Chef de l’Etat-major cantonal de conduite (EMCC), le Vaudois Denis Froidevaux e
Chef de l’Etat-major cantonal de conduite (EMCC), le Vaudois Denis Froidevaux est au cœur de l’actualité. Concernant l’énergie et la gestion des crises en général, il ne mâche pas ses mots à l’égard de la Confédération «Je suis dubitatif lorsque je vois deux conseillers fédéraux qui expliquent comment cuire des œufs» CRISE ÉNERGÉTIQUE ABONNÉ Denis Froidevaux, chef de l’Etat-major vaudois de conduite. (KEYSTONE/POOL/Martial Trezzini) — © MARTIAL TREZZINI / KEYSTONE Denis Froidevaux est un spécialiste des gestions de crise et son expertise est reconnue largement au-delà du canton de Vaud. L’ancien policier et président de la Société suisse des officiers est aujourd’hui à la tête du Service de la sécurité civile et militaire du canton de Vaud et chef de l’Etat-major cantonal de conduite (EMCC). A ce titre, il est actif au sein de quatre task forces, dont celle sur l’énergie. Il ne cache pas son inquiétude face à la situation actuelle. Le Temps: Vous qui êtes un spécialiste de la gestion de crise, que pensez-vous de la gestion actuelle en matière énergétique? Denis Froidevaux: Je suis dubitatif lorsque j’assiste à une conférence de presse avec deux conseillers fédéraux qui expliquent comment cuire des œufs. Soit on a quelque chose à dire à la population et on le lui dit de manière adulte, mature et responsable, soit on ne dit rien. Là on répète des erreurs commises durant le début de la crise covid où une communication infantilisante a été adoptée et a conduit la population à ne plus rien comprendre. Et si la crise dure, on finit par perdre la population. La communication de crise est un élément absolument central, elle doit être transparente, honnête: dire ce que l’on sait, reconnaître ce que l’on ne sait pas. Le citoyen est suffisamment mature pour le comprendre. Dans le domaine de l’énergie, je suis inquiet. La population doit être actrice de la résolution, voire de la réduction de l’impact de cette crise. Si nous l’avons avec nous, nous avons des chances de réduire l’ampleur du problème, voire de faire une manœuvre d’évitement. Si on ne l’a pas, cela va être compliqué. Lire aussi: Un tiers de l’électricité consommée en Suisse pourrait être économisé Comment faire pour que la population vous fasse confiance? Dire la vérité. Eviter d’avoir un discours alambiqué, tel que: on pourrait avoir des difficultés, mais rassurez-vous, on fait tout pour les éviter, on cherche des accords internationaux… Les spécialistes sont catégoriques et les chiffres sont cruels: au début de 2023, nous pourrions avoir une situation de déséquilibre entre l’offre et la demande et nous devrons économiser 20% de la consommation électrique d’ici à décembre 2022. Il faut d’abord compter sur nous-mêmes avant d’imaginer des solutions provenant de pays tiers car l’énergie est une ressource stratégique pour chaque Etat. Vincent Bourquin Publié mardi 20 septembre 2022 à 15:31 Modifié mardi 20 septembre 2022 à 16:19 Lire aussi: Roberto Schmidt, ministre valaisan de l’Energie: «La Confédération dort» Les incertitudes demeurent, notamment avec l’évolution de la guerre en Ukraine Oui. Il y a des incertitudes sur lesquelles nous n’avons aucune maîtrise. Mais en gestion de crise, nous devons nous focaliser sur des éléments sur lesquels nous avons la maîtrise ou, a minima, de l’influence. Sur trois points, nous n’avons ni emprise ni influence: tout d’abord la situation géopolitique, il n’y a pas besoin d’avoir lu Clausewitz pour comprendre que le conflit ukrainien ne sera probablement pas terminé avant le milieu ou la fin de l’année prochaine… et même il pourrait empirer. C’était l’objectif de Poutine de faire grelotter l’Europe; que le front diplomatique et politique se fissure et qu’à la fin il puisse revendiquer une forme de victoire symbolique sur l’Europe. Deuxième point: la production nucléaire de la France, auprès de qui nous achetons du courant électrique durant l’hiver. La France nous annonce le redémarrage de certaines de ses centrales: mais si elles rouvrent réellement, EDF vendra-t-elle de l’électricité à la Suisse? La même question se pose avec la capacité de production allemande fondée sur les turbines à gaz. Troisième hypothèque: la dureté de l’hiver. Si la nature continue à se venger sur nous comme cet été, nous pourrions avoir un hiver extrêmement froid. Nous devons prendre en compte toutes ces incertitudes et les expliquer de manière transparente. Qui doit prendre la parole? C’est une question clé: qui doit être le porteur du message? Dans un premier temps, la parole devrait être donnée aux spécialistes, aux techniciens, puis après aux politiques. Mais ce qui est plus préoccupant n’est pas tant de parler que d’agir. L’absence de culture de gestion de crise à la Confédération est pour moi difficilement explicable. Je suis sidéré de constater que c’est le Conseil national qui a dû imposer au Conseil fédéral la création d’un état-major fédéral de crise pluridisciplinaire alors que les cantons en disposent déjà depuis près de quinze ans. Lire aussi: Le Conseil fédéral se dotera d’un état-major de crise sur l’énergie Comment expliquez-vous ce manque de vision? Nous sommes toujours dans une logique linéaire et binaire de la gestion des organisations. Pourtant ces crises vont se multiplier et l’organisation politique doit se transformer avec une pensée systémique pour les gérer. Aujourd’hui la situation est devenue volatile, dangereuse et instable. Cette absence de savoir-faire au niveau fédéral, n’est-ce pas dû au fait que la gestion de crise a toujours été considérée comme du ressort des cantons? Je ne sais pas si c’est un manque de savoir-faire ou de volonté. La gestion de crise oblige à abandonner des processus normaux. Et aujourd’hui on mélange les processus administratifs, la gestion de projet et la gestion de crise. Le Conseil fédéral promet qu’au moment où l’on passera en mode de crise, le département de Guy Parmelin prendra le leadership. Cette fois il faut relire Clausewitz, qui démontre que: chaque fois que l’on fait une relève, c’est chaque fois là que l’on génère des échecs cuisants. Changer de cheval au milieu du gué est un art extrêmement compliqué. Selon vous, il aurait fallu se mettre en gestion de crise dès le début de la guerre en Ukraine? Nous sommes de facto en crise aujourd’hui. Pas tellement par rapport à la raréfaction de l’énergie, mais par rapport à son prix.tt Denis Froidevaux, chef de l’Etat-major vaudois de conduite. (KEYSTONE/Sandra Hildebrandt) — © SANDRA HILDEBRANDT / KEYSTONE Contrairement à la pandémie où nous avons ramassé le choc frontalement, nous avons cette fois-ci deux-trois mois pour nous préparer. La gestion de crise implique une forme de concentration du pouvoir et en Suisse, nous avons un art consommé de partager, d’étager et de ne jamais le concentrer. En période de crise, nous ne pouvons plus conserver l’éclatement décisionnel. Nous avons encore un autre problème: nous avons beaucoup de peine à adopter la culture de l’erreur, à reconnaître que l’on en commet et essayer de trouver d’autres solutions. Or gérer une crise passe par la commission d’erreurs. Si l’on en revient à la crise actuelle, quel serait le mode de gestion idéal? A Berne, un état-major supra-départemental avec un conseiller fédéral, Guy Parmelin, qui obtienne une délégation de compétences, et pour les grandes décisions stratégiques, il consulte le collège. Au sein de l’état-major, il faut des spécialistes de la gestion de crise capables de penser à trois niveaux: politique, stratégique et opérationnel. Il est aussi essentiel de déléguer un représentant des cantons. Quelle est la situation actuelle dans le canton de Vaud? Le Conseil d’Etat travaille actuellement sur la bascule en mode gestion de crise. Des mesures vont être annoncées prochainement. C’est Monsieur Venizelos qui pilote le processus avec une délégation du gouvernement composée de Mesdames Ruiz, Gorrite et Moret. Le reste du Conseil d’Etat est informé régulièrement. Et vous, vous assurez la coordination? Oui, j’essaie de faire avec le directeur de l’énergie la coordination entre l’échelon politique et les «cuisines». L’autorité fixe le menu et nous sommes responsables de faire en sorte que les plats arrivent en temps et en heure et sous la bonne forme. A lire encore: Mais les cantons jouent un rôle ambigu. Ils sont jaloux de leurs prérogatives et en cas de crise, ils appellent la Confédération au secours Il ne faut pas oublier que les cantons sont des Etats, avec de nombreuses compétences. Mais il y a souvent un jeu de cache-cache car parfois ils n’ont pas toutes les capacités pour faire face aux crises. De votre côté, vous êtes donc dans la task force vaudoise énergie, mais aussi covid et Ukraine ou encore Fondation urgences santé, pourtant vous n’êtes ni un spécialiste de santé, ni d’énergie, ni de migration. C’est la démonstration que pour gérer une crise il ne faut pas être un spécialiste, il faut être un généraliste et pouvoir s’appuyer sur ce que j’appelle le «métier leader». Pour passer d’une crise à l’autre, il faut avoir des processus, être dans l’effectivité, être curieux, aller voir la face cachée des choses, être soutenu par des équipes. Tout seul, on n’est rien dans la gestion de crise. Il faut avoir de la rigueur et connaître les uploads/Management/ je-suis-dubitatif-lorsque-je-vois-deux-conseillers-federaux-qui.pdf
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