Chapitre 17 LE "SAVOIR RELIER" Valérie GAUTHIER, Jean-Paul LARÇON, Jacques LEND

Chapitre 17 LE "SAVOIR RELIER" Valérie GAUTHIER, Jean-Paul LARÇON, Jacques LENDREVIE Le gouvernement des entreprises n'échappe pas à la complexité croissante qui touche tous les compartiments de l'économique, du social et du politique. Comment faire face à cette complexité tout en assurant la qualité des opérations courantes de l'entreprise ? Le changement et la complexité poussent parfois au repli sur soi, au développement des particularismes et de l'esprit de chapelle. L'analyse de la situation actuelle du management plaide cependant à l'inverse en faveur d'une prise en compte de la complexité et du déploiement de talents ou qualités nouvelles chez les managers pour y faire face. 1 .Complexité et management 1. 1. La nécessaire prise en compte de la complexité L'entreprise est l'un des lieux de rencontre privilégié de la complexité. C'est au sein de l'entreprise que s'établit l'équilibre entre les choix économiques et technologiques, c'est dans l'entreprise que se complètent ou s'excluent les préoccupations économiques et les responsabilités sociales, c'est dans la vie professionnelle que s'exprime la plus grande partie des talents individuels. Le management de l'entreprise doit faire face à la complexité croissante de nos sociétés décrite par Edgar Morin1. Parallèlement, l'enseignement -au plan technique, comme au plan humain -ne peut pas être déconnecté des besoins actuels des entreprises; il s'appuie sur les travaux de terrain, et permet le test des hypothèses, des concepts et des modèles. Le terrain est également le lieu par excellence de l'interdisciplinarité, tandis que la partie amont, l'assimilation des concepts, s'appuie principalement sur l'expertise spécialisée. L'apprentissage sur le terrain seul, tout comme le stage sans apport méthodologique, resterait évidemment relativement appauvrissant. Il y a donc un pont et une liaison personnelle à assurer entre -en amont -la maîtrise de concepts spécialisés, diversifiés, disjoints, et porteurs de leur propre complexité et -en aval -le face à face avec le terrain, la réalité économique et managériale faite de relations humaines, d'interdisciplinarité, de diversité et de singularité. L'agilité intellectuelle et psychologique, nécessaire à cette confrontation des ressources méthodologiques et des problèmes vécus dans l'entreprise, repose sur un savoir-faire relationnel. Celui-ci peut constituer la ligne 1 Voir Introduction à la Pensée Complexe, Edgar Morin, ESF Editeur de force supérieure d'un modèle éducatif centré sur le développement des capacités comportementales professionnelles du manager. Au sens large, il s'agit d'une capacité de communication au service de l' action, capacité qui suppose de faire le lien entre des variables, des acteurs ou des environnements hétérogènes. C'est dans cet esprit qu'il peut paraître vain de trop attendre de telle ou telle nouvelle technique de management, hier le projet d'entreprise, aujourd'hui le re-engineering. Cela ne veut pas dire que ces techniques soient inutiles ou inefficaces mais que, en fragmentant à nouveau la réalité, en rendant mal compte de la réalité et de diversité, elles empêchent en quelque sorte de dégager des solutions véritablement spécifiques et novatrices. A l'inverse, la capacité personnelle des managers à faire ce lien entre tes variables, à mettre en relation et en perspective ces éléments hétérogènes nous semble la plus urgente des priorités. C'est cette capacité que nous appellerons "le savoir relier" . 2 .Le "savoir relier" Parmi les voies à explorer pour mieux vivre la complexité, il faut privilégier d'abord une attitude d'identification et d'acceptation de la complexité préalable à la résolution des problèmes. Ceci repose essentiellement sur le développement de comportements d'écoute, de liaison et de communication entre tous ceux qui participent à cette complexité. Ce comportement, ce "savoir relier", doit être encouragé à tous les niveaux de la pédagogie des affaires. 2. 1. Savoir relier les pratiques à des macro-théories "Pour une formation des futurs managers qui réhabilite l'enseigne- ment des théories fondamentales qui sous- tendent les techniques et les pratiques managériales" 21. . Le terme "macro-théorie" signifie clairement qu'il ne suffit plus d'appuyer l'enseignement du management sur des théories -même renouvelées -du marketing, du contrôle de gestion ou de la stratégie d'entreprise, mais sur les théories qui constituent les fondements des pratiques managériales. La fonction principale des écoles de manage- ment n'est sans doute pas de former des contrôleurs de gestion ou des chefs de produit immédiatement opérationnels à leur arrivée dans l'entreprise, mais de faire en sorte que ceux qui deviendront contrôleurs de gestion ou chefs de produit, soient dotées des bases intellectuelles et humaines leur permettant après un temps d'apprentissage dans l'entreprise, de mettre la technique en perspective au service des problèmes nouveaux issus de la technologie, de la concurrence et de l'environnement. La mission essentielle n'est sans doute pas d'inculquer aux participants une connaissance poussée des styles de vie ou des courants socioculturels tels qu'ils sont analysés aujourd'hui par les sociétés d'étude du comportement du consommateur. Le manager de demain aura besoin de maîtriser les fondements de la sociologie pour mieux utiliser, relativiser ou adapter aux besoins de l'entreprise les outils actuels diffusés dans les études marketing. .Plus que la mémorisation des outils actuels, il est nécessaire de développer le regard critique, la capacité de comprendre et d'intégrer les outils nouveaux, peut-être et surtout la capacité à structurer l'information en fonction des problèmes réels et non des modèles à la mode. Pour mieux éclairer demain la complexité de leur environnement, les étudiants de management ont besoin, dès aujourd'hui, d'une formation théorique ( appelons-la fondamentale si le terme théorie effraie) à la sociologie, à la psychologie, à l'économie, à la philosophie... Ils en ont davantage besoin que de l'apprentissage des techniques d'études de marché, de sondage, d'interviews, de panels, de mesure des audiences de média. Ces techniques sont souvent bien maîtrisées par les entreprises et l'expérience des stages et des premiers emplois nous montre que les étudiants issus de l'enseignement supérieur ne sont pas recrutés au premier chef pour leur savoir technique. Ils acquièrent en revanche très rapidement la maîtrise de ces techniques dans leur environne- ment professionnel. Il ne s'agit donc pas de produire des comptables, des contrôleurs, des chefs de produit ou des chefs de publicité, ce que les écoles spécialisées à vocation professionnelle savent très bien faire, mais de former des économistes, des mathématiciens, des philosophes, des sociologues préparés à la maîtrise de contextes de plus en plus complexes, tout en étant résolument orientés vers l'action et la prise de décision. Ainsi, sans brûler tout ce que nous avons adoré dans le passé, on pourrait imaginer une pédagogie qui offre une meilleure harmonie entre l'apprentissage du concret et l'enseignement des théories fonda- mentales. Les conséquences seraient multiples : -Des enseignements théoriques fondamentaux ouverts à des publics venant de différentes cultures et formations. Ainsi, un cours de philosophie pourrait très bien accueillir, dans la même salle, des étudiants de formations différentes, de grandes écoles de commerce et d'ingénieurs, des cadres d'entreprises et des enseignants-chercheurs. -Une plus large flexibilité dans l'organisation du cursus des étudiants leur permettant de suivre des cours, à la carte, dans des facultés extérieures à leur établissement d'origine (suivre un enseignement de sémiologie à la Sorbonne ou de systèmes d'information à Polytechnique ). Cette pratique considérée comme dérogatoire et marginale pourrait être encouragée et systématisée. -Une association plus étroite des étudiants aux travaux de recherche des professeurs. La formation par la recherche qui fonc- tionne bien dans les écoles d'ingénieurs, en particulier au niveau de la dernière année d'étude, est peu développée dans les écoles de management. Dans ces établissements, l'année qui précède le diplôme est dominée massivement par une spécialisation professionnelle, un stage et la recherche du premier emploi. A l'inverse, les étudiants qui sont déjà dotés d'une bonne culture managériale pourraient tirer profit, avant de plonger dans la pratique, d'un approfondissement des principes, des méthodologies, des procédures de traite- ment des données. Cette pédagogie s'appuierait ainsi sur une formation préalable aux méthodologies de la recherche. Dans le même esprit, on pourrait introduire dans les formations les plus pratiques, du type MBA ou mastères, les cours fondamen- taux de méthodologies de niveau doctoral. Cette approche aurait trois avantages: -tout d'abord elle développerait des capacités d'investigation en profondeur sur des thèmes d'actualité pour l'entreprise, -ensuite elle renforcerait l'exigence de rigueur intellectuelle, -enfin elle valoriserait un potentiel existant chez les étudiants à forte culture scientifique, qu'il s'agisse de sciences humaines ou de sciences dures; plus globalement, la politique de recherche des écoles de management ne s'adresserait plus uniquement aux futurs enseignants mais aussi aux managers actuels et potentiels. 2 Edgar Morin, op. cil Le lecteur intéressé par ce sujet en trouvera une étude approfondie dans le chapitre consacré à la formation par la recherche. 2.2. Savoir relier les disciplines "Si vous avez le sens de la complexité, vous avez le sens du caractère multidimensionnel de toute réalité"3. Les disciplines sont actuellement encore trop réductrices de la réalité et c'est en renouant le lien entre les disciplines que l'on pourra mieux cheminer dans la complexité; la nécessité de l'interdisciplinarité a été posée depuis très longtemps, par la plupart des pédagogues. Ce fut un thème largement discuté dans les facultés de management dès leur premier redéploiement en Europe dans les années 1960. Les fondateurs de la pédagogie nouvelle d'HEC en 1960-1970 uploads/Management/complexite-manage.pdf

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  • Publié le Aoû 16, 2022
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