L'identité de l'entreprise Préalable à la réflexion stratégique Marc Giget 1 Si

L'identité de l'entreprise Préalable à la réflexion stratégique Marc Giget 1 Si la stratégie implique l'existence d'un projet et d'une volonté, force est d'observer que son élaboration passe d'abord par la défini- tion de l'identité de l'entreprise et donc par la recherche d'une réponse adéquate à cette triple question : Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? La question est d'autant plus vive aujourd'hui que les attentes vis- à-vis des entreprises sont nombreuses et diverses, ainsi d'ailleurs que les « agressions » dont elles sont l'objet. Si la connaissance de l'identité de l'entreprise est un préalable indispensable à toute réflexion stratégique, Marc Giget souligne cependant que sa définition est rendue aujourd'hui particulièrement difficile du fait notamment : — du renouvellement des hommes et des idées ; — de la transformation des produits et des marchés ; — de l'internationalisation de la concurrence et des marchés ; — des ruptures entre la logique financière et celle de la culture de l'entreprise ; — du rôle social sans cesse élargi des entreprises et de la multiplicité de ses objectifs. En analysant successivement comment jouent ces différents fac- teurs, l'auteur nous fournit ici les éléments essentiels au diagnostic de base indispensable aux choix stratégiques. 1. Directeur d'Euroconsult. Cet article reprend des éléments d'un ouvrage en préparation sur « La conduite de la réflexion et de l'action stratégique dans l'entreprise », à paraître chez Economica. 15 futuribles novembre 1989 16 Le problème du devenir de la collectivité humaine que représente toute entreprise est par nature philosophique. Cette dimension est souvent oubliée au profit d'approches partielles et segmentées qui, de réduction en réduction, en passant de la philosophie à la sociologie, puis de la sociologie à l'économie, puis de l'économie à la gestion et de la gestion à la comptabilité, ceci sous prétexte d'une approche pratique et immédiatement quantifiable, ne permettent pas de saisir l'entreprise dans sa globalité et de ce fait excluent le plus souvent toute démarche réellement stratégique. Le terme de philosophie peut paraître trop global, trop fondamental et peu opérationnel pour l'approche de la stratégie de l'entreprise, monde du technique, du financier, du juridique, du quantifié. Il se justifie pourtant amplement du fait du rôle sans cesse grandis- sant joué par les entreprises dans la société, par rapport aux autres formes de communautés humaines : Etats, institutions politiques, Eglises, familles etc., et dans la vie des individus, en termes de temps passé — 9 heures par jour en moyenne — de contenu qualitatif, de lieu d'expres- sion, de relation sociale, et de jeux de pouvoirs. Le développement continu du rôle de l'entreprise et son émergence comme cellule d'organisation sociale de plus en plus citée en référence n'ont pourtant pas été accompagnés d'une évolution aussi rapide des outils intellectuels de sa perception globale. L'éclosion actuelle des multi- ples formes de « projets d'entreprise », de « cultures d'entreprise » et même de « philosophies d'entreprise » sont autant de démarches com- blant l'absence d'une philosophie et d'une culture de l'entreprise qui soient largement partagées. Cette dimension fondamentalement philosophique des questions que se posent aujourd'hui la plupart des entreprises face à leur devenir se retrouve dans les termes mêmes de leur formalisation initiale. Si la préoccupation principale la plus souvent affirmée concerne l'action par rapport à l'avenir, la « stratégie », tout début de réflexion renvoie au problème de la nature de l'existant et de l'acquis du passé : — qui sommes-nous, quel est notre métier, qu'est-ce qui justifie notre existence en tant que structure indépendante, comment pouvons-nous nous définir et en quoi sommes-nous différents des autres entreprises ? — d'où venons-nous, comment en sommes-nous arrivés là, quelle est notre histoire, notre culture, quelles leçons tirer du passé et quelle logique dans notre évolution ? Ces interrogations premières relèvent de l'identité dans ses deux dimensions fondamentales, l'une statique, relative à la différenciation par rapport aux autres : qu'est-ce qui fait notre spécificité ? et l'autre dyna- mique relative à la continuité de cette spécificité dans le temps : sommes- L'identité de l'entreprise nous toujours nous-mêmes, et comment rester nous-mêmes à travers le temps ». Ces questions fondamentales que se posent les entreprises au départ de toute réflexion sur elles-mêmes précèdent et conditionnent nécessaire- ment celles relatives à une option et à une volonté sur l'avenir dont relève la stratégie, à savoir : — où allons-nous, pouvons-nous continuer à exister tels que nous sommes, comment va évoluer notre environnement et comment nous y adapter, que souhaitons-nous devenir et de quelle façon atteindre cet objectif souhaité ? Le concept même de stratégie est de plus relié à une notion d'autono- mie de réflexion, de volonté et d'action. Cette autonomie s'appuie sur les caractéristiques propres, donc d'identité, de l'entreprise qui déterminent directement sa capacité stratégique. Le problème de l'identité est donc fondamental pour toute approche stratégique et doit être posé en tant que tel au départ de toute réflexion stratégique. Quand ce n'est pas le cas, il ne cesse de ressurgir et d'alimenter la plupart des polémiques issues de l'approfondissement de la réflexion stratégique qu'il remet en cause dans ses fondements mêmes en débouchant parfois sur des crises ouvertes. Il peut paraître illusoire de vouloir dépasser les obstacles rencontrés dans l'appréhension de l'entreprise par les sciences normatives en faisant appel à une science elle-même en crise et par nature non opérationnelle. Mais le problème est moins de redéfinir de façon univoque une percep- tion globale et universellement acceptée de l'entreprise que de garder à l'esprit à la fois la multiplicité de ses dimensions et d'en cerner celles qui la définissent fondamentalement. La banalisation du rôle de l'entreprise comme support des projets créatifs et comme moyen d'expression et d'action des individus rend indispensable une réflexion dépassant le cadre étroit des approches juridique, financière, fiscale qui n'en traduisent le plus souvent que les contraintes. La philosophie, la sociologie, la psycho- logie de groupe constituent des outils aussi importants que les sciences de la gestion pour appréhender les projets individuels collectifs qui s'expri- ment à travers l'entreprise. La prise de conscience de cette dimension philosophique des pro- blèmes d'identité et de stratégie de l'entreprise ne doit donc pas inquié- ter. Elle ne complique pas l'analyse, mais elle l'élargit et lui permet de s'adapter plus facilement à la prise en compte d'éléments très variables suivant les situations. Le but n'est pas de verser dans un débat concep- tuel ou purement théorique qui éloignerait des nécessités de l'action, mais au contraire de fournir à cette action un référentiel de départ plus large permettant d'intégrer des facteurs ressentis à tort comme exogènes dans les définitions restreintes de l'entreprise. Ceci permet d'éviter les 17 futuribles novembre 1989 L'entreprise à la recherche de son identité Si le problème de l'identité de l'entreprise est facilement ressenti comme fondamental et structurant pour la stratégie d'entreprise, il peut paraître curieux d'avoir à s'en préoccuper au début d'une réflexion stratégique. Les caractéristiques d'identité de l'entreprise ne sont-elles pas en effet des données de base objectives et des acquis disponibles a priori, sur lesquelles il est possible d'appuyer cette réflexion ? Ce n'est en fait pratiquement jamais le cas, car derrière l'apparente simplicité normative des définitions standard de l'entreprise se cache une réalité infiniment plus riche et complexe qu'il est indispensable de mieux cerner au départ de toute prise de conscience stratégique. La nature de l'entreprise est en effet à la fois diverse et complexe. Comme l'indique son sens premier, une « entreprise » 2 est la mise en œuvre d'une volonté dont la nature est aussi variée que l'est la créativité humaine. La canalisation de cette créativité dans des catégories de nature administrative et comptable ne doit pas faire perdre de vue cette diver- sité première et fondamentale des entreprises. Elle est évidente au moment de la création de l'entreprise. Il existe pratiquement autant de motivations à la création d'une entreprise qu'il existe d'entreprises : éditer des ouvrages d'art, réaliser des films, créer des modèles, produire des automobiles, concevoir des logiciels, vendre des produits de luxe etc. Derrière le terme générique d'entreprise et des catégories administra- tives grossières relatives à la taille, à la structure juridique, à la nature de l'activité, de type « service », « industrie », « commerce » ou de façon plus précise de métier ou de secteur, se cache une diversité pratiquement infinie. Au moment de la constitution d'une entreprise, les créateurs hésitent d'ailleurs souvent entre différentes alternatives concernant leur statut juridique et leur rattachement à des catégories administratives, 2. Entreprise : « Ce que l'on se propose de faire en entreprenant quelque chose ; mise à exécution d'un dessein » (cf. Le Robert). 18 pièges multiples des approches uni-dimensionnelles et trop segmentées dans lesquelles s'enlisent le plus souvent les réflexions stratégiques d'entreprise. Elle suppose par contre a priori une grande maîtrise des outils de l'efficacité économique et de la rigueur financière, indispensable au succès de tout processus d'analyse et d'action stratégique concernant l'entreprise. L'identité de l'entreprise Identité : Constructeur d'automobiles Après pratiquement un siècle de crois- sance portée par la seule uploads/Management/ futuribles-lidentite-de-lentreprise-prealable-a-la-reflexion-strategique.pdf

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  • Publié le Dec 06, 2022
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