11 Chapitre premier Définitions, principes et modèles Le mot stratégie vient du

11 Chapitre premier Définitions, principes et modèles Le mot stratégie vient du substantif grec stratos ( : armée) et du verbe agein (  : mener, conduire, diriger, pousser en avant). Leur synthèse produit stratègos (  : général), puis stratègia (  : office de stratège, commandement d’une armée, art de commander). Le vocable stratègia découle de la même racine que stratégèma ( μ) qui a donné stratagème. Cependant, un stratagème ne consiste pas seulement en une ruse de guerre, c’est d’abord l’adroite manœuvre du général. Dans un monde de conflits, dominé par la violence, « la stratégie introduit l’action de l’intelligence. »1 C’est Paul Joly de Maizeroy (1719-1780) qui, dans son livre Théorie de la guerre, publié en 1777, introduit les termes de « stratégie » et de « stratégique » dans la langue française. Pour Maizeroy, la conduite de la guerre est la science du général, nommée stratégie par les Grecs ; elle est fondée sur la tactique, mais elle la domine et elle appartient au génie. La stratégie militaire ou stratégie générale se situe entre la grande stratégie d’une part, et la logistique, l’opératique et la tactique d’autre part. D’après le stratégiste britannique Basil H. Liddell Hart, « Le rôle de la grande stratégie consiste en effet à coordonner et diriger toutes les ressources de la nation ou d’une coalition afin d’atteindre l’objet politique de la guerre, but défini par la politique fondamentale. »2 Le Glossaire interarmées français de 1995 définit la stratégie générale comme « création, déploiement et emploi de moyens en vue d’atteindre, dans un domaine donné, les objectifs de la stratégie globale », ou grande stratégie.3 1. Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Economica, 1999, p. 54. 2. Basil H. Liddell Hart, Stratégie, Perrin, 1999, p. 394. 3. H. Coutau-Bégarie, Ibid., p. 111. 12 La logistique est l’« ensemble des activités contribuant à la mise en œuvre, au déroulement et à la prolongation des opérations militaires. »1 L’opératique est « l’art de planifier et de conduire les opérations sur un théâtre [géographique] en vue d’atteindre un objectif stratégique. »2 L’opératique est fondée sur le mouvement. La tactique est l’ « art d’utiliser les forces en vue de réaliser sur l’adversaire des effets, physiques ou psychologiques, conformes aux objectifs définis par la stratégie. »3 Les stratégies, selon le général Lucien POIRIER Source : Stratégie théorique II, Economica, 1987, p. 113-134. I. Définitions Joly de Maizeroy avait retrouvé le mot de stratégie. Les auteurs des XIXe et XXe siècles vont le définir. Leurs essais montrent à la fois l’évolution du concept de stratégie et la difficulté à saisir ce Protée. Napoléon lui-même n’emploie pas le mot de stratégie avant Sainte-Hélène, mais l’expression de « hautes parties de la guerre » dont 1. François Géré, Dictionnaire de la pensée stratégique, Larousse, 2000, p. 160. 2. Ibid., p. 201. 3. Ibid., p. 266 ; tactique vient du grec  (taktikè), art de ranger, de faire manœuvrer les troupes. 13 la connaissance « ne s’acquiert que par l’expérience et par l’étude des guerres et des batailles des grands capitaines. » (Anthologie, p. 787) A. XIXe siècle L’archiduc Charles de Habsbourg (1771-1847), l’un des adversaires le plus redoutables de la France révolutionnaire et impériale, considère, contrairement à l’opinion commune, la stratégie comme une science et la tactique comme un art. La stratégie choisit le moment de la bataille : « La stratégie est la science de la guerre. Elle établit le plan, elle englobe et détermine la marche des entreprises militaires ; elle est à proprement parler la science du commandant en chef. [...] La tactique enseigne la manière dont les projets stratégiques doivent être réalisés ; elle est l’art indispensable à celui qui conduit des troupes. [...] Les projets stratégiques décident de l’issue heureuse ou malheureuse d’une opération organique, d’une campagne, de toute une guerre. Ils déterminent le moment de la bataille ; ils la préparent par les combinaisons les plus favorables ; ils définissent par avance les résultats de la victoire et assignent leurs limites à des événements contraires. Ils peuvent être détruits par des fautes tactiques [...] mais plus souvent encore ils corrigent les désavantages engendrés par des maladresses tactiques. » Principes de la stratégie, 1813.1 Pour son contemporain Jomini, dans le Précis de l’art de la guerre, la stratégie relève du domaine de l’art, sinon de celui de la poésie. Jomini souligne bien ce qui est l’essentiel pour les stratèges du XIXe siècle, la maîtrise du temps et de l’espace, ces formes a priori de la sensibilité selon Kant. La stratégie prépare en effet le moment et le lieu du choc décisif : « La stratégie, […] est l’art d’amener la plus grande partie des forces d’une armée sur le point le plus important du théâtre de la guerre, ou d’une zone d’opérations. La tactique est l’art d’utiliser ces masses sur le point où des marches bien combinées les auront rendues présentes ; c’est-à-dire l’art de les mettre en action au moment et au point décisif du champ de bataille sur lequel le choc définitif doit avoir lieu […] » « Les opérations les plus brillantes semblent appartenir bien plus au domaine de la poésie qu’à celui des sciences exactes : la cause en est simple, c’est que la guerre est un drame passionné et nullement une opération mathématique. » 2 En décembre 1818, Napoléon, qui connaît le Traité des grandes opérations militaires de Jomini, vient de lire les Principes de la stratégie de l’archiduc Charles d’Autriche, traduits en français à Paris cette même année. Il donne alors son sentiment sur les définitions formulées par ces deux auteurs et livre aussi les siennes : « L’ouvrage de stratégie du prince Charles [...] m’a beaucoup intéressé [...] je ne comprends guère ce que l’archiduc veut dire : la distinction de la stratégie et de la tactique, de la science et de l’art de la guerre. Ces définitions sont mauvaises. Celles que Jomini donne dans une note sont meilleures, quoique encore médiocres. La stratégie, dit-il, est l’art de faire mouvoir les troupes, la tactique, l’art de les engager. Il 1. Jean-Jacques Langendorf, Faire la guerre : Antoine-Henri Jomini, vol. 2, Genève, Georg Éditeur, p. 186-188. 2. Antoine-Henri Jomini, Précis de l’art de la guerre, Perrin, 2001, p. 288 ; p. 198. 14 vaudrait mieux dire : la stratégie est l’art des plans de campagne et la tactique, l’art des batailles. »1 Clausewitz, ce théologien de la guerre selon Raymond Aron, élève la question de la stratégie à l’objet et à la conduite de la guerre ; il définit la stratégie comme « la combinaison des différents combats qui composent la guerre en vue d’atteindre le but de la campagne et celui de la guerre. »2 « La stratégie, écrit-il dans le Traité, est l’usage de l’engagement aux fins [politiques] de la guerre. Elle doit donc fixer à l’ensemble de l’acte de guerre un but qui corresponde à l’objet [militaire] de la guerre. C’est-à-dire qu’elle établit le plan de guerre et fixe en fonction du but en question une série d’actions propres à y conduire ; elle élabore donc les plans des différentes campagnes et organise les différents engagements de celles-ci. » (DG, III, 1, p. 181) L’art de la guerre, selon Clausewitz, exige un savoir-faire dans la conduite du conflit : « Au sens strict, l’art de la guerre est donc l’art de savoir se servir au combat de moyens déterminés, et nous ne saurions mieux le désigner qu’en le nommant conduite de la guerre. [...] La conduite de la guerre est donc l’ordonnance et la conduite du combat. Si le combat consistait en une seule action, toute division supplémentaire n’aurait aucun sens. Mais le combat consiste en un plus ou moins grand nombre d’actions distinctes qui forment un tout et que l’on appelle engagements, [...], et qui constituent des unités nouvelles. C’est cela qui a donné naissance à cette activité tout à fait différente qui consiste à ordonner et diriger ces engagements distincts, puis à les coordonner entre eux en vue de la guerre. L’une a été appelée la tactique, l’autre la stratégie. » (DG, II, 1, p. 118) Moltke fut un disciple de Clausewitz ; la stratégie montre, pense-t-il, « la meilleure voie qui conduit à la bataille ; elle dit où et quand on doit se battre, tandis que la tactique dit comment il faut se servir des différentes armes dans le combat, c’est-à-dire comment on doit se battre. » « La stratégie assure à la tactique les moyens de combattre et rend la victoire vraisemblable, en dirigeant les armées et en les concentrant sur le champ de bataille. D’autre part, elle s’approprie encore le succès de chaque combat et l’utilise pour édifier de nouveaux projets. Devant la victoire tactique se taisent les prétentions de la stratégie, qui doit savoir s’adapter à la situation nouvellement créée. La stratégie est un système d’expédients. Elle est plus qu’une science : elle est la transmission du savoir dans la vie pratique, le perfectionnement de la pensée capable de uploads/Management/ extrait-pdf.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Mai 06, 2021
  • Catégorie Management
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1939MB