DE L'ENTREPRENEUR à L'INTRAPRENEUR Gérald D'Amboise & Gérard Verna Département

DE L'ENTREPRENEUR à L'INTRAPRENEUR Gérald D'Amboise & Gérard Verna Département de Management Université Laval, Québec, Canada (Article publié dans Gestion 2000, N°93-2, avril 1993) Nos sociétés modernes hésitent de plus en plus entre les différents avantages des organisations de grande ou de petite envergure. Nous re cherchons la satisfaction personnelle et la liberté qu'offrent les petites organisations mais nous ne pourrions cependant pas retourner à une économie reposant uniquement sur les entreprises individuelles. Certains travaux requièrent d'énormes ressources pour leur réalisation et sont réalisés bien plus efficacement par les grandes entreprises, tout comme certains besoins sociaux ne peuvent être comblés correctement que par de grandes institutions publiques. Il nous faut donc trouver comment bénéficier simultanément des avantages des deux modèles. Le présent article étudiera l'une des voies retenues par un nombre croissant de personnes dont l'esprit d'entreprise et le goût d'une petite organisation à taille humaine ont réussi à fleurir à l'abri des avantages et possibilités diverses qu'offre une grande organisation. La terminologie relative à un phénomène social apparait souvent avec un certain retard par rapport à ce dernier. Depuis que Schumpeter a défini le phénomène de l'entrepreneurship, la personne qui crée "seule" sa propre entreprise est appelée un entrepreneur. Mais, la personne qui crée, à l'intérieur d'une grande organisation, sa "petite entité" plus ou moins autonome, fait également preuve d'entrepreneurship. Mais son activité correspond à un phénomène distinct auquel de multiples appellations ont été données. (1) Toutefois, "intrapreneurship", terme générique, semble être peu à peu accepté par la majorité des chercheurs dont certains proposent la traduction française de "intrapreneuriat". (2) Cet article vise à mieux comprendre ce phénomène. Nous commencerons par l'exemple de Robert X. qui en présente les différentes dimensions. Puis, après avoir souligné les exigences associées aux deux situations d'entrepreneur et d'intrapreneur en rappellant leur sens dans la littérature, d'autres expériences d'intrapreneurship seront brièvement présentées. Nous terminerons cette étude par un bilan des conditions favorables à l'intrapreneurship. L'histoire de Robert X. (3) : Il y a quelques années, Robert X., ingénieur qui travaillait alors comme consultant en organisation à la direction générale d'une grande entreprise française de travaux publics, "TP- SA", fut nommé directeur temporaire de l'agence de cette entreprise dans un pays d'Afrique de 1 l'Ouest. On lui donna pour mission de mettre fin, dans les meilleures conditions possibles, aux activités de cette filiale qui accumulait, depuis quelques temps, les pertes d'exploitation et les créances impayées. Robert X. eut tôt fait de démontrer que, pour de multiples raisons, ce choix stratégique était mauvais et risquait de coûter cher à l'entreprise. Celle-ci en convint et lui demanda de tenter au moins de limiter les pertes tout en attendant une période plus favorable pour la fermeture. Dans un contexte économique local extrêmement hostile, Robert X. réfléchit alors aux possibilités d'augmenter les revenus de TP-SA. Le marché des travaux publics était devenu pratiquement inexistant dans le pays et il fallut trouver autre chose. Toutes les activités pour lesquelles TP-SA avait la moindre expertise (construction, transport, production de matériaux, etc.) furent entreprises chaque fois que possible. Par cette diversification un peu échevelée, Robert X. parvint à une nette amélioration de la situation mais pas assez pour équilibrer les comptes. Sous l'influence de certains amis qui lui en donnèrent l'idée, Robert X. entreprit de convaincre la direction générale des grandes opportunités offertes par la négociation commerciale de contrats pour des tiers, en mettant à profit le réseau local de relations de TP-SA. Après un an de discussions internes et grâce à l'aide bienveillante du président-fondateur de l'entreprise, amusé par ses efforts et convaincu que l'idée était bonne, il obtint que l'entreprise créa une filiale spécialisée de droit français baptisée "Sarl". Il en devint le directeur local, tout en conservant ses anciennes fonctions. "Sarl" fit rapidement des profits et permit à d'autres entreprises françaises d'obtenir des contrats pour des projets clés-en-mains assez importants dont, souvent, une partie était sous- traitée à TP-SA, ainsi gagnante sur tous les plans. Le succès fut rapide et Robert X. devint presque totalement absorbé par la négociation des contrats de Sarl, petite entreprise de ses rêves dont il se considérait comme le fondateur et le seul responsable. Quoique fort bien payé pour ses fonctions, Robert X. tenta, pour des raisons sentimentales, de négocier sa participation - même symbolique - au capital de Sarl. Sa demande fut fort mal accueillie et on lui fit comprendre que sa place était celle d'un salarié et non d'un associé, ce dont il fut humilié. Dans le même temps certaines de ses décisions dans Sarl furent contestées par la direction générale qui lui demanda de mieux suivre la voie hiérarchique de l'entreprise. Robert X. démissionna de toutes ses fonctions peu de temps après et créa sa propre entreprise, concurrente de Sarl qui, elle, s'éteignit peu à peu par manque de leadership et devint une coquille vide en quelques années. Des contextes et des impératifs différents "Jusqu'à une période toute récente, on pouvait considérer comme parfaitement valable la distinction établie par Schumpeter entre les activités animées par l'esprit d'entreprise indépendant et les activités économiques administrées ou bureaucratiques. Cette distinction semble pourtant s'effacer dans les turbulences qui caractérisent le nouveau contexte industriel. Les grandes entreprises bien établies comme les jeunes sociétés nouvelles sont obligées de lutter pour maintenir leur croissance, sinon même leur existence, en exploitant au mieux la combinaison originale de ressources qu'elles ont créées. On se rend compte de plus en plus que les intrapreneurs sont indispensables pour y parvenir. L'esprit d'entreprise, qu'il s'exerce à l'extérieur ou à l'intérieur, fait naître des opportunités nouvelles et donne de l'élan au développement de combinaisons ou de recombinaisons nouvelles des ressources disponibles. Des formes renouvelées d'organisation économique - avec une gamme plus large de dispositions - paraissent donc nécessaires. Cela exige par ailleurs la mise au point de nouvelles théories sur la façon dont une société fonctionne et une vision plus subtile du rôle de la hiérarchie, des contrats et des marchés." (Burgelman & Sayles, 1987, p.148) 2 Nombreuses sont les personnes qui rêvent de créer leur propre entreprise. Un jour, elles décident de se lancer et elles créent alors une nouvelle entité de toute pièce, trouvent son financement, constituent un réseau de rapports avec d'autres acteurs et lui donnent une structure. Ces créateurs d'entreprises auront eu recours à leur créativité mais aussi voulu prendre des risques : celui de changer de style de vie, de perdre leur réputation ou leurs économies, mais ils auront trouvé l'autonomie qu'ils recherchaient. Leurs affaires grandissant, les nouveaux dirigeants devront graduellement accepter, non sans réticence, de déléguer certaines tâches, mais ils tenteront cependant toujours d'être informés de tout et voudront souvent garder un style simple et sans formalisme. Ceci explique d'ailleurs une partie du succès de beaucoup de PME. Le contexte de la grande organisation établie est tout autre. L'entreprise existe déjà, avec son histoire, ses valeurs, sa hiérarchie et ses habitudes. L'innovateur interne devenu intrapreneur demeurera un membre du rouage. (C'est ainsi que dans le cas de Sarl, Robert X. fut vivement débouté de sa demande de participation au capital.) Dans les grandes structures, les décisions importantes sont basées sur une planification à long terme et leur suivi est assuré par des systèmes de contrôle à court terme. La plupart des décisions stratégiques et opérationnelles importantes se prennent en équipe, dans le respect des valeurs et coutumes de la société. Les grandes organisations recherchent à la fois ordre et diversité pour survivre et croître. Mais la nouveauté requise pour confronter des défis originaux ne peut émerger que de l'expérimentation, ce qui requiert imagination et créativité voire même, parfois, un esprit d'aventure. Dans le cadre normal de fonctionnement d'une entreprise, quelques situations le permettent. Ainsi, les cadres les plus imaginatifs réussissent souvent à mener à bien certaines initiatives, mais on leur rappelle généralement assez vite les limites de leur rôle dans l'organisation. D'autres vont plutôt tenter de s'accaparer suffisamment de pouvoir dans leur "fief" pour agir à leur guise et innover hors de la ligne officielle. Mais cela durera généralement peu de temps. La solution idéale est que, lorsqu'une personne vraiment entreprenante et imaginative est identifiée par la direction, celle-ci lui confie les res sources et le support nécessaires pour la conduite du projet qu'elle veut réaliser. On va lui donner un certain degré d'autonomie et, si nécessaire, une libération de ses autres tâches, mais à l'intérieur de paramètres clairs et précis car aucune organisation ne veut prendre le risque de créer des précédents fâcheux. (Ainsi peuvent s'expliquer les sévères rappels à l'ordre que va connaître Robert X. et qui l'inciteront d'ailleurs, dans ce cas extrême, à quitter son entreprise) Il se peut que cette personne ait travaillé depuis longtemps à mettre au point une idée ou un produit qui lui tient à coeur. Elle a peut-être aussi longtemps cherché à susciter l'intérêt de ses patrons mais pas toujours avec succès, et a même sans doute pensé exploiter elle-même son idée dans sa propre entreprise. (Il est possible que, comme dans le cas de Robert X., elle ne renonce uploads/Management/ intra.pdf

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  • Publié le Fev 15, 2021
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