9 Chapitre 1 Introduction à l’E-Réputation Internet a bouleversé les cartes de
9 Chapitre 1 Introduction à l’E-Réputation Internet a bouleversé les cartes de la communication, et donc, de l’influence. Il autorise désormais la construction de nouvelles identités numériques. Reflets de notre existence « off line », ces identités, semblables à des cartes de visite virtuelles, gagnent sans cesse en importance dans notre perception de l’autre, qu’il s’agisse d’un homme politique candidat, d’une entreprise qui se lance en bourse ou, même, de notre voisin de palier… Chaque année, le nombre d’utilisateurs du réseau augmente ainsi que le volume de données disponibles. La précision des moteurs de recherche s’affine et de nouveaux services sociaux bouleversent nos habitudes. Internet devient, sous nos yeux, une encyclopédie vivante du présent, de l’immédiat, compilant faits et commentaires du passé et de l’instant. Cette mémoire commune change la donne pour la société, le business, la science, mais aussi pour la communication qui devient une action permanente d’édition de la mémoire numérique collective, à la recherche du reflet le plus favorable. E-Réputation – Stratégies d’influence sur Internet 10 1 Influence et réputation à l’heure d’Internet 1.1 L’influence 1.1.1 Brève histoire de l’influence L’influence est une notion complexe, dont le sens et la portée ont évolué dans le temps. On parle d’influence pour un Etat, un dirigeant, mais aussi pour une culture, une idée ou un écrivain. Notre propos se cantonne à ce type d’influence que l’on ordonne : elle est voulue, planifiée. Elle est maîtresse du choix de ses arguments et de son calendrier. Pendant longtemps, peu d’hommes ont été en situation d’exercer une telle influence à l’échelle de la société. Dans l’Ancien Régime, rois, clergés et barons locaux gouvernaient le peuple par la force des symboles et des actes, tels que nous les présente sans fard Machiavel dans son manuel du pouvoir, Le Prince. Avec l’invention et la généralisation de l’imprimerie, le savoir s’est répandu largement dans la société. Des figures nouvelles accèdent à l’action d’influencer le plus grand nombre : intellectuels, libres-penseurs, hommes politiques, entrent alors en concurrence avec les dogmes officiels des pouvoirs temporels et spirituels. C’est au XVIIIe siècle que l’influence moderne prend forme avec l’émergence d’une presse populaire et la progression générale du savoir dans la société. Ce double phénomène forge l’émergence, en Occident, d’une opinion publique consciente. Franklin, Voltaire ou Diderot seront parmi les premiers à la prendre à témoin, suivis par de très nombreux autres. La société devient complexe, le pouvoir se décentralise : l’action de l’influencer aussi. Edward Bernays, publicitaire de renom, définit l’influence dans son maître ouvrage Propaganda (1928) comme l’action d’une minorité pour façonner l’opinion du plus grand nombre. Observateur et acteur de l’émergence de la démocratie de marché, Bernays fait partie des inventeurs de l’influence moderne. Elle est également théorisée par Walter Lippmann. Journaliste et homme de communication américain, inventeur du terme de « guerre froide », dès 1922 il propose l’expression « fabrique du consentement » pour exprimer la rencontre entre les sciences sociales, notamment la psychologie, et la communication moderne mise au service de la persuasion des foules. 1.1.2 L’influence moderne La démocratie libérale, qui offre l’information à tout instant via les médias de masse et élève le niveau de connaissance générale, rend non seulement accessible mais nécessaire l’exercice de l’influence : pour vivre ensemble, nous devons apprendre à produire du consensus. Bernays nous rappelle ainsi que : « l’ingénierie Chapitre 1 – Introduction à l’E-Réputation 11 du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer » (The Engineering of Consent, 1947). De nos jours, groupes militants, entreprises, partis politiques, individus : tous disposent de la possibilité de se regrouper et d’organiser une communication d’influence prenant pour juge et arbitre l’opinion. Le gouvernement n’est plus seul à rendre compte : c’est là un fait nouveau des sociétés démocratiques de marché. Les entreprises sont également directement interpelées. Ces dernières décennies les ont mises au premier plan des débats sur l’environnement, le progrès, la protection sociale ou la mondialisation. Actrices du débat public, elles doivent donner des gages. Les intérêts privés doivent trouver des alliés dans l’opinion pour convaincre le politique. Les garde-fous démocratiques sont naturellement l’influence contraire exercée par d’autres, la réglementation (l’industrie du tabac, après des décennies de lobbying forcené, l’aura appris à ses dépens), mais aussi l’esprit critique de chacun. L’influence est devenue une grille de lecture permanente de l’actualité : le jeu des acteurs et les enjeux du débat sont sans cesse confrontés dans une société complexe, globale, où les intérêts des influenceurs sont innombrables. En terme de méthode d’influence, c’est Lippmann qui, le premier (in Public Opinion, 1922), explique la nécessité, pour convaincre, de construire une lecture particulière des faits et des idées : « pour mener à bien une propagande, il doit y avoir une barrière entre le public et les évènements », écrit-il. Comment construire cette barrière ? Storytelling, communication institutionnelle, relations publiques, publicité et marketing sont tous mobilisés pour construire un positionnement et convaincre des alliés. On parlerait aujourd’hui, plutôt que de « barrière » (ce qui est négatif et peu réaliste à l’heure d’Internet), d’une vision ou d’une histoire proposée à l’opinion pour décrypter les faits. Dans la panoplie médiatique, Internet est devenu le carrefour central de l’influence. Média du ciblage, de la prescription et de la « preuve », il touche directement les individus. Il est devenu le premier vecteur de la narration des « histoires » que nous proposent les influenceurs. Comme en leur temps l’imprimerie et la presse écrite, il augmente la conscience de l’opinion publique et les capacités d’actions individuelles et collectives. C’est désormais sur Internet que l’on gagne ou que l’on perd les grandes batailles d’images et d’idées. 1.2 La réputation « Le plus pur trésor que puisse donner l’existence, c’est une réputation sans tache », écrivait Shakespeare. Le philosophe Gracian, jésuite espagnol, nous enseigne une leçon simple et fondamentale de gestion de la réputation : lorsque la E-Réputation – Stratégies d’influence sur Internet 12 réputation est supérieure au mérite, il faut être réservé. Lorsque le mérite est supérieur à la réputation, il faut se produire : « Le monde est une carrière qu’il est difficile de bien commencer et de bien finir ; l’expérience nous manque pour l’un, souvent elle nuit pour l’autre », écrit-il. La réputation est cette projection que l’autre construit de nous-mêmes, d’une organisation ou d’une culture, à partir de ce qu’autrui lui aura rapporté et de ce qu’il aura perçu de nos actes. Elle est forgée par les médias et le bouche-à-oreille. Impossible d’échanger et de construire ensemble sans réputation : elle est la première garantie de la confiance. Un recrutement, un contrat, une négociation seraient probablement restés à l’état de projet sans que les réputations des parties ne se soient confrontées et mutuellement assurées. C’est une image sociale indispensable pour vivre ensemble, bien plus qu’une simple carte d’identité. La réputation est un phénomène par défaut : nous disposons tous d’une image sociale. Gérer sa réputation est plus rare. Quelle image voulons-nous donner ? Quelles sont les stratégies pour y parvenir ? La réputation est longue à bâtir, délicate à cultiver, nous rappelle Jean-Pierre Piotet (Président de l’Observatoire de la Réputation), d’autant plus que les « réputations les plus brillantes sont les plus exposées » (Montesquieu). Pour bâtir une réputation, il faut du talent. Prouver ce qu’on veut être est encore la façon la plus sûre de le devenir. Un homme ou une entreprise ne saurait se payer de mots quand il entend construire sa réputation. Le temps est le second facteur le plus important : rien ne se construit vite en la matière, car même si Internet accélère le tempo, une réputation se jauge sur la durée. Elle est l’addition de plusieurs images sédimentées au gré des évènements et des commentaires… Enfin, le faire-savoir, objet de cet ouvrage, est le troisième facteur, étroitement dépendant des deux précédents. La réputation est devenue un moteur essentiel de valorisation. Les entreprises voient leur cours de bourse dépendre notoirement de leur image publique. Pour les individus, le « tribunal de l’opinion » est un moteur puissant : être reconnu anime bien des carrières. Dans les crises ou les controverses, la réputation gagnée, véritable capital social, peut être appelée à la rescousse : on apprécie alors tout son bénéfice. La réputation et l’influence sont les sœurs jumelles de la communication. Une réputation maîtrisée nous permet d’exercer une influence spontanée sur autrui : on donnera l’exemple et l’inspiration, devenant source de référence. Pas d’influence, cependant, sans une réputation qui nous permette de l’asseoir. Nous devons nous assurer que les deux soient en phase pour que l’une ne nuise pas à l’autre. Ainsi, le pétrolier s’assurera de sa réputation d’entreprise responsable pour établir son Chapitre 1 – Introduction à l’E-Réputation 13 influence sur le débat environnemental. L’homme politique veillera à consolider son image d’honnête homme s’il décide de convaincre ses électeurs sur le thème de la vertu en politique. 1.3 Gérer son identité numérique : l’E-Réputation Le reflet numérique qu’une organisation, un produit, une idée et un individu portent uploads/Management/ extrait 21 .pdf
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- Publié le Fev 17, 2021
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