FACE À L’EFFONDREMENT DU CHAMP, LA STRATÉGIE COMME MANIÈRE DE VIVRE Philippe Si
FACE À L’EFFONDREMENT DU CHAMP, LA STRATÉGIE COMME MANIÈRE DE VIVRE Philippe Silberzahn et Philippe Riot Lavoisier | « Revue française de gestion » 2019/8 N° 285 | pages 73 à 83 ISSN 0338-4551 ISBN 9782746249158 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2019-8-page-73.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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En nous appuyant sur le cadre conceptuel posé par Hirschman Exit, Voice, Loyalty (défection ou prise de parole), les auteurs défendent l’idée de Voice, mais cela nécessite un profond renouvellement des pratiques de recher- che et d’enseignement. En s’inspirant du philosophe Pierre Hadot, ils proposent de penser et de pratiquer la stratégie comme une manière de vivre. DOI: 10.3166/rfg.2019.00392 © 2019 Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 05/03/2020 08:28 - © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 05/03/2020 08:28 - © Lavoisier « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur. » (Jean Cocteau, Les mariés de la Tour Eiffel, 1921). I l est bon que tout champ de recherche et de pratique s’interroge sur lui-même et le management stratégique n’a pas échappé à cette interrogation. La question de sa légitimité et de sa spécificité est cependant posée depuis longtemps. L’appel de la RFG pour ce numéro, et avant lui la série du Academic All-Star Games1, mon- trent que cette question reste plus que jamais d’actualité. En 2017, la revue le Libellio2 avait consacré un numéro spécial au titre assez direct mais tout à fait évocateur des débats en cours : La stratégie a-t-elle un avenir ? Le constat qui y était dressé sur l’avenir de cette discipline était très sombre, le terme même d’effondrement étant employé pour décrire son état actuel. L’appel propose un cadre de réponse faisant appel au fameux choix de Hirschman Exit, Voice, Loyalty (défection ou prise de parole) : le champ peut choisir Exit, c’est- à-dire se dissoudre dans des champs fondamentaux (comme la sociologie ou l’économie), Voice, c’est-à-dire se renou- veler en contestant les théories et les pratiques actuelles des chercheurs, ou Loyalty, ne rien changer. Il faut noter que Hirschman pose la question du point de vue d’un groupe d’acteurs particulier. Cette question n’a probablement pas le même sens pour les chercheurs, les cabinets de conseil, ou les dirigeants d’entreprise. Précisons donc que nous abordons la question ici du point de vue des préoccupations du monde académique. En effet, et suivant en cela l’appel de la RFG, nous défendons l’idée dans le présent article que le problème est celui du champ de recherche et d’enseignement beaucoup plus que celui de sa pratique. La distinction nous semble importante car elle met en lumière l’une des difficultés principales du champ aujourd’hui, celle de l’éloignement entre une recherche et un enseignement qui sont en crise, d’une part, et une pratique bien vivante, d’autre part. Ainsi, à la question du Libellio, nous pouvons répondre « oui bien- sûr la stratégie a un avenir », mais il nous semble que la vraie question est plutôt : La recherche académique en stratégie a-t-elle un avenir ? C’est celle que nous proposons de traiter dans le présent article. En substance, notre réponse est la suivante : Exit n’est pas souhaitable car il existe un domaine spécifique de la stratégie qui a besoin d’être nourri théoriquement ; pour- tant, Loyalty est impossible car poursuivre sur la voie actuelle conduit le champ à sa disparition ; seule reste Voice, mais cela nécessite un profond renouvellement de la pratique de recherche et d’enseignement, ce qui ne sera pas facile compte tenu des contraintes institutionnelles actuelles. I – LOYALTY IMPOSSIBLE : LE CHAMP DANS UNE IMPASSE L’effondrement de la stratégie en tant que champ nous semble dû à deux raisons étroitement liées : la façon dont elle est enseignée et la façon dont elle fait l’objet de recherche. 1. Cycle de conférences sur l’avenir du management initié par les étudiants de l’université Paris-Saclay et l’ENS Ulm en 2019. 2. Libellio, vol. 13, no 2, 2017. 74 Revue française de gestion – N° 285/2019 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 05/03/2020 08:28 - © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 05/03/2020 08:28 - © Lavoisier 1. Un problème d’enseignement Malgré les efforts de quelques auteurs comme Mintzberg, l’enseignement de la stratégie est essentiellement resté ancré dans un paradigme positiviste et cartésien. Il est largement déconnecté de la recherche, y compris de ceux qui par ailleurs s’inscrivent dans des paradigmes différents, et il pro- meut une vision largement mécaniste du monde vu comme une grande machine auquel l’acteur est largement extérieur. Logiquement, il sépare la pensée et l’ac- tion : la pensée est la « patrie divine » tandis que l’action est simplement la combinaison des choses matérielles, de statut évidemment inférieur, appelée « mise en œuvre ». Il en découle parfois une vision quelque peu jupitérienne du management : la direction générale pense, lance ses éclairs du sommet du mont Olympe, et les subordonnés exécutent. Or dans la stratégie, il y a en fait quelques principes relativement simples : chacun peut comprendre aisément ce qu’est un avantage concurrentiel, un rapport de force, une proposition de valeur, ou encore une chaîne de valeur, et que la stratégie, à rebours d’une vision mécaniste, c’est aussi l’art de gérer les relations entre l’entreprise et son environnement. À partir de ces concepts fondamentaux, ce qui va compter c’est la capacité individuelle ou collective des personnes à comprendre une situation et à proposer des lignes d’actions. Étant donné la complexité des situations, cela se fait via une exploration large de l’environnement dont il faudra extraire les éléments les plus pertinents – les « points pivots » dont parle le chercheur Richard Rumelt – avant de les assembler pour construire une offre de valeur attractive. Finalement les décisions matérialisent un monde nouveau dont la réussite tiendra autant à la qualité de l’exécution qu’à la conception de la marche à suivre, les deux étant d’ailleurs difficile- ment séparables en pratique. Mais voilà, les enseignants, parce qu’ils traitent de la « partie divine », accréditent souvent l’idée d’une supériorité de la stratégie par rapport aux autres disciplines. On a ainsi pu lire, dans l’introduction d’un manuel de référence, qu’elle était la matière noble du management. Difficile, sur cette base, d’apprendre aux étudiants à nouer des liens constructifs avec les autres disciplines et fonctions de l’organisation. Dans le Libellio, elle est aussi qualifiée de « fonc- tion méta » qui « englobe les disciplines phares de la gestion ». La formule est plus douce, mais le modèle mental est le même ; il est celui d’une supériorité revendiquée. La stratégie, observent a contrario Chia et Holt dans leur ouvrage Strategy without Design (Chia et Holt, 2009), ce n’est pas regarder le sommet, c’est regarder l’ensemble. Cette déconnexion entre la recherche et l’enseignement de la stratégie explique pourquoi ce dernier reste encore largement basé sur les travaux de Bruce Anderson (fin des années 1960) et de Porter (fin des années 1970) conçus à la grande époque du positivisme managérial. Comme si le monde n’avait pas radicalement changé depuis quarante ans ! On enseigne toujours majoritairement la stratégie comme si on enseignait le morse comme préparation au monde d’Internet. Outre le fait de rester figé dans des modèles anciens, la vision mécaniste de l’enseigne- ment produit deux effets néfastes : d’une part, elle fait croire que, à partir du moment où une « bonne » stratégie est définie, elle va être bien exécutée et apporter les résultats Face à l’effondrement du champ, la stratégie comme manière de vivre 75 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 05/03/2020 08:28 - © Lavoisier Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Poitiers - - 195.220.223.38 - 05/03/2020 08:28 - © Lavoisier attendus, croyance qui a apporté et continue uploads/Management/ silberzahn-et-riot-face-a-l-x27-effondrement-du-cahmp-la-strate-gie-comme-manie-re-de-vivre.pdf
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- Publié le Jui 17, 2021
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