revue électronique Activités, avril 2011, volume 8 numéro 1 44 Tension entre in

revue électronique Activités, avril 2011, volume 8 numéro 1 44 Tension entre indicateurs de production et indicateurs de sécurité : Le cas de la certification d’une entreprise tunisienne Catherine Fournier Laboratoire PSITEC (Psychologie : Interaction, Temps, Emotions, Cognition), EA4072, Université Charles-de-Gaulle, Lille 3, BP 60149, 59653 Villeneuve d’Ascq Cedex, Catherine_fournier20002000@yahoo.fr Raouf Ghram Laboratoire PSITEC - Université Charles-de-Gaulle - Lille 3 Tahar-Hakim Benchekroun Conservatoire National des Arts et Métiers, Centre de Recherche sur le Travail et Développement, 41, rue Gay-Lussac, 75005 Paris Francis Six Laboratoire PSITEC - Université Charles-de-Gaulle - Lille 3 Abstract Tension between production indicators and safety indicators: case of the certification of tunisian firm. Companies' chief sources of concern are related to profitability issues. Most decide to obtain certification in order to maintain their operations, and this requires them to use indicators. Some research has shown how this approach can cause safety issues to be "forgotten". Our research took place in a firm based in Tunisia which in 2004 introduced a quality management system that resulted in certification. This was undertaken to comply with customer expectations and to keep the company in business. We will show here how the use of indicators can sometimes cause safety issues to be pushed aside. The problem of a gap between what the indicator shows about the business and what is actually happening in the workplace leads to decisions being taken that do not result in the improvement of working conditions. Keys-words management indicators, certification, security, compromises, activity Introduction L’objectif de cet article est d’exposer en quoi et comment une démarche de certification et l’usage des indicateurs qui en découle peuvent avoir un impact sur la façon dont sont gérées les questions de santé et de sécurité au travail. Nous montrerons ici en quoi un indicateur de gestion de production masque les compromis faits par les opérateurs pour atteindre les objectifs de production, ces compro- mis se faisant parfois au détriment de leur propre sécurité. Nous regarderons plus spécifiquement la façon dont l’indicateur est utilisé par les différents niveaux hiérarchiques et en quoi cette utilisation revue électronique Activités, avril 2011, volume 8 numéro 1 45 C. Fournier & coll. Usage d’indicateurs de gestion est dépendante des contraintes de leur mission et de leurs représentations des réalités de la production et des activités individuelles et collectives mises en œuvre pour atteindre les objectifs en qualité et en quantité ainsi que de la sécurité. La question se pose alors de voir comment sont abordées les questions de la sécurité au travail dans une entreprise qui a mis en place un système de management de la qualité (SMQ) d’autant plus que le lien entre santé/sécurité et travail, en terme de reconnaissance par la société, est assez récent (Coutarel, Daniellou, & Dugué, 2005). Cette entreprise cherche à diminuer le nombre d’Accident du Travail (AT) d’une part pour diminuer les coûts de la sécurité et d’autre part parce que le groupe étran- ger auquel elle appartient en partie fait pression pour que ces questions soient traitées. L’entreprise appartient à la fois à un groupe tunisien et à un groupe étranger de fabrication de produits manufac- turiers ; elle est basée en Tunisie. Cette entreprise a mis en œuvre depuis 2004 un système de mana- gement de la qualité qui a débouché sur une certification ISO 9001 2000. La démarche a été initiée pour répondre aux demandes des clients et pour pérenniser l’activité de l’entreprise. Cette entreprise connaît par ailleurs des AT jugés trop nombreux et souhaite avoir un diagnostic de la situation pour mieux en comprendre les causes, diminuer leur survenue et de ce fait en réduire les coûts. Dans cet article, nous allons dans un premier temps faire un point bibliographique sur la certification, ses apports et ses limites. Nous ferons également le lien entre certification et activité des opérateurs. Ensuite, nous discuterons de la notion de risques. Enfin, nous décrirons les situations de travail ren- contrées et les compromis faits par les opérateurs pour faire face aux exigences de la tâche avant de revenir sur les indicateurs de gestion. Nous conclurons sur les apports possibles de l’ergonomie à cette problématique. 1.- Un point sur la certification La préoccupation principale des entreprises est la rentabilité. Pour s’assurer de celle-ci et pour ré- pondre à des critères commerciaux, elles mettent en place des Systèmes de Management de la Qualité (SMQ) qui aboutissent généralement à une certification. Cette démarche a surtout connu son essor dans les années 1990 et a renouvelé les pratiques de production, de gestion et de management (Ohno, 1989, cité par Iazykoff, 2004, p. 2). Fin décembre 2004 on comptait plus de 27 101 entreprises certifiées ISO 9001 en France, 326 895 en Europe et 670 399 dans le monde. Les chiffres de la Tunisie ne sont pas communiqués mais on sait par ailleurs que ces démarches y sont de plus en plus mises en place. 1.1.- Quelques définitions La certification peut être définie selon plusieurs dimensions (Mambi-El-Sendegele, 2001) : — — c’est un instrument de réduction de la complexité ; cette complexité est due en partie aux relations qu’entretient une entreprise avec une multitude de fournisseurs, dont la qualité de la production est variable. Il peut donc exister un écart plus ou moins important entre ce qui est prévu au marché et attendu et ce qui est effectivement livré. C’est ce que Mambi-El-Sendegele (2001) appelle la contingence. La norme, par le contrat qu’elle oblige de passer entre les fournisseurs et l’entreprise va permettre de diminuer à la fois la complexité et la contingence. Une négociation bilatérale entre les deux partenaires se fait alors sur la qualité ; — — c’est un dispositif cognitif institué ; il s’agit pour les différents partenaires de s’accorder sur des conventions, c’est-à-dire sur la régularité des comportements à adopter comme une sorte de référentiel commun ; — — c’est un argumentaire d’échange industriel ; il s’agit pour l’entreprise de valoriser le niveau de ses interventions et de ses prestations. De plus, cela constitue pour les clients un critère de sélection. Enfin, cela régule le marché. revue électronique Activités, avril 2011, volume 8 numéro 1 46 C. Fournier & coll. Usage d’indicateurs de gestion La norme qui nous intéresse ici particulièrement est la « norme qualité », qui conduit à la mise en place dans les organisations de SMQ. La qualité y est définie comme une « aptitude d’un ensemble de caractéristiques intrinsèques à satisfaire des exigences » (AFNOR, 2001, p. 22). La norme fixe des exigences mais il est libre à l’entreprise de définir ce qu’elle entend par qualité du produit. Cependant, l’entreprise, pour mettre en place un SMQ, doit « démontrer son aptitude à fournir régulièrement un produit conforme aux exigences des clients et aux exigences réglementaires applicables » et doit viser à « accroître la satisfaction de ses clients par l’application efficace du sys- tème […] » (cf. Normes NF EN ISO 9001). La qualité va donc être définie par l’entreprise elle-même en fonction des exigences réglementaires, celles du marché et des clients. Les notions de certification et de qualité sont étroitement liées. Ces liens sont dus en partie à leur évolution conjointe du fait des transformations du contexte socio-économique. La qualité possède un « pouvoir structurant, des propriétés pérennisantes et une capacité à susciter une dynamique d’adop- tion » (Penan, 1995 et Reynaud, 1988, cités par Lérat-Pytlak, 2002, p. 44). Ces caractéristiques appa- raissent comme le levier qui a permis son développement pour en faire un critère de management de la normalisation. La certification (ou normalisation) et la qualité ont d’abord concerné le produit, puis les processus industriels et organisationnels pour aujourd’hui être intégrées dans le management et les stratégies de l’entreprise. Cette évolution peut s’expliquer par le fait que le nombre toujours croissant d’entreprises certifiées tend à diminuer l’enjeu commercial et pousse les organisations à aller toujours plus loin dans la démarche. De plus, la notion de qualité est une notion floue et pourtant très répandue. Au-delà de sa définition normalisée, la qualité constitue plus une construction sociale propre aux accords et compromis faits dans chaque entreprise concernée (Laurens, 1997). Elle est généralement subjective, en fonction de l’individu ou de l’entité qui la définit, mais aussi du corps de métier auquel il appartient. Il y a donc des qualités. On peut remarquer également que généralement la qualité n’est pas définie dans les entreprises qui mettent en place un SMQ (Mispelblom, 1995). Celle-ci est en fait perçue comme tellement évidente qu’il ne sert à rien de la formaliser. De ce fait, elle va relever davantage d’un jugement de valeur de ce qu’est un bon produit ou un bon travail. Il nous apparaît pertinent de pré- ciser ceci car c’est précisément le phénomène que l’on retrouve dans l’entreprise qui fait l’objet de cette recherche : en effet, la qualité n’est pas définie de façon formelle, mais relève plus d’une appré- ciation. Ce constat ressort des entretiens menés avec trois membres du comité de direction (soit le directeur « pôle gestion », le directeur Recherche et Développement et uploads/Management/ tension-entre-indicateurs-de-production-et-indicateurs-de-securite.pdf

  • 25
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Fev 17, 2022
  • Catégorie Management
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.4020MB