Stratégie militaire, stratégie d'entreprise : Même combat par Anne Marchais-Rou

Stratégie militaire, stratégie d'entreprise : Même combat par Anne Marchais-Roubelat Les concepts de la stratégie militaire s’appliquent au monde de l’entreprise, mais quelques précautions sont nécessaires avant toute transposition. En effet, si les concepts de la stratégie militaire et de la stratégie d’entreprise diffèrent, ce n’est pas parce qu’il y a rupture entre les modes d’organisation de l’armée et de l’entreprise, mais parce que la complexité accrue de l’organisation de l’entreprise et de son environnement la conduit bien souvent à une appréhension plus complexe de la stratégie. La stratégie militaire sert de référent à la stratégie d’entreprise. Souvent comparées, ces deux démarches ne sont pas identiques et leurs conditions d’application sont telles qu’on ne peut transposer sans précautions l’art militaire à l’univers de l’entreprise. Un cas exemplaire de stratégie : la campagne d’Italie Parmi les grands stratèges de l’Histoire, il en est un dont le génie militaire a bâti un empire : Napoléon Bonaparte. Pourtant, lorsqu’il prend la tête de l’armée d’Italie en ce début de 1796, ses chances de réussite paraissent bien minces : il s’apprête à franchir les Alpes pour affronter, en territoire ennemi, une coalition austro-sarde dont les effectifs sont près du double des siens. Même le terrain, montagneux, le dessert, alors que l’armée sarde manœuvre facilement dans la plaine. Malgré ces handicaps majeurs, il réussit au-delà de toute attente, et sa progression en Italie est un chef d’œuvre de stratégie. Le Directoire a envoyé Bonaparte à la tête de l’armée d’Italie investi d’une mission générale, dont l’esprit est la recherche d’un résultat diplomatique : il s’agit de "détacher la Sardaigne de l’alliance autrichienne, de l’agrandir aux dépens du Milanais pour en arriver à une alliance défensive et offensive avec elle" 1. L’armée d’Italie participe donc à un programme plus vaste du Directoire, qui est aux prises avec une coalition européenne. En ce sens, elle s’inscrit dans le cadre d’une "stratégie générale", qui consiste à "combiner la totalité des moyens dont dispose le Pouvoir politique pour atteindre les buts qu’il a définis en matière de défense ou de conduite de la guerre" 2. Cependant, dans la conduite des opérations militaires, Bonaparte dispose d’une liberté d’initiative totale. Il ne se sent pas lié à la lettre par les instructions du Directoire, que ce dernier n’a d’ailleurs pas les moyens politiques de lui imposer. De plus la lenteur des courriers est telle que les nouvelles parviennent, au mieux, avec une semaine de retard. Bonaparte est donc le seul décideur de son action et de sa stratégie militaire c’est-à-dire de la façon dont il "crée, dispose et met en œuvre les forces armées en vue d’atteindre les objectifs militaires définis par le Pouvoir politique" 3. Dans cette stratégie, ce n’est pas l’art de mener le combat à l’heure de l’affrontement qui seul, assure le succès des armes. C’est, avant même l’engagement de la bataille, la capacité du chef militaire à concevoir sa manœuvre, à planifier l’emploi de ses forces et à anticiper les réactions de l’ennemi qui lui donne les meilleures chances de gagner. C’est ainsi que Bonaparte, qui manœuvre avec une extrême rapidité au début de la campagne, n’assiste même pas à la bataille de Montenotte contre l’armée autrichienne. Il estime avoir conduit ses troupes de telle façon qu’il a créé localement un rapport de forces favorable de trois contre un. Et, sans attendre le résultat, il insère le reste de son armée, comme un coin, entre les forces autrichiennes de Beaulieu et les forces sardes de Colli. Il illustre ainsi, sur le terrain, la notion de stratégie opérationnelle, qui consiste à "coordonner à l’échelon des théâtres les opérations de forces de nature différente, pour mener à bien la manœuvre stratégique dans une STRATEGIE MILITAIRE STRATEGIE ENTREPRISE file:///C:/Users/Didier/Desktop/strategie_entreprise.htm 1 sur 10 02/03/2011 03:10 aire géographique déterminée" 4. l’organisation militaire : est chargée de la mise en œuvre d’une décision qui appartient au pouvoir politique. son action est entérinée par des décisions diplomatiques. Le début de la campagne d’Italie constitue un cas d’école, une épure où seule est prise en compte la dimension purement militaire de l’affrontement. L’armée y est conçue comme un tout, mû par un décideur unique, Bonaparte, confronté à un ennemi défini (les armées autrichienne et sarde) et les parties en présence suivent les mêmes règles de comportement : celui qui acquiert un avantage local au moment de l’affrontement obtient la victoire. Comment appliquer la notion traditionnelle de stratégie à une entreprise, entité polymorphe, avec des centres de décisions multiples, parfois concurrents ou du moins dissonants, et qui ne peut justifier son STRATEGIE MILITAIRE STRATEGIE ENTREPRISE file:///C:/Users/Didier/Desktop/strategie_entreprise.htm 2 sur 10 02/03/2011 03:10 existence par sa fonction ? La démarche militaire s’appuie en effet sur une organisation hiérarchisée, pyramidale. L’armée dépend du pouvoir politique, qui détermine sa légitimité par ses missions générales (dissuasives en temps de paix, opérationnelles en temps de crise ou de guerre déclarée). L’organisation militaire est ainsi chargée de la mise en œuvre, tandis que la décision appartient au pouvoir politique exclusivement. En revanche, l’entreprise n’est pas un instrument au service d’une mission fixée en-dehors d’elle-même et ne peut être justifiée par une fonction autre que sa propre existence. Au contraire de l’armée, son objectif est endogène : garantir sa pérennité en tant qu’entité. Outre cette première différence, fondamentale, l’entreprise est rarement - et en tout cas moins que l’armée - représentée par un individu (Bonaparte) ou un état-major. On ne peut pas la résumer à un seul de ses centres de décisions. D’autre part, elle subit des contraintes internes et externes qui suivent des logiques très différentes, d’ordre social, technico-économique, politique, entre lesquelles les compromis et les arbitrages sont d’autant plus difficiles que les centres décisionnels sont multiples. C’est ici que réside l’une des difficultés d’application de la stratégie militaire à l’entreprise. Cela dit, un autre exemple historique enseigne que la stratégie militaire ne doit pas être abusivement simplifiée. Stratégie et pouvoir : la complexité du concept dans le cadre pourtant simplifié de l’armée Les liens qui subordonnent l’armée au pouvoir politique lui imposent aussi de prendre en compte dans sa stratégie des contraintes qui ne dépendent pas de logiques militaires. Ainsi, lorsque Joffre est nommé généralissime en 1911, il doit trouver un compromis entre, d’une part, la nécessité d’augmenter les moyens de l’armée, et plus particulièrement ses effectifs, et d’autre part l’opposition politique que soulève à l’époque toute réforme de l’armée. De plus, il n’a pas le pouvoir de nommer ses généraux et doit, dans une certaine mesure, composer avec eux. Par ailleurs, il doit prévoir la participation d’un détachement anglais qui ne sera pas sous ses ordres. Parce qu’il veut se maintenir à son poste et obtenir des moyens, Joffre doit accepter des contraintes d’ordre politique et diplomatique qui restreignent ses possibilités d’action militaire et l’amènent à définir une ligne défensive, avant-goût du front. Par conséquent, et quoique le contexte reste celui de l’affrontement armé, la complexité de l’organisation à gérer contraint Joffre à effectuer des arbitrages entre des contraintes propres à l’armée, qui est soumise aux lois de la guerre, et des contraintes politiques et diplomatiques, dont les conséquences rejaillissent sur les contraintes d’ordre militaire. Pour effectuer ces arbitrages, il négocie avec le pouvoir politique, sans le remettre en cause, sous peine de perdre sa propre légitimité. Au contraire, il utilise les procédures décisionnelles établies. Mais il n’obtient pas les effets qu’il recherche, car les moyens qu’il obtient ainsi sont assortis de nouvelles contraintes. L’acteur, l’agent et leurs stratégies Cet exemple de la préparation de la bataille de la Marne introduit le rôle de l’individu comme représentant d’une organisation : l’individu tire son pouvoir décisionnel de sa fonction, tout en négociant avec d’autres pôles de décision au sein de l’organisation ou en dehors d’elle. Ainsi, l’armée distingue plusieurs stratégies (générale, militaire, opérationnelle), qui font appel à au moins deux niveaux décisionnels (politique, militaire), et à trois systèmes de contraintes hiérarchisées : diplomatiques, politiques, militaires. Ces principes existent dans l’entreprise. En raisonnant à plusieurs niveaux imbriqués de stratégies et en prenant en compte de multiples pôles décisionnels, il est possible de distinguer : - l’entreprise en tant qu’"acteur", c’est-à-dire organisation qui participe à un processus ; STRATEGIE MILITAIRE STRATEGIE ENTREPRISE file:///C:/Users/Didier/Desktop/strategie_entreprise.htm 3 sur 10 02/03/2011 03:10 - "l’agent", ou individu qui incarne l’acteur à un moment de l’action. Cette distinction permet de prendre en compte les stratégies qui s’établissent au sein de l’entreprise et non, de manière trop réductrice, "la" stratégie. Par exemple, la stratégie de développement de l’électro-nucléaire au milieu des années 50 s’inscrit dans une stratégie plus globale de l’entreprise EDF, en vue de sa mission : approvisionner le pays en électricité, en respectant des contraintes de coût et de sécurité. Le projet, lancé à la Direction des Etudes et Recherches d’EDF sous l’impulsion de son directeur, Pierre Ailleret, en collaboration directe avec le CEA, est pris en charge dans un second temps par la Direction de l’Equipement. La stratégie de développement du programme nucléaire est cohérente avec la stratégie d’EDF. Mais alors que le programme prend de l’ampleur, ses uploads/Management/ strategie-militaire-strategie-entreprise-meme-combat.pdf

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  • Publié le Oct 08, 2021
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