Théories d'apprentissage et didactique des langues Heather Hilton L'acquisition

Théories d'apprentissage et didactique des langues Heather Hilton L'acquisition d'une langue étrangère (L2, L3...) en milieu scolaire est fondamentalement différente de l'acquisition de la langue maternelle (L1) ; les modèles psycholinguistiques du développement langagier en L1 (ou de l'acquisition des L2 en milieu naturel) ne sont que très partiellement transposables à l'acquisition des langues (AL2) en milieu scolaire. Dans cet article, nous développerons un modèle de l'AL2 qui est basé sur les théories cognitives de l'acquisition des compétences complexes. Ces théories expliquent l'expertise comme résultant de l'automatisation d'une grande quantité de procédés ou de traitements ; le développement de ces automatismes exige des centaines, voir des milliers d'heures d'entraînement. Une didactique complète des langues devrait donc tenir compte des paramètres cognitifs de l'apprentissage linguistique, aussi bien que des paramètres sociaux de l'interaction communicative. Sommaire Article Ce texte est la version développée d'un article publié dans Les Langues Modernes (numéro 3) en 2005 (pages 12-21). Nous remercions les éditeurs de nous avoir accordé cette possibilité de re-diffusion. L'acquisition des langues étrangères est d'abord et surtout un processus mental - qui opère dans un contexte social et comportemental, certes, mais qui est essentiellement une question de l'acquisition d'un nouveau système de connaissances. La cognition et les facteurs cognitifs, donc, sont à la base de toute explication du fonctionnement (ou du dysfonctionnement) de l'AL2, et tout aussi essentiels aux théories et aux pratiques en didactique des langues [...]. (Long & Richards 2000 : vii). Un modèle de l'acquisition des langues étrangères (AL2) a cours depuis bientôt 20 ans en France - cette théorie derrière « l'approche naturelle » de Krashen et ses associées, selon laquelle « l'apprentissage » explicite des savoirs linguistiques ne joue qu'un rôle mineur dans « l'acquisition » implicite de la compétence communicative (Krashen 1981, Krashen 1987, Dulay, Bert & Krashen 1982). Il faudrait nous affranchir de ce modèle américain de l'AL2, qui reflète les préoccupations de l'époque (la découverte, par des linguistes comme Krashen, des modèles psycholinguistiques du développement langagier chez les enfants et les bilingues, ainsi qu'un rejet brutal de la méthode audio-orale), mais non pas les réalités de l'AL2 en milieu scolaire. Car l'AL2 institutionnelle est fondamentalement différente de l'acquisition de la langue maternelle (AL1). La différence principale étant d'ordre quantitatif : en milieu scolaire, le temps de contact avec la langue ne représente qu'une infime fraction de ce contacte permanent qui permet l'élaboration implicite des réseaux langagiers de notre L1. Nous n'avons pas le temps, dans une classe de langue, d'assurer le développement « naturel » (ou implicite) de réseaux cognitifs performants en L2[1]. La tâche cognitive est d'ailleurs qualitativement différente : un réseau langagier existe déjà dans le cerveau d'un enfant apprenant une deuxième langue à l'école (ce qui n'est, bien évidemment, pas le cas pour le bébé apprenant sa L1). Le rôle important des variables individuelles dans les processus d'acquisition de la L2 est la preuve de cette différence qualitative : certains facteurs cognitifs et affectifs (aptitude, motivation), ainsi que sociaux (contexte d'apprentissage, rôle des adultes et des formateurs), peuvent déterminer de façon décisive les acquis en L2. Dans le développement langagier en L1 - où tout enfant normalement constitué acquiert une compétence orale performante avant l'entrée à l'école - ces variables ne semblent même pas rentrer en jeu[2]. Ces caractéristiques de l'AL2 en milieu scolaire relèvent plutôt du domaine de l'acquisition d'une compétence cognitive complexe, que de celui de l'AL1 (Bley-Vroman 1990, Anderson 1981, Kilborn 1994, McLaughlin 1990, Berry 1994, Johnson 1996). Un examen de quelques modèles cognitifs de l'acquisition des compétences (skill learning theory) devrait donc nous aider à comprendre les processus cognitifs à l'œuvre dans l'acquisition d'une langue étrangère, et nous aider à élaborer des modèles plus complets de la didactique des langues. « Apprendre, c'est intégrer des informations nouvelles en mémoire » (Craddock & Guerrien 1998 : 235) ; cette définition concise de l'apprentissage est également très puissante[3]. La mémoire, on le sait, est un ensemble de structures complexes, qui fonctionnent ensemble avec une efficacité prodigieuse. Mettant de côté, pour l'instant, les fonctions mnésiques à court terme (mémoire de travail, fonctions exécutives, empan), résumons quelques caractéristiques de la mémoire à long terme, « l'ensemble des connaissances que nous possédons » (Gaonac'h & Golder 1995 : 54), produit de tous nos apprentissages. Cohen & Squire (1980) ont identifié deux types de mémoire à long terme - déclarative et non-déclarative ; la tendance actuelle étant de qualifier ces deux systèmes mnésiques d'explicite et d'implicite (DeKeyser 2003 ; Paradis 2004 ; Ellis 2005). Le tableau 1 résume de façon succincte les caractéristiques les plus saillantes des composantes de la mémoire à long terme, quelle que soit l'appellation adoptée : Tableau 1 : la MLT (d'après Squire 1992 ; Ellis 2005 ; Gaonac'h & Golder 1995 : 63-72 ; Paradis 2004 ; Sun et al. 2001 ; Ullman 2001a & 2001b) La mise en place des réseaux de la mémoire déclarative (notre rappel conscient des faits et événements, notre mémoire de mots, scènes, visages, récits) dépend de l'intégrité des structures cérébrales ; l'hippocampe joue un rôle particulièrement important dans la formation de nouvelles associations entre stimuli (Squire 1992, Ellis 2005). La mémoire déclarative est souple - à la disposition de multiples systèmes cérébraux (Squire 1992 : 237) - et peut être facilement élargie : depuis plus de cent ans, les psychologues constatent la rapidité avec laquelle un individu peut mémoriser de nouvelles associations (James 1890 ; Ebbinghaus 1885/1913). Les connaissances déclaratives sont qualifiées « d'explicites », car elles peuvent, par définition, être explicitées ou expliquées - on sait que l'on reconnaît tel visage ou tel endroit, que l'on sait tel fait, telle règle, tel mot. L'acquisition même de ces connaissances relèverait de processus explicites : la création d'une nouvelle association en mémoire exige un effort attentionnel de la part de l'individu, une phase (même très rapide) d'analyse (Robinson 1995). L'élargissement du réseau relationnel de la MLT dépend donc d'un travail explicite, mais s'avère particulièrement rapide et efficace. La mémoire non-déclarative contient les programmes de nos routines sensori-motrices (habits), ainsi que les automatismes à l'œuvre dans l'amorçage (priming) et le conditionnement (Ullman 2001a : 206-07). Ces automatismes sont difficiles (sinon impossibles) à expliciter, comme on peut le constater quand on essaie d'expliquer verbalement comment nouer un lacet de chaussure, par exemple. Les systèmes mnésiques non-déclaratifs sont acquis pour la plupart implicitement, suite au traitement réitéré des mêmes données (gestes, stimuli) dans les mêmes contextes, et grâce aux processus connexionnistes de la catégorisation, de l'analyse distributionnelle, de l'association sérielle (Ellis 2005 : 320) et le « chaînage » d'éléments qui se trouvent fréquemment ensemble (Gagné 1965). Ces réglages progressifs des connexions néocorticales prennent du temps[4] ; la constitution des réseaux non-déclaratifs est un processus lent, donnant naissance à des structures cérébrales rigides - nous savons tous combien il est difficile de changer un comportement habituel ou de supprimer un automatisme. Les théories cognitives de l'acquisition des compétences tentent donc d'expliquer l'articulation entre les processus explicites et implicites de l'apprentissage, ainsi que la nature de la restructuration mnésique (Rumelhart & Norman 1978 ; McLaughlin 1990) qui caractérise l'acquisition de l'expertise. Il y a deux grandes orientations dans ce débat théorique (Masson 1990, DeKeyser 2000) : les modèles qui présentent l'acquisition d'une compétence comme un processus (les « process-based theories » de Miller, Shiffrin & Schneider, Rumelhart & Norman, Anderson, MacKay, Hasher & Zacks) ; et le modèle mnésique (« memory-based ») de Logan, la théorie des instances (Instance Theory). Dans les moutures successives de la théorie ACT d'Anderson (Adaptive Control of Thought), l'acquisition d'une compétence cognitive complexe est conçue comme un processus, dans lequel des connaissances déclaratives sont « procéduralisées », ou automatisées sous forme de procédures. Il y a quatre étapes dans ce processus de procéduralisation. D'abord une phase d'interprétation, où de nouveaux comportements sont élaborés, grâce à l'utilisation (dépendante des procédures déjà en place) de connaissances déclaratives liées à la nouvelle compétence. La deuxième phase - de compilation - est caractérisée par une diminution des efforts interprétatifs, suite aux effets de la répétition ; pendant cette phase d'entraînement, la médiation verbale est fréquente (on s'explique verbalement les gestes à accomplir). Dans la phase de renforcement, les liens du réseau sont renforcés ; les procédures s'améliorent, et la médiation verbale disparaît. La phase finale - la compilation des savoirs - sert à créer de nouveaux ensembles, à partir des savoirs existants ; ces nouveaux ensembles caractérisent l'évolution vers un niveau expert (Anderson 1996, 216-235 ; voir aussi Miller 1956, Hasher & Zacks 1979, MacKay 1982, Schmidt 1992). Le modèle CLARION (Connectionist Learning with Adaptive Rule Induction ON-line, Sun et al. 2001) propose un ordre d'acquisition inverse pour les processus « de bas niveau » : certaines procédures perceptuelles - acquises implicitement - pourraient servir de base à l'acquisition de connaissances déclaratives (voir aussi Davis et al. 2000). Dans le modèle mnésique de Logan (1988a, 1988b, 1990) - qui tente d'expliquer plus précisément comment les automatismes sont créés - une trace est automatiquement créée en mémoire pour uploads/Management/ t2-hh-theories-d-x27-apprentissage-et-didactique-des-langues.pdf

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  • Publié le Fev 14, 2021
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