1 LE MODÈLE DES RESSOURCES ET DES COMPÉTENCES: UN NOUVEAU PARADIGME POUR LE MAN

1 LE MODÈLE DES RESSOURCES ET DES COMPÉTENCES: UN NOUVEAU PARADIGME POUR LE MANAGEMENT STRATÉGIQUE? Stephane A. Tywoniak Doctorant, Département Stratégie et Politique d’Entreprise Groupe HEC 1, rue de la libération 78351 Jouy-en-Josas France e-mail: tywoniak@club-internet.fr Introduction “Tout notre exposé insiste sur les ressources internes de la firme -les services productifs que la firme peut tirer de ses ressources, en particulier les services productifs rendus par les cadres expérimentés de la firme. Non seulement les services productifs que les cadres (pris dans le sens le plus large) peuvent rendre dépendent des ressources avec lesquelles la firme est habituée à travailler, mais l’expérience de ces managers affecte également les services productifs que les autres ressources sont capables de rendre. La croissance de la firme est à la fois encouragée et limitée par le processus véritablement dynamique et interactif qui apparaît lorsque le management recherche le meilleur usage possible des ressources disponibles. (…) l’environnement est considéré comme une représentation dans l’esprit de l’entrepreneur des potentiels et limites auxquels il est confronté (…) et la ‘demande’ perçue par la firme est ainsi largement conditionnée par les services productifs à sa disposition. Il en suit que la trajectoire de croissance suivie par la firme -les biens qu’elle décide de produire- peut être analysée en termes de la relation entre ses ressources et sa perception de sa position concurrentielle.” [Penrose, 1959, p. 5] Inspiré par les travaux de Penrose (entre autres), dont l’influence reste particulièrement prégnante, le Modèle des Ressources et des Compétences (MRC1) apparaît comme une innovation théorique prometteuse au milieu des années 19802, et suscite depuis un intérêt croissant, auprès des chercheurs, consultants et praticiens, au point d’être présenté au milieu des années 1990 comme le futur modèle théorique dominant du management stratégique3. A ce titre, il justifie un examen critique et approfondi. Exemple représentatif du dialogue de plus en plus nourri qui s’est établi entre management stratégique, économie et sociologie4 (Rumelt, Schendel & Teece [1991]), le MRC, qui 1: ‘Resource-based view of the firm’ [Barney, 1991], ‘Competence-based view of the firm’ [Hamel & Heene, 1994] 2: Voir l’article fondateur de Wernerfelt [1984] 3: Voir par exemple Collis & Montgomery [1995] 4: Outre Penrose, le MRC emprunte à des travaux économiques et sociologiques importants, mais souvent considérés comme marginaux ou “hérétiques” (Albertini & Silem [1983], Foss [1996a]). En particulier, Schumpeter [1911] (définition des rentes et la nature de la concurrence) Alchian [1950] (prise en compte de l’environnement des firmes) Selznick [1957] (notion de compétence cardinale, ce qu’une firme sait particulièrement bien faire et qui définit son identité institutionnelle) Penrose 2 ambitionne au statut de nouvelle théorie de la firme (Conner, [1991] Conner & Prahalad [1996], Kogut & Zander [1996]), s’est construit au moins autant de manière positive qu’avec la volonté de réformer certaines théories existantes, jugées inadéquates, notamment les modèles issus de l’économie industrielle. Cet article est divisé en trois sections principales. La première section sera consacrée à une présentation du MRC. Nous examinerons les postulats fondamentaux du modèle, ses principaux éléments, et nous tenterons de montrer comment l’adoption de prémisses originales conduit à modifier profondément la définition de l’avantage concurrentiel, la conception du mode de développement stratégique. Enfin, nous examinerons le processus de construction d’un avantage concurrentiel. Dans la seconde section, nous tenterons d’évaluer le statut du MRC au sein de la théorie du management stratégique: assistons-nous à l’émergence d’une théorie dominante et intégratrice, un paradigme pour le management stratégique? Pour ce faire, nous avons choisi d’utiliser la structure du ‘modèle de Harvard’, dont le renouvellement est au coeur du MRC. Nous examinerons donc, tour à tour, les rapports de la firme et de son environnement, l’analyse des ressources de la firme, l’influence de la prise en compte des ressources pour les choix stratégiques, et enfin les implications du modèle pour les politiques structurelles et fonctionnelles. En conclusion, nous ferons un bilan des apports du modèle, présenterons les critiques qui lui ont été opposées, les pistes de recherche pour l’avenir, et tenterons de répondre à la question du titre. 1. Présentation du modèle des ressources et compétences 1.1 Hypothèses fondamentales Le Modèle des Ressources et des Compétences entretient des liens étroits avec les théories évolutionnistes en économie et en sociologie5. Ces liens sont apparents lorsqu’on examine les quatre hypothèses fondamentales du MRC. Les processus organisationnels forment un ensemble de routines Les processus organisationnels sont envisagées comme un ensemble de routines (Grant [1991, p. 122], [Nelson & Winter, 1982, p. 400]. L’ensemble des routines constitue une forme de ‘mémoire organisationnelle’ [Girod, 1995]. Les routines sont mises en oeuvre quasi- automatiquement et prennent un caractère tacite, donc difficilement reproductible (Polanyi [1967]). La régularité du bon fonctionnement de l’organisation dépend donc de ces ‘séquences apprises d’actions configurées impliquant des acteurs multiples liés par des relations de communication et/ou d’autorité’ [Cohen & Bacdayan, 1994, p. 555]. Cela [1959] (vision des firmes en tant qu’ensemble de ressources, analyse de la diversification des firmes et de l’apprentissage organisationnel par essai et erreur) Nelson & Winter [1982] (concept de routine, qui rend compte des processus organisationnels). 5: Voir Winter [1995, pp. 147-148], Foss, Knudsen & Montgomery [1995, pp 3-15], Knudsen [1995], Peteraf [1993]. 3 entraîne deux conséquences: premièrement la firme évolue selon un ‘itinéraire contraint’ (‘path dependency’ Teece, Rumelt, Dosi & Winter [1994, p; 17]) puisque les actions de demain dépendent des routines d’aujourd’hui. Deuxièmement, en cas de modification de l’environnement, la survie de la firme dépend de son habitude à modifier ses routines ou à en inventer de nouvelles: c’est le rôle de ces routines particulières que Nelson et Winter [1982] appellent ‘activités de recherche’: ce que l’organisation sait faire (les routines) n’est donc pas figé, mais procède d’un apprentissage expérimental au cours du temps (Teece, Rumelt, Dosi & Winter [1994, pp. 15-16]), et le changement organisationnel prend la forme d’une série d’équilibres ponctués (substitution d’une -ou plus- routine par une autre6). Les routines présentent trois caractéristiques principales. Premièrement, elles impliquent des acteurs multiples et sont à ce titre des phénomènes sociaux complexes. Deuxièmement, elles prennent forme dans la répétition et sont le résultat d’un processus émergeant d’apprentissage expérimental plus que prise de décision explicite. Troisièmement, les routines incorporent du savoir tacite, inarticulé, ce qui rend problématique leur programmation intentionnelle (Cohen & Bacdayan [1994, pp. 555-556]). Ces trois caractéristiques des routines ont des conséquences importantes pour la manière dont les firmes sont abordées dans le MRC. Tout d’abord elles imposent des limites au management: certaines caractéristiques des organisations ne peuvent être parfaitement maîtrisées7. Ensuite, chaque organisation est idiosyncratique et le pilotage organisationnel doit en tenir compte. Enfin, les routines peuvent entraîner des comportements sub-optimaux par l’application irréfléchie ou automatique d’une série d’actions inadaptées au contexte (Leonard-Barton [1992]). La rationalité des acteurs est limitée La rationalité organisationnelle est limitée (Simon [1945]) et procédurale (Simon [1955], Quinet [1994]). Le lien entre les processus organisationnels comme ensemble de routines et les limites de la rationalité apparaît ici clairement: une routine est une (la première) solution satisfaisante à un problème donné de l’organisation. Les membres de l’organisation sont les dépositaires ultimes des routines -et leurs créateurs (Teece, Rumelt, Dosi & Winter [1994, pp. 15-16]). L’entreprise ne peut apprendre, créer de nouvelles routines, que par le biais de ses membres: soit par l’apprentissage des membres existants, soit en absorbant de nouveaux membres. L’apprentissage est donc le ‘moteur’ de la firme et ce qui justifie son existence: “Une des propriétés de l’apprentissage organisationnel est qu’il permet à l’entreprise, en tant qu’ensemble, de surmonter la rationalité limitée d’individus particuliers”8. 6: Un processus de changement par substitution est décrit ainsi: ‘New forms of behavior result in organisational identity drifts when overseers of a firm (top management) explicitly decouple the new behaviors from an existing set of cultural values and gradually integrate the contextual meanings of those behaviors into a set of central organizational values’ [Fiol, 1991, p. 202]. Sur le changement selon le modèle de l’équilibre ponctué, voir également Gersick [1991] 7: Les organisations sont des systèmes lachement liés [Orton & Weick, 1990] 8: On notera ainsi que pour la théorie évolutionniste, l’existence de la firme est due aux limites cognitives des individus, et non à des imperfections du marché (Jensen & Meckling [1976]) ou à des coûts de transaction (Williamson [1975]). 4 Les routines sont enregistrées sous forme de mémoire procédurale9 (Cohen & Bacdayan [1994]). Ce n’est donc pas seulement la capacité de raisonnement, mais toutes les fonctions cognitives qui sont concernées par ces limites de la rationalité10. Les implications de cette forme de mémorisation sont multiples: 1) elle rend difficile l’articulation des actions des membres de l’organisation (et seul un processus d’explicitation des routines permet de faciliter leur modification), 2) elle impose des contraintes pour l’apprentissage et le transfert des routines (l’apprentissage par l’expérience directe (‘learning by doing’), plus riche en connaissances tacites, semble donner de meilleurs résultats que le transfert codifié des connaissances), 3) “le caractère procédural des routines traitant des informations limite la capacité d’une organisation à «se souvenir», comme la tâche apparemment simple de retrouver un document peut s’avérer extraordinairement difficile uploads/Management/ le-modele-des-ressources-et-des-competences-114 1 .pdf

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  • Publié le Oct 18, 2022
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