2020, l’année de la grande bascule Année de crise, 2020 nous aura légué pléthor
2020, l’année de la grande bascule Année de crise, 2020 nous aura légué pléthore de mots nouveaux pour désigner de nouvelles réalités: «Covid-19 » ou «Coronavirus» bien sûr, mais aussi « distanciation sociale» ou encore «monde d’après » . Il y a aussi des mots que nous connaissions déjà, mais qui auront acquis une dimension inédite (par exemple «virus » ou «vaccin»). Ainsi en va-t-il de « télétravail» dont une simple requête Google nous indique plus de 22 millions d’occurrences. Que s’est-il passé ? Sommes-nous entrés dans l’ère du télétravail massifié ? Véritable laboratoire de pratiques, que nous dit l’année 2020 sur le futur de l’organisation du travail et des modes de vie? Cette étude se propose d’analyser les aspects concrets et actuels de ce phénomène : sous la force de la crise sanitaire, une frange très importante de salariés auxquels cette modalité d’organisation du travail était jusqu’à présent refusée sont abruptement passés au télétravail total ou partiel. Les enseignements à tirer de cette situation inédite ont un rôle à jouer dans la préparation d’un « retour à la normale », dans laquelle le télétravail ressortira plus développer qu’avant 2020 mais sous une forme bien différente de celle expérimentée au cours de cette période : il n’aura, dans l’immense majorité des cas, pas vocation à perdurer à 100 %, mais se développera sous une forme hybride (ou intermittente) qui nous confrontera à de nouveaux défis. Les conditions pour y parvenir sont examinées dans cette étude. Par ailleurs, le télétravail restera encore pour un temps un facteur d’inégalité entre les secteurs d’activité, entre les métiers et entre les personnes. Pour éviter qu’il n’accentue encore les inégalités, un des grands enjeux à venir va consister précisément à tenter d’en élargir la portée, d’une part à travers un dialogue professionnel portant sur les tâches, et d’autre part à travers une digitalisation accélérée qui rendra télétravail ables des activités jusqu’ici non éligibles à cette modalité de travail. Comme toute crise, celle du Coronavirus est porteuse d’opportunités et d’accélérations, propices au développement de nouvelles formes d’organisation et de management dont il importe d’évaluer également les limites et les risques. Une clarification sémantique préalable s’avère cependant nécessaire, car si le terme «télétravail» domine les débats, il ne recouvre, à notre avis, ni la complexité ni la totalité des phénomènes en jeu. Télétravail ou Travail à distance ? Du bon usage de quelques définitions Le ministère de l’Économie français définit le télétravail comme « une forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire, en utilisant les technologies de l’information et de la communication». Cette définition à dominante juridique et organisationnelle (salarié/employeur; dans les locaux/hors des locaux) ne recouvre que partiellement l’étymologie de « télétravail », mot formé avec le préfixe grec tele (à distance). Prendre en considération le « travail à distance » ouvre (et complexifie) considérablement le champ du sujet par rapport à la définition précitée. Le travail n’est évidemment pas que « salarié », et « à distance » renvoie moins à la localisation de l’individu qu’à la médiation des écrans et systèmes numériques (une télé). Quand je travaille sur ou à travers mon écran, je travaille toujours à distance de quelqu’un (ne serait-ce que de mon collègue à l’étage du dessus auquel je suis en train d’envoyer un mail) et ce, quel que soit le lieu où je me trouve et quel que soit mon statut à l’égard de l’entreprise (salarié, indépendant, fournisseur, consultant, etc.). À la lumière de l’étymologie, on pourrait dire que quasiment tout le monde «télétravaille» régulièrement (voire majoritairement pour certaines activités) et qu’il s’agit donc d’un mode d’activité bien peu spécifique. Le terme « télétravail » entretient aussi une ambiguïté passéiste avec le travail à domicile qui, lui, est tout autrement défini. Au sens du ministère du Travail, le travailleur à domicile est un salarié qui travaille en permanence à son domicile, bénéficie d’un statut particulier – une assistante maternelle ou une correctrice salariée dans l’édition, par exemple – et n’est pas en télétravail. Le sociologue Michel Lallement rappelle, toutefois, qu’au XIXe siècle, le travail exercé à domicile s’opposait au travail salarié et était aussi appelé «travail en chambre». Souvent féminin et exercé dans les métiers du textile, de la chaussure ou de la fleur artificielle mais aussi en famille dans l’artisanat industriel, ce travail en chambre produisait une confusion des frontières spatiales entre le professionnel et le domestique. Ce qui n’est pas sans rappeler, par certains aspects, la situation de télétravail récente vécue pendant les périodes de confinement. Le travail à domicile posait aussi la question de l’appartenance du travailleur à un collectif et, corollairement, de la possibilité de revendiquer ou de défendre ses droits. Cette parenté lointaine entre travail à domicile et télétravail explique en grande partie la méfiance syndicale à l’égard de ce dernier. On remarquera aussi que pendant que se réduisait à peau de chagrin le statut de travailleur à domicile dans les pays développés, le travail au domicile connaissait, lui, à partir des années 2000, un nouvel essor, que ce soit à travers la (re)montée en puissance du travail indépendant ou du télétravail exercé au domicile. Contrairement au travail à domicile qui est en France un statut particulier du salariat, le télétravail n’est pas un statut, mais une modalité encadrée d’exercice du travail salarié, dont le travail au domicile n’est que l’une des possibilités (néanmoins majoritaire). Le terme «télétravail» entretient donc des ambiguïtés, renvoie souvent à des perceptions datées et ne rend pas compte de la multiplicité des formes de son exercice à l’époque contemporaine : collaborations à distance inter et intra-sites (dans des bureaux, étages ou bâtiments différents); activité exercée majoritairement au domicile (et non « à domicile »); alternance entre travail au domicile et travail sur site (nommé «pendulaire»); activité permanente ou ponctuelle dans un tiers-lieu dédié (télé-centre, bureaux satellites, espaces de coworking ou de corpoworking), généralement plus proche du domicile du travailleur; télétravail mobile (ou en mobilité) pour les activités nécessitant des déplacements (il combine alors divers lieux: chantiers, hôtels, locaux des clients, transports, etc.); télétravail nomade qui s’exerce de n’importe où, l’entreprise n’ayant pas à savoir si la personne se trouve chez elle ou aux Bahamas; télétravail informel dit «en débordement» (également appelé «télétravail gris»), réalisé ici encore en divers lieux (domicile, hôtels, transports, locaux des clients, etc.) mais surtout en dehors du temps de travail légal (le soir, le week-end, pendant les vacances). C’est pourquoi, même s’il nous arrivera d’utiliser parfois indifféremment, dans cette étude, les termes «télétravail» ou «travail à distance», nous privilégions du point de vue conceptuel le second, mieux à même de rendre compte du brouillage des repères de temps, d’espaces et de statuts que génèrent ces formes de travail, et de nous projeter dans les contours (encore flous) du futur du travail. Ces nouvelles formes d’organisation du travail ont pour particularité de rompre, en tout ou partie, avec la règle des trois unités (de temps, de lieu et d’action) qui ont longtemps défini l’entreprise, ainsi qu’avec trois fondamentaux du travail salarié (les marqueurs du lien de subordination, le temps de travail collectif, le collectif de travail situé). La massification du télétravail vient alors ébranler encore davantage les frontières qui définissaient auparavant à la fois le travail « normal » et l’entreprise – frontières déjà mises à mal par le salariat hétérogène (contrats courts, intérim, salariat « sans patron »), les formes alternatives de travail et d’emploi (indépendants économiquement dépendants, partenaires/consultants exerçant dans les locaux de l’entreprise) et l’entreprise étendue (fournisseurs, sous-traitants localisés partout dans le monde). Les préoccupations des entreprises Cette étude est née d’une demande des mécènes de la chaire «Futurs de l’industrie et du travail (FIT) » de Mines Paris PSL, à l’issue de l’année 2020, qui ont constitué un groupe de travail ad hoc sur le sujet du travail à distance. Le télétravail confiné, subi, à grande échelle et en mode dégradé, a pris les organisations par surprise, quelle que fût leur appétence préalable ou leur niveau de maturité à l’égard de cette question. Dès lors, la situation nécessite une réflexion sur les modalités de retour à un travail dans le contexte d’une « nouvelle normalité» (à une date encore incertaine à l’heure où nous écrivons), celui-ci ne pouvant que sortir assez profondément modifier de cette expérience inédite. Parallèlement, l’obligation légale de négocier le sujet avec les partenaires sociaux laisse présager de grandes manœuvres à venir, requérant pour les directions des ressources humaines d’avoir examiné «l’objet» télétravail et son retour d’expérience sous toutes les coutures possibles, en tenant compte des risques révélés lors des confinements (santé physique et psychique, isolement), mais aussi des opportunités (nouvelles relations managériales, flexibilisation des horaires, digitalisation accélérée, réduction des espaces, etc.). Dans certains grands groupes, à la requête des directions générales, les directions immobilières ont été engagées à réfléchir rapidement à un réaménagement des espaces et des lieux de travail, permettant de saisir l’opportunité de uploads/Management/ prancuziskas-tekstas-le-travail-a-distance-dessine-t-il-le-futur-du-travail-vertimo.pdf
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- Publié le Apv 13, 2021
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