doi: 10.2143/RTL.46.2.3080589 RevuethéologiquedeLouvain, 46, 2015, 178-203.

doi: 10.2143/RTL.46.2.3080589 RevuethéologiquedeLouvain, 46, 2015, 178-203. Walter LESCH Intermirifica Un texte révélateur de problèmes communicationnels À la fin de la deuxième session en décembre 1963, le concile Vati- can II a promulgué un petit décret intitulé Inter mirifica consacré aux moyens de communication. Ceux-ci font partie, selon la phrase d’ouverture du décret, des merveilles de la technique1. L’éloge des merveilleuses découvertes de la technique dans le titre même du docu- ment annonce une attitude généralement positive à l’égard des médias. Malgré ce point de départ favorable et le projet d’une orientation novatrice, Intermirifica n’est pas devenu une référence classique de la théologie catholique en matière de communication. Il s’agit plutôt d’un texte mal aimé, vu comme problématique et provisoire, discrè- tement passé sous silence ou tout simplement oublié. D’autre part, ce sont justement les faiblesses et les difficultés du texte qui rendent le document intéressant parce qu’elles révèlent une série de questions importantes qui n’ont rien perdu de leur actualité, même si le contexte technologique a profondément changé depuis 1963. Dans sa présentation synthétique des moments forts du concile, le théologien allemand Otto Hermann Pesch commente un choix de textes conciliaires représentatifs qui ont marqué l’évolution du catholicisme depuis 19652. Intermirifica n’en fait pas partie. Par contre, l’auteur s’intéresse aux relations que les responsables du concile entretenaient avec les médias du monde entier. Dans le contexte des années 1960, il s’agit prioritairement des journalistes de la presse écrite3. L’annonce 1 Le texte est facilement accessible en français (et dans d’autres langues) sur le site web du Vatican: http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/ vat-ii_decree_19631204_inter-mirifica_fr.html (16/07/2014). Il sera cité selon cette traduction avec le sigle IMsuivi du numéro du paragraphe. Voir aussi Leconcile VaticanII(1962-1965). Édition intégrale définitive, Paris, Cerf, 2003, p. 54-67. 2 Voir le livre qui connaît un grand succès dans le monde germanophone: O. H. PESCH, DasZweiteVatikanischeKonzil.Vorgeschichte–Verlauf–Ergebnisse–Nachge schichte, Wurtzbourg, Echter, 4e éd., 2001, p. 441-443 (liste des textes cités ou mentionnés). 3 Ibid., p. 85-87. À côté du thème de la presse, Pesch évoque deux autres ques- tions préliminaires de l’organisation pratique du concile qui sont liées à la dimension INTERMIRIFICA 179 du projet d’un concile en 1959 avait suscité une grande curiosité à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église catholique. Il était donc inévi- table d’organiser tôt ou tard, de manière cohérente et transparente, les contacts avec des experts de la communication, même si beaucoup de fonctionnaires du Vatican étaient encore convaincus du caractère intra-ecclésial du travail à préparer soigneusement des années durant. Dans ce sens, il n’y aurait pas de compte à rendre au public non catholique. Lors d’une conférence de presse du 3 décembre 19604, Pesch décrit à titre d’exemple le comportement de Pericle Felici, secrétaire général des commissions préparatoires et plus tard nommé secrétaire général du concile. Le ton paternaliste de son intervention, dans le style d’une exhortation, reflète bien l’attitude de personnes familières du fonctionnement interne de la curie romaine qui préfère le secret plutôt que la communication, la confidentialité réservée à un cercle restreint plutôt que la discussion et le débat. Une période d’apprentissage a précédé l’ouverture du concile. En 1962, celui-ci accueille plus de mille journalistes dont un nombre important restera fidèle à la tâche d’informer le grand public de délibérations qui ne font normalement pas la une de la presse. Les contenus de Vatican II sont intimement connectés aux modalités de communication parce que le concile est à la fois un événement médiatisé5 et qui implique une théologie de la communication. Pour ces raisons, il n’est pas éton- nant qu’on ait voulu thématiser la communication comme un lieu théologique et ecclésial et en faire un document officiel. La lecture du décret Intermirifica est l’occasion de faire une étude contextuelle et critique de cette approche qui est loin d’être anecdotique ou purement technique. Elle oriente le regard au-delà de la période de l’élaboration du texte, le situe dans un réseau véritablement intertextuel et ouvre la publique de l’événement: le choix de la langue (le latin restera la langue officielle des séances dans l’aula de la basilique Saint-Pierre) et l’ouverture aux observateurs des Églises non catholiques. Ce sont différents aspects du même défi. Comment com- muniquer convenablement? Comment dialoguer adintra et adextra quand on accepte de ne plus être enfermé dans sa bulle? 4 Ibid., p. 85. 5 La difficulté d’un reportage adéquat se manifeste dans la fabrication et la diffusion des images de l’événement. Ce qui reste dans la mémoire visuelle collective, c’est l’image impressionnante d’une basilique transformée en une assemblée de dignitaires ecclésiaux en vêtements officiels. Cette assemblée qui fait penser à un parlement n’adopte pourtant pas une procédure strictement parlementaire, même si elle connaît des rapports de forces entre majorité et minorité. Tout le reste se passe d’une façon beaucoup moins spectaculaire dans un univers de textes parfois assez austères. 180 W. LESCH recherche à l’analyse des défis contemporains du monde des médias qui est si peu comparable aux conditions de communication en 1963. I. LE TEXTE DANS SON CONTEXTE Le texte publié en 1963 est marqué par une profonde ambiguïté. Il traite un thème reconnu comme capital dans le contexte du concile. Résultat d’une élaboration mouvementée et parfois chaotique comme si le sujet ne méritait pas une plus grande attention, ce document était vu comme une sorte de pause de récréation6 entre des préoccupations considérées comme plus importantes, notamment les Constitutions sur la liturgie (Sacrosanctumconcilium) et sur l’Église (Lumengentium). Cette position peu confortable explique partiellement le statut mineur du décret Intermirifica et sa préparation moins réussie. Dans le jargon du concile, une constitution représente le genre littéraire doté de la plus grande valeur théologique: un texte d’une certaine ampleur qui aborde de façon programmatique un sujet central de la doctrine et de la pratique7. Un décret aborde des aspects particuliers de la réalité ecclésiale et propose des règles pour la bonne gestion de ces domaines, par ailleurs essentiels pour la structure et la mission de l’Église8. Tandis que la constitution et le décret connaissent une longue tradition cano- nique et dogmatique, le concile Vatican II a innové avec la création d’un troisième genre: celui de la déclaration qui se veut plutôt explo- ratoire, une sorte de prise de connaissance d’un terrain moins connu, sans viser un positionnement doctrinal9. Il ne convient pas d’établir une hiérarchie de prestige entre ces trois types de textes qui forment un ensemble. L’histoire de la réception a montré la grande importance 6 Voir M. LAMBERIGTS, «Une pause: les moyens de communication sociale», dans G. ALBERIGO (éd.), HistoireduconcileVaticanII,T. 2, Paris, Cerf – Louvain, Peeters, 1998, p. 321-335. 7 Il n’y a que quatre constitutions: sur la liturgie, l’Église, la révélation, et le monde d’aujourd’hui. Voir au sujet des termes techniques le glossaire dans K. WENZEL, Kleine GeschichtedesZweitenVatikanischenKonzils, Fribourg/Br., Herder, 2005, p. 248- 250. 8 Les textes définitifs de Vatican II sont majoritairement des décrets: neuf au total sur seize. Cette prépondérance quantitative souligne que l’Église cherche d’abord à régler ses propres affaires pour que l’ouverture au monde soit crédible. 9 Vatican II n’a publié que trois déclarations: sur l’éducation, les religions non chrétiennes et la liberté religieuse. INTERMIRIFICA 181 des déclarations pour l’avenir du catholicisme. Mais il est clair que le décret a une finalité théologiquement moins ambitieuse que la consti- tution, de caractère plus fondamental et dont l’argumentation doit être plus développée. Intermirifica appartient donc à cette catégorie de documents qui visent des régulations pratiques sans fournir nécessai- rement un enseignement cohérent et complet. Travauxpréparatoiresetdébatsconciliaires L’étude des moyens de communication sociale fait partie des tra- vaux préparatoires au concile entre juin 1960 et l’automne 1962. L’histoire commence avec l’inauguration d’un secrétariat intitulé Segretariatodellastampaetdellospettacolo qui sera en charge de l’élaboration d’un texte (schéma) à soumettre par après au concile10. Le vocabulaire utilisé pour le nom du secrétariat et dans les docu- ments de travail est hautement significatif pour comprendre le contexte culturel de l’approche catholique des médias. Comment a-t-on pu ranger la presse et le spectacle sous une même catégorie? Certes, ces activités visent toutes deux un grand public: d’un côté le journalisme comme métier d’information et, de l’autre, l’art du diver- tissement au théâtre comme au cinéma. Mais les profils profession- nels ne sont guère comparables. Et si l’Église s’intéresse simultané- ment aux métiers des journalistes et des artistes, elle fait preuve à la fois de fascination et de méfiance à l’égard de la liberté d’expres- sion à laquelle le catholicisme du début des années 1960 n’est pas encore pleinement habitué. La combinaison étonnante de la presse et du spectacle a l’avantage d’anticiper une étude globale et inter- disciplinaire de la communication qui peut s’accommoder d’une telle terminologie. Une autre particularité confessionnelle de l’approche thématique mérite d’être soulignée. Les auteurs catholiques de l’époque se montrent hésitants face au thème des médias qui connaît un développement 10 Pour une introduction et un premier commentaire, voir le supplément à la deu- xième édition du LexikonfürTheologieundKirche,vol.12: K. SCHMIDTHÜS, «Dekret über die sozialen Kommunikationsmittel. Einleitung und Kommentar», dans Das ZweiteVatikanischeKonzil.DokumenteundKommentare,TomeI, Fribourg/Br., Her- der, 1966, p. 111-135. Ce commentaire rédigé à peu de distance uploads/Management/ lesch-w-inter-mirifica.pdf

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  • Publié le Jui 11, 2021
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