposées’. Nous soulignons les implications et perspectives de recherche ouvertes par cette conceptualisation rénovée. Mots clés : développement durable, responsabilité sociale de l’entreprise, management stratégique, valeur 2 Développement durable et management stratégique : piloter un processus de transformation de la valeur INTRODUCTION Si le premier article scientifique reliant tabagisme et santé date de 1906, c’est à partir de 1952 que fut largement médiatisée cette question aux Etats-Unis, à travers la diffusion des recherches du Sloan Kettering Institute. Largement relayés par les médias (notamment par un dossier du Reader’s Digest publié en 1954), cette prise de conscience se traduira par une diminution de 10% de la consommation de tabac par tête en deux ans. Au cours des 25 années suivantes, l’industrie doit faire face à des pressions institutionnelles croissantes (quoique d’intensité et d’effets variables) visant à limiter l’usage du tabac. Ces évolutions donneront lieu à différentes stratégies d’adaptation de la part des entreprises américaines du secteur du tabac, oscillant entre des tentatives de préservation de leur marché (via des actions de lobbying visant à ralentir l’introduction de nouvelles règles), des stratégies de domination d’un marché domestique menacé, et des initiatives de diversification sectorielles ou internationales (Miles et Cameron 1982). En 1965, la publication de Unsafe at Any Speed (Nader 1965) marquait la naissance du mouvement consumériste aux Etats-Unis. Le livre mettait en cause l’immobilisme et l’obstination des constructeurs automobiles américains, refusant d’investir dans la sécurité des véhicules, perçue comme une source de coûts et invisible pour les consommateurs finals. Quarante ans plus tard, un véhicule grand public ne tenant pas compte des critères de sécurité semble inconcevable. La sécurité des occupants du véhicule constitue désormais une fonctionnalité explicite du produit, un élément incontournable de sa valeur (du moins dans les pays occidentaux), intégré dans les pratiques de conception de tout véhicule. En la matière, on a assisté à la structuration progressive de nouvelles expertises au sein des entreprises mais aussi en dehors, à travers la structuration d’organismes de notation de la performance sécurité des véhicules (Euro NCAP). L’émergence de tels dispositifs d’évaluation a aussi permis de définir un étalon de valeur standardisé (le nombre d’étoiles) permettant aux consommateurs d’échelonner la performance relative des véhicules sur cette dimension. Au fil de ce processus, la sécurité est devenue l’un des axes de différenciation stratégique des 3 constructeurs (cf. le cas de Volvo ou la volonté de Renault de se positionner comme constructeur le plus sûr de sa catégorie). En Europe, au milieu des années 1990, la crise de la vache folle et la prise de conscience au sein du public de l’utilisation de farines animales dans l’élevage de bovins marquent une rupture importante du rapport des consommateurs à l’alimentation (Raude 2008). Cette crise s’est accompagnée d’actions réglementaires et juridiques (traçabilité des viandes bovines, embargos, suppression des farines animales), mais aussi par différents repositionnements au sein de l’industrie agroalimentaire (cf. Danone et l’alimentation santé), l’apparition de nouveaux concepts (les alicaments) et un flot d’innovations ininterrompu, de même que le renforcement de filières émergentes, telle que l’agriculture biologique. Ces trois situations sont contrastées, à la fois dans les formes d’action publiques qu’elles mettent en jeu (production de nouvelles connaissances scientifiques, démarches d’incitation ou de contrôle et d’interdictions administratives), leurs impacts sur l’industrie (disparition programmée de l’industrie ou introduction d’une nouvelle forme de valeur), et les logiques d’action des entreprises (stratégies adaptatives ou d’innovation). Cependant, toutes les trois mettent en évidence un même phénomène : elles interrogent la manière dont se co- transforment des attentes sociales et l’identité des produits de l’entreprise, c'est-à-dire leurs coûts, modes de production et formes de valorisation. La transformation des biens et des services constitue un puissant vecteur de renégociation de l’interface entreprise / société. De même, la manière dont l’entreprise peut se saisir, voire stimuler l’émergence de nouvelles attentes sociales constitue une question stratégique, dans la mesure où ces transformations sont susceptibles de redistribuer l’équilibre des positions au sein d’une industrie. Dès lors, par quels processus de nouvelles valeurs sociales sont-elles intégrées au jeu économique ? Comment l’entreprise peut elle intégrer ces nouvelles valeurs à son offre de produit ? Peut-elle susciter l’émergence de nouvelles valeurs ? Quels sont les enjeux associés à de tels processus, à la fois pour les acteurs publics et privés ? Ces questions sont centrales pour penser le lien entre développement durable (DD) et stratégie des entreprises. Malgré leur importance, les corpus théoriques existants dans le domaine du DD et de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) abordent peu ces questions. Cette communication propose donc les premières briques d’une problématisation du lien entre développement durable et valeur. Plutôt que de s’interroger de manière 4 prioritaire sur l’éthique des managers ou la gouvernance de l’entreprise, notre point d’entrée consiste à interroger la manière dont les problématiques de développement durable amènent à reconsidérer l’activité des entreprises, leurs pratiques de création de produit et le renouvellement de leur offre de valeur. Notre propos est structuré de la manière suivante : dans un premier temps, nous identifions les limites des cadres théoriques dominants pour aborder ces questions. Dans une seconde partie, nous articulons les problématiques de DD/RSE avec le concept de valeur. Nous proposons de considérer le DD et la RSE sous l’angle d’un processus par lequel des valeurs sociales émergentes sont incorporées au jeu économique et à la stratégie des entreprises. Dans une troisième partie, nous cherchons à qualifier l’action managériale sur la valeur à travers deux catégories d’objets, que nous qualifions, dans le prolongement des travaux d’Aggeri et al. (2005), de « figures libres » et de « figures imposées ». Cette distinction nous permet de mettre en évidence différents positionnements d’entreprise en matière de développement durable, et d’envisager des formes de pilotage plus différenciées de ces démarches. 1. DEVELOPPEMENT DURABLE ET VALEUR : LIMITES DES CADRES THEORIQUES EXISTANTS ET CAHIER DES CHARGES POUR UNE APPROCHE RENOVEE Au sein de cette première partie, nous discutons les grilles d’analyse actuellement dominantes dans le champ de la stratégie pour l’étude du DD et de la RSE1. Pour ce faire, nous analysons trois corps de littérature : le management des stakeholders (1.1), les approches fondées sur les ressources et compétences (1.2), et la perspective « strategic CSR », récemment ouverte par Porter et Kramer (1.3). Nous rappelons les hypothèses de ces grilles et soulignons leurs limites pour appréhender les processus de transformation de la valeur et les modes d’action associées à ces dynamiques (cf. tableau 1). Cette analyse nous permet d’identifier les attendus d’une conceptualisation du lien entre DD et valeur (1.4). 1 A travers cette revue de littérature, nous privilégions l’articulation entre la RSE et les pratiques de l’entreprise (cœur de métier, offre de produits). De ce fait, nous excluons les développements normatifs qui adoptent une posture plus centrée sur le comportement des managers. 5 Tableau 1 : Développement durable et management stratégique : trois grandes perspectives Management des stakeholders Approches Ressources et compétences Strategic CSR Questions clé Préservation de l’acceptabilité sociale de l’entreprise Intérêt stratégique et économique d’une démarche de développement durable Un positionnement stratégique en développement durable comme source d’avantage concurrentiel Travaux associés (Freeman 1984; Martinet 1984; Freeman 1994; Gioia 1999; Adant et Godard 2004; Freeman, Wicks et al. 2004; Martinet et Payaud 2008) (Russo et Fouts 1997; Aragon-Correa et Sharma 2003; Branco et Rodrigues 2006) (Porter et Van der Linde 1995; Porter et van der Linde 1995; Porter et Kramer 2006) Logique d’action sous- jacente Réactive et/ou normative Proactive Proactive Débats centrés sur La gouvernance, l’éthique et le contrôle externe l’entreprise La nature des avantages que l’entreprise est susceptible de retirer d’un investissement en DD Les différentes formes de problématisation et de pratiques de RSE (responsive VS strategic) -Approche réactive et statique des relations entre la firme et son environnement. -Vision essentiellement politique de la firme, qui n’interroge pas la diffusion de nouvelles valeurs ou les processus de conception et d’innovation de la firme - Approche indifférenciée des pratiques de RSE, et du lien RSE / avantage stratégique - N’interrogent pas la uploads/Management/ developpement-durable-et-management-strategique-pi.pdf
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- Publié le Aoû 05, 2022
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