Langages Approche d'une grammaire d'énonciation de l'hystérique et de l'obsessi

Langages Approche d'une grammaire d'énonciation de l'hystérique et de l'obsessionnel Luce Irigaray Citer ce document / Cite this document : Irigaray Luce. Approche d'une grammaire d'énonciation de l'hystérique et de l'obsessionnel. In: Langages, 2ᵉ année, n°5, 1967. Pathologie du langage. pp. 99-109; doi : https://doi.org/10.3406/lgge.1967.2875 https://www.persee.fr/doc/lgge_0458-726x_1967_num_2_5_2875 Fichier pdf généré le 02/05/2018 LUCE IRIGARAY APPROCHE D'UNE GRAMMAIRE D 'ENUNCIATION DE L'HYSTÉRIQUE ET DE L'OBSESSIONNEL Si l'on passe outre au message que le névrosé paraît explicitement et de manière immédiate vouloir transmettre, on peut, par l'analyse des formes linguistiques de son énoncé, en déchiffrer un autre qui, pour ignoré qu'il soit de celui qui le véhicule, n'en dévoile pas moins la vraie portée de son discours. Une telle étude permet, en effet, de repérer, par- delà les impressions d'une écoute ou d'une lecture premières, la véritable identité du sujet qui assume l'énoncé, celle de l'allocutaire, ainsi que la nature de l'objet proposé à la communication. Qui parle? A qui? Et de quoi? Sans doute, afin de mettre ainsi au jour la spécificité du schéma de communication qui sous-tend le discours du sujet parlant, ne peut-on se contenter d'une analyse distributionnelle de ses énoncés. Ceux-ci seront envisagés avant tout dans leurs rapports dialectiques aux protagonistes de renonciation, en tant qu'ils sont un moyen d'appréhender le sujet dans son énonciation même. Autrement dit, il ne s'agit pas de refaire une grammaire de l'énoncé mais de tenter d'élaborer une grammaire de renonciation. Un tel projet, et qui exigerait de repenser aussi la grammaire des sujets « normaux », ne sera ici qu'esquissé dans son application aux langages névrotiques. On tentera de montrer que les systématisations fonctionnelles dont témoignent les langages des névrosés peuvent s'interpréter en termes de spécificité de grammaires de renonciation, leurs structures singulières relevant d'une analyse en modèles formels de génération des messages. *** Ramené à ses trois termes fondamentaux, le schéma de communication se présente comme échange des protagonistes de renonciation — (je), (tu), — à propos d'un objet, le monde ou réfèrent — (il). Il importe de souligner que ces trois termes de base de renonciation ne peuvent être d'emblée assimilés à ce qui peut apparaître comme leurs réalisations dans l'énoncé. Ainsi le sujet générant le message n'est pas nécessairement réductible à celui du message produit. Ce qui apparaît clairement dans des énoncés du type (je dis) tu aimes, (je dis) il aime. Par contre, des confu- 100 sions sont possibles lorsque le sujet de l'énoncé — je — paraît renvoyer à l'émetteur même du message. En fait, le sujet assumant le message ne peut vraiment être inféré que d'une analyse du discours dans sa totalité, et notamment de l'ensemble des transformations que le sujet fait subir à son énoncé avant sa réalisation. Ainsi la transformation interrogative peut-elle finalement retourner en émetteur du message qui se donne dans l'énoncé comme récepteur. Une telle remontée du jeu des transformations s'impose également avant de désigner à qui, effectivement, le message s'adresse, et quel en est l'objet. Il s'agit donc idéalement de ramener le discours à son modèle essentiel, de tenter de dégager la forme de la phrase noyau et celle de ses constituants immédiats que peut masquer le jeu des transformations, phrase noyau qui révélera la structure du schéma de communication en cause : (locuteur?) ■<- (SNX? + V? + SN2?)->- (allo- cutaire?). C'est ce qu'on va tenter de réaliser à propos de deux corpus de langage spontané, l'un d'hystérique, l'autre d'obsessionnel. D'un discours d'hystérique d'une vingtaine de pages, on a extrait au hasard trois fragments de quarante-deux lignes. Dans un premier temps, on a envisagé chaque proposition, indépendamment de sa nature, comme un tout, et on en a fait l'analyse en constituants essentiels. Les classes établies étaient : SN1} V, SN2, SN8, adverbe, adjectif. Le problème était de savoir comment l'hystérique remplissait ces cases et si on pouvait dégager, chez lui, une spécificité des constituants et de leurs rapports dialectiques qui permettent d'établir un modèle d'énoncé. Au niveau des sujets d'énoncés — SNt — on a noté que l'hystérique fait intervenir à part presque égale le je et le tu, le tu l'emportant cependant (40 % >< 34,5 %). Si le je tient lieu de sujet, la responsabilité de l'énoncé peut encore être laissée au (tu) soit par la forme in terrogative, soit par le fait que le sujet de la subordonnée complétive est tu et que le véritable énoncé s'y exprime. On y reviendra. En se reportant à un récit de rêve, intervenant en un autre temps dans le corpus, on a remarqué que la prévalence du tu sur le je y était plus marquée encore. Pratiquement, dans le rêve, ou du moins son récit, tu apparaît comme le seul sujet d'énoncé : vous aviez votre vrai visage; vous me racontiez ça; vous aviez un mari; vous aviez un appartement; vous avez sorti une fourrure; etc. — Les autres sujets d'énoncés se répartissent en 5,1 % d'animés personnes, 5,1 % d'animés non-personnes, — animaux, — 6,5 % d'inanimés concrets, — objets matériels : robes, manteaux, rose, tableaux, etc., — 6,5 % de substituts démonstratifs — ce, ça, — exprimant une référence situation- nelle précise, et 2,55 % de substituts relatifs renvoyant à un objet matériel. En fait, les déterminants et les contextes linguistiques ou extralinguistiques permettent d'établir que ces « représentants du monde » sont médiatisés par le (tu). En effet, c'est de votre mari, le furet, le renard qu'évoque une peau de bête vous appartenant, vos robes, vos manteaux etc. qu'il s'agit. On voit que le (tu), qu'il s'y réalise explicitement comme tel 101 ou se masque dans le il, animé ou non-animé, l'emporte finalement en tant que sujet de l'énoncé. Le syntagme verbal, dans le discours de l'hystérique, a des caractères spécifiques. Les verbes marquant un procès sont fréquents, spécialement dans le cas où tu fonctionne comme sujet d'énoncé : vous aimez; vous restez; vous avez; vous faites faire; vous demandez; vous mettez; vous regardez; je supprime; j'achetais; etc. Par ailleurs, le non-accompli prévaut sur l'accompli, ce qui se repère dans les procédures morphologiques et aussi dans le choix des types de verbes : le présent ou le futur supplantent le passé, l'actif le passif, le procès l'état. Quand le verbe exprime un état, il apparaît le plus souvent comme en train de se constituer, de s'élaborer dans le je par suite des agissements du tu, et non réalisé, stable, référé à un devenir antérieur, ou présenté comme établi sans référence à un devenir ni à un agent. L'énoncé d'énoncé lui-même, le récit, quoique portant les marques morphologiques du passé, traduit le non-accompli : vous racontiez, vous parliez, j'écoutais, vous mettiez, etc. L'action y est en train de se faire et non achevée. Il est très rare que le procès ou l'état se manifestent comme définitivement révolus. Il faut noter aussi que les verbes dits transitifs l'emportent significativement sur les verbes intransitifs. L'objet de l'énoncé, chez l'hystérique, est souvent intégré à la phrase minimale; il figure en tant que SN2. Ce qui est remarquable, c'est le chiasme établi entre sujet et objet du point de vue des protagonistes de renonciation. Dans le cas où tu est sujet d'énoncé, me intervient comme objet direct et plus souvent indirect — vous m'aimez; vous me racontiez; — alors que si je est sujet d'énoncé, l'objet en sera te : je vous écoute, j'ai rêvé de vous. Mais ici encore, et c'est le cas le plus fréquent, le (tu) peut être implicitement réintroduit en tant que les SN2, animés ou non-animés, lui sont rapportés. Ainsi parmi les objets non- animés relevés dans le discours analysé 80 % sont référés à (tu). L'insertion de il, du monde, apparaît donc, chez l'hystérique, comme directement tributaire du protagoniste de renonciation, comme si l'hystérique n'avait pas d'objet propre mais que le monde ne se proposait à lui qu'en tant que médiatisé, possédé, valorisé, par le (tu), sinon confondu à lui. Cela pose évidemment le problème du réfèrent dans son discours. Quel objet d'échange peut-il proposer à l'allocutaire si le monde n'apparaît ni assumé, ni assumable sans doute, par lui? Il faut noter encore que l'insertion du monde se fait, dans le discours de l'hystérique, sous forme d'inanimés concrets plutôt que d'inanimés abstraits (75 % > < 25 %). Le monde y est actualisé sous forme d'objets matériels, en tant que tels toujours extérieurs au sujet d'énonciation, et dont la particularité même permet d'établir un rapport de possession univoque. Une robe, un appartement, sont moins équivoquement possédés que des soucis. Le cir constant, SN3, a lui aussi fonction d'introduire le monde dans l'énoncé. Chez l'hystérique, il exprime le plus souvent des références spatiales précises (62 %) : dans le métro, dans une grande maison, dans 102 une pièce très claire, dans un fauteuil, etc. Ici aussi on retrouve la référence explicite ou implicite au (tu), car c'est de votre bureau, votre appartement, qu'il s'agit, ou tout au moins ta pièce très claire, le fauteuil, n'interviennent-ils qu'en tant qu'ils évoquent, qu'ils sont comparables, à votre logement ou son mobilier. uploads/Management/ lgge-0458-726x-1967-num-2-5-2875.pdf

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  • Publié le Aoû 30, 2021
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