167 10. LA DOCIMOLOGIE, ET APRES ? Synthèse, par Bernard-André Gaillot. Ce text
167 10. LA DOCIMOLOGIE, ET APRES ? Synthèse, par Bernard-André Gaillot. Ce texte s’efforce de réunir un maximum d’informations concernant les recherches relatives à « l’évaluation », contributions historiques et plus récentes. Le lecteur trouvera également au chapitre 11 (« glossaire ») quelques précisions supplémentaires à propos de définitions. Se reporter en bibliographie (12) pour les principales références. Quitte à surprendre certains, nous commencerons par dire que les réflexions d’ordre « docimologique »1 sont à la fois simples et anciennes. Elles sont simples car elles s’appréhendent finalement comme le lieu d’un très clair changement de cap (ou de philosophie) : le passage ou le glissement de la notation d’un objet produit à l’évaluation des compétences réellement acquises. Elles sont d’ores et déjà historiques car elles nous renvoient deux siècles en arrière. En effet, dès 1805, un essai sur L’Enseignement des mathématiques2 dénonçait explicitement l’erreur de ciblage des examens : « Puisque ce n’est pas un effort de mémoire qui caractérise le vrai savoir en mathématiques, c’est donc à tort qu’on emploie un examen oral et par cœur pour s’assurer de la capacité des jeunes gens qui se livrent à l’étude des sciences ». Cet article fustigeait le temps perdu « à rabâcher », l’illusion de « connaissances acquises que pour en faire parade un seul jour » et l’absurdité d’un enseignement organisé dans le seul but d’obtenir une bonne note à l’examen. On remarque que tout est déjà dit. Quelques temps plus tard, en Angleterre dès 1888 (Edgeworth), en Suisse dès 1914 (Bovet), aux U.S.A. (Starch, 1917-24), de nombreuses contributions démontraient l’existence de divergences dans les notations d’examinateurs différents. En France, ce sont les études de Laugier et Piéron entreprises sur les notes du Certificat d’Etudes en 1922 puis sur le Baccalauréat en 1932 qui mirent à leur tour en lumière les écarts de jugement considérables qui affectaient la notation des copies… Outre les questions de sévérité et d'usage de l'échelle de notes, la docimologie avait réussi à isoler de 1 Du grec dokimé : épreuve. Le mot est forgé par H. Piéron en 1922 pour nommer l’étude des examens. 2 F. Lacroix, dans le contexte de la création des principaux examens et concours de recrutement par Napoléon en 1808, cité par H. Piéron (1963), Examens et docimologie, Paris, PUF, p. 3). 168 multiples déterminants de disparités de jugements entre correcteurs (infidélité dans le temps, effets d'ordre, effets de contraste, effets d'informations sur les élèves connues a priori, effets divers de "halo") et montré que la "vérité" de la note ne pouvait être qu'un mythe (127 correcteurs pour stabiliser une note de philosophie, avait-on calculé en 1936 !3). La reprise de ces recherches dans les années soixante-dix4 a totalement confirmé les observations du début du siècle. Pourtant, la note n’a perdu ni son crédit ni son utilité, d'autant moins qu'elle est vivement attendue par l'institution afin de permettre additions et moyennes. Nous parlons là de docimologie. Venons-en à « l’évaluation ». Si le mot est ancien (1361), la littérature concernant les problèmes de mesure des résultats scolaires nous apprend que ce n’est qu’après les années 1930-40 aux USA que l’on est passé progressivement de la Testing period (Tyler, 1934) ou Measurement period vers une nouvelle voie nommée Evaluation period. Le terme est flou (le dictionnaire ne juxtapose-t-il pas les synonymes calcul et approximation ?) mais il s’appuie sur l’élargissement des visées mises en lumière par les travaux sur les objectifs et qui restaurent l’élève comme totalité.5 Ce qui différencie l’évaluation (qualitatif) de la mesure (quantitatif), c’est le jugement de valeur. Pour P. Perrenoud (in Allal, 1979), « il y a évaluation dès que se forme dans l’esprit du maître un jugement de valeur sur la compétence d’un élève, son intelligence, sa personnalité, sa conduite » (C. Rogers était plus radical : « enseigner, c’est évaluer ; évaluer, c’est enseigner »6). Dès lors, le modèle docimologique comme étude des examens, tout en restant le préalable indispensable, se révèle être une fausse piste. Dès lors, il ne s’agit plus de comparer une performance à une norme mais d’apprécier un processus de construction de la personne. Toutefois, la problématique de l’évaluation s’y révèle clairement sans pour autant être résolue : nous n’avons accès qu’à des productions ou des comportements alors que nous visons leur auteur, ou, pour reprendre l’éclairage apporté par Chomsky en 1968, par-delà les faits (les performances immédiates), nous cherchons la compétence (appréciation du potentiel de l’élève, de ses capacités d’initiatives durables), nous y reviendrons plus avant. S’agissant maintenant des arts plastiques, rien dans ces premières études relatives à la notation ne concernait notre discipline et très peu d’ailleurs abordaient le terrain de l’expression (comme la composition française). Quant au professeur d'arts plastiques, il était placé face à deux options : soit il désirait comptabiliser des savoir-faire, ce qui impliquait la scolarisation des activités plastiques et leur réduction à des exercices de maîtrise ; soit il s’efforçait de juger des qualités d’une œuvre, au risque de s'en remettre, faute de directives, à une pratique d’évaluation totalement intuitive. Les recherches que nous avions menées au début des années quatre-vingt7 et portant sur la notation des productions plastiques scolaires révélèrent l'existence de disparités de jugement aussi fortes que dans les autres disciplines d'expression, ceci bien qu'il soit plus aisé de comparer simultanément des travaux offerts au regard que de lire successivement des copies écrites. Les écarts de notes correspondaient à ceux relevés dans le contexte général, le maximum étant de 12 en arts plastiques pour une reprise de notation d'épreuves du bac, pour une moyenne des écarts de 3 points. Cette étude avait permis d'établir que nous sommes dépendants d'attentes produites par la prise en compte d'informations a priori relatives aux 3 Laugier et Weinberg, in H. Piéron (1963), op. cit., p..23. 4 G. Noizet et J.P. Caverni (1978), Psychologie de l'évaluation scolaire, Paris, P.U.F., pp. 77-117 ainsi que: J.J. Bonniol (1981), Déterminants et mécanismes des comportements d'évaluation d'épreuves scolaires, Thèse de Doctorat, Université de Bordeaux, pp. 75-110. 5 H. Greene, G. Jorgenstein (1962), Measurement and Evaluation in the Modern School, NewYork, McMillan. 6 C. Rogers (1972), Liberté pour apprendre ?, Paris, Dunod, p. 172. 7 B.A. Gaillot (1987), Evaluer en arts plastiques, Thèse de Doctorat, Université de Lyon. 169 producteurs, que nous sommes également sensibles aux effets de contraste par contiguïté, mais surtout, en droite ligne des recherches de Berlyne, Bernard et Francès8, que nous sommes sujets à des considérations hédoniques portant sur les dimensions plastiques ou visuelles des objets à évaluer. Coloris et complexité avaient été testés significativement, ce qui autorisait à penser par extension validante : le degré de réalisme, l'originalité ainsi que le rapport à toute idéologie plastique référentielle, ceci naturellement entendu lorsque ces variables n'ont pas à fonctionner comme critère d'évaluation9. Ainsi, notre appréciation, même guidée par la mise au clair de critères préalablement élucidés, se trouve-t-elle perturbée par la prégnance perceptive d'indices non pertinents, du fait d'une réceptivité particulière de l'évaluateur à leur égard. En vue de modérer ces distorsions, rien n'y fait, ni l'établissement de barèmes finement pondérés (ce serait plutôt pire, comme l'avait déjà montré la docimologie10), ni même la transposition des évaluations en termes de rang (loi de Gal proposée par Baret11), sachant qu’un professeur d'art classe plutôt ses travaux par ordre de qualité. Les constats négatifs de cette époque contribuèrent à proscrire toute notation solitaire au profit d'une évaluation collective (notamment au baccalauréat ; ceci était déjà pratiqué pour les concours), et à cerner de manière aussi claire que possible les repères de réussite en s'attachant tout particulièrement aux objectifs supérieurs, y compris dans ce que nous appelions « le champ scolaire élargi » : Qu’est susceptible de faire seul l’élève hors l'institution scolaire et en quoi ce qui a été fait peut-il attester du développement d’un intérêt et de la construction de compétences réellement acquises « pour la vie » ? Effectivement, de telles observations ne pouvaient que discréditer la note comme visée unique et qu’inviter à se concentrer sur ce que l’on souhaitait réellement apprécier dans l’opération, autrement dit, elles poussèrent à réfléchir sur la fonction de l’évaluation en contexte scolaire. Remarquons en ce qui concerne les arts plastiques en France que, si les instructions Machard (du 14 décembre 1964, par exemple) prodiguèrent en leur temps des conseils clairs relatifs à la notation, cet aspect disparut complètement des préoccupations durant trente années, comme si évaluer allait « de soi ». Il a fallu attendre les programmes pour la 6ème rédigés en 1996 pour qu’un chapitre « évaluation » soit réintroduit, valorisant enfin en des termes actualisés les ambitions de notre discipline12. La situation étant générale, on comprendra que la recherche en Sciences de l’Education se soit concentrée sur la définition des objectifs, l’évaluation formative, la vérification des compétences et sur tout ce qui contribue à la construction de la personne. Le passage de la notation à une évaluation au sens plein du terme tient ses racines de l’exploitation de trois recherches américaines : Il faut mentionner au premier chef le travail uploads/Management/ la-docimologie.pdf
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- Publié le Dec 13, 2021
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