La dispersion intra-individuelle et le profil des scores dans les QI élevés G. L
La dispersion intra-individuelle et le profil des scores dans les QI élevés G. LABOURET*, J. GRÉGOIRE** Article paru dans ANAE n°154 – Juin 2018 * Psychologue stagiaire, OPPIO, INETOP-CNAM, 41 rue Gay-Lussac, 75005 Paris, France ; Institut de Psychologie, Université Paris Descartes, 71 avenue Edouard Vaillant, 92774 Boulogne-Billancourt, France. E-mail : ghislaine@labouret.net ** Professeur de psychologie, Université Catholique de Louvain, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation, Place du Cardinal Mercier, 10, B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgique. E-mail : jacques.gregoire@uclouvain.be RÉSUMÉ : La dispersion intra-individuelle et le profil des scores dans les QI élevés La dispersion intra-individuelle, omniprésente dans les scores de QI, découle de la construction des tests d’intelligence, développés pour évaluer des aptitudes cognitives distinctes en plus du facteur g. La différenciation croissante des aptitudes selon le QI tend à entraîner une dispersion accrue chez les HQI, sans cause pathologique. La régression vers la moyenne est largement responsable du profil type des HQI, qui ne signe donc pas un fonctionnement cognitif qualitativement différent. Mots clés : Haut QI – Haut potentiel intellectuel – Dispersion – Variabilité SUMMARY : Intra-individual dispersion and scores profiles among high IQs Intra-individual dispersion, ubiquitous within IQ scores, simply stems from intelligence tests conceived to assess specific cognitive abilities in addition to the g factor. The ability differentiation phenomenon sometimes leads to a small increase of dispersion with IQ, not attributable to disorders. Regression to the mean is largely responsible for the typical profile of high IQ groups, which cannot be interpreted as evidence of qualitatively different cognitive functioning. Keywords : High IQ – High intellectual potential – Dispersion – Variability Pour citer cet article : LABOURET, G. & GRÉGOIRE, J. (2018). La dispersion intra-individuelle et le profil des scores dans les QI élevés. A.N.A.E., 154, 271-279. 1 G. LABOURET, J. GRÉGOIRE Au-delà du QI, les échelles d’intelligence de Wechsler fournissent au clinicien un ensemble de scores, qui dessinent un profil cognitif. La variabilité intra-individuelle de ces scores soulève la question de l’interprétation des variations, avec une tentation de leur attribuer des causes ou des conséquences problématiques. La présence supposée et parfois confirmée, chez les personnes à haut QI (HQI), d’une variabilité plus ample ou plus fréquente, incite certains à tirer des conclusions pathologiques sur cette population. Dans cet article, nous allons d’abord considérer l’ampleur de la dispersion en population générale, et rappeler son caractère normal. Puis, nous nous intéresserons à l’influence du QI sur la dispersion des scores à deux niveaux : l’ampleur de la dispersion et le profil des scores. Nous montrerons en quoi des phénomènes cognitifs ou statistiques peuvent influencer les dispersions observées, marginalisant ainsi le recours à des causes pathologiques. L’ampleur des variations intra-individuelles et son interpré- tation La dispersion globale des scores de QI peut être estimée soit au niveau des subtests, soit entre les indices, au moyen de différentes mesures. L’écart-type, choix le plus logique compte-tenu de ses qualités, est paradoxalement très peu utilisé (McLean, Reynolds, & Kaufman, 1990). Lui sont généralement préférées des mesures plus simples à calculer, comme l’étendue des scores, c’est-à-dire la différence entre le score maximal et le score minimal, qui présente l’inconvénient de ne pas prendre en compte l’ensemble des scores. Cette mesure est toutefois fortement corrélée à l’écart-type. Notre propos visant à éclairer la pratique clinique, nous retiendrons dans cette section l’étendue des scores, avec une préférence pour les scores d’indices, plus fiables que les scores de subtests (Glass, Ryan, & Charter, 2010 ; Matarazzo, Daniel, Prifitera, & Herman, 1988). Ampleur « normale » L’étendue observée dans les échantillons d’étalonnage (Table 1) a remarquablement peu varié au fil des versions des échelles d’intelligence de Wechsler. Pour les 10 subtests principaux, elle s’établit autour d’une médiane de 7, avec un écart-type de 2,2. Dans l’échantillon d’étalonnage français du WISC-V, 54,3% des profils présentent un écart de 7 points ou plus, et il faut 12 points d’écart pour descendre sous les 5% de profils présentant un écart aussi important. Pour les indices, l’étendue médiane varie de 20 à 23 points, avec un écart-type d’environ 10. Dans le WISC-V, 52,8% des profils présentent ainsi un écart de 23 points ou plus parmi les cinq indices principaux, et il faut 43 points d’écart pour descendre sous les 5% de profils présentant un écart aussi important. On observe donc que la dispersion intra-individuelle des scores, dans une population sans trouble particulier, est non seulement courante, mais aussi d’une ampleur qui peut sembler conséquente quand on la compare aux écarts-types des scores correspondants (3 pour les subtests, 15 pour les indices). D’où l’importance pour les cliniciens d’avoir ces chiffres en tête lors de l’analyse de profils. Table 1 – Statistiques sur les écarts entre note maximale et note minimale, pour les subtests et indices, dans les échantillons d’étalonnage français. Subtests Indices WAIS-IV WISC-IV WISC-V WAIS-IV WISC-IV WISC-V Moyenne 6.9 7.5 6.9 21.7 24.3 24.2 Écart-type 2.2 2.3 2.2 10.2 10.9 9.9 Médiane 7 7 7 20 23 23 <10% 11 12 11 37 40 39 <5% 12 13 12 40 45 43 <1% 14 15 14 51 53 51 2 La dispersion intra-individuelle et le profil des scores dans les QI élevés La dispersion des scores est le reflet des liens partiels entre les différents subtests qui composent chaque échelle : les scores de deux subtests seront d’autant plus souvent proches que les subtests sont corrélés entre eux, et d’autant plus libres de s’écarter que les subtests sont faiblement corrélés, c’est-à-dire qu’ils mesurent des aptitudes indépendantes. La distribution des écarts observée dans les échantillons d’étalonnage correspond à celle que l’on obtient, par calcul mathématique ou simulation informatique, à partir de la combinaison de distributions normales corrélées selon la table d’intercorrélations des subtests de l’échelle (voir Figure 1). La présence, au-delà de la variabilité introduite par l’erreur de mesure, de variations fréquentes au sein des scores est donc un phénomène normal, qui découle de la structure des aptitudes cognitives et de la façon dont sont construits les tests. Le modèle hiérarchique de l’intelligence de Cattell-Horn-Carroll (CHC ; Carroll, 1993), qui fait consensus actuellement, comporte à la fois un facteur global unique, le facteur g, et plusieurs facteurs d’aptitudes, générales ou spécifiques, relativement indépendantes. Le facteur g traduit le fait qu’il existe une corrélation positive entre les scores à toutes les tâches cognitives, et il implique que les scores d’une personne donnée aux différentes tâches ont tendance à se rapprocher. Les aptitudes générales et spécifiques justifient quant à elles une variabilité des scores entre les tâches. De fait, le facteur g n’explique qu’environ 40% de la variance des performances cognitives (Blum & Holling, 2017). Les échelles de Wechsler ont progressivement évolué dans leur conception, pour se rapprocher du modèle CHC et permettre l’évaluation de plusieurs aptitudes générales (Grégoire, 2017). Dit autrement, les subtests (et leurs regroupements en indices) sont conçus pour évaluer des aptitudes distinctes, de façon relativement séparée. Des tests sélectionnés pour évaluer des aptitudes différentes sont nécessairement moins corrélés entre eux, ils présentent donc des scores plus dispersés. Par exemple, dans le WISC-V français, les subtests Vocabulaire et Similitudes, tous deux en compréhension verbale, ont une corrélation de .63, mais Vocabulaire ne corrèle qu’à .36 avec Cubes (visuospatial) et .22 avec Code (vitesse de traitement). Interprétation Compte-tenu de la large plage des dispersions normales en population générale, il est difficile d’attribuer un sens particulier, notamment pathologique, à des écarts entre scores. C’est ce qu’ont rapidement constaté les praticiens et chercheurs qui ont tenté, dès le début des échelles de Wechsler, d’établir des liens entre les profils de scores et divers troubles (Grégoire, 2009, p. 251-255 ; Kaufman, 1976, 1979) : si quelques différences statistiquement significatives apparaissent à l’échelle de groupes cliniques, celles-ci ne sont ni suffisamment spécifiques (un même écart de scores peut avoir de multiples causes) ni assez sensibles (trop d’écarts sont présents en l’absence de tout trouble) pour une utilisation en diagnostic individuel. Malgré de multiples mises en garde contre toute attribution hâtive des écarts de scores à une pathologie, on constate encore aujourd’hui des excès dans ce domaine (Lichtenberger & Kaufman, 2012, p. 226). Les recommandations courantes aux cliniciens concernant l’interprétation des scores sont de les utiliser pour former des hypothèses, à confirmer ou mettre en relation avec d’autres sources d’informations comme les performances scolaires ou les résultats d’autres tests (Bachelier & Cognet, 2017 ; Flanagan & Alfonso, 2017 ; Sattler, 1999). Par ailleurs, les interprétations qui considèrent comme anormale une variabilité intra-individuelle de l’ordre de celle observée dans les échantillons d’étalonnage sont probablement un reliquat de théories unitaires de l’intelligence, dans lesquelles les aptitudes différenciées étaient éclipsées par le facteur g. Les versions antérieures des échelles d’intelligence de Wechsler, qui comportaient deux scores composites, le QI verbal et le QI performance, ont également pu contribuer à fixer dans l’esprit des praticiens des points de repère plus bas en matière de différences courantes. Ainsi, dans le WISC-III, la différence moyenne entre QIV et QIP était de 11,3 points (σ = 8, 4), la médiane de 10, et 9,9% des sujets atteignaient 24 points d’écart ; dans uploads/Management/ s7m-compendium-de-personnage 1 .pdf
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- Publié le Jui 24, 2021
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