1 L'ANALYSE FRANÇAISE DE DISCOURS 1 Au cours des années 60, émerge progressivem

1 L'ANALYSE FRANÇAISE DE DISCOURS 1 Au cours des années 60, émerge progressivement en France ce qu'il faut bien appeler une école française d'analyse de discours, qui, notamment à l'EHESS au sein du CECMAS, tente de remédier aux insuffisances de l'analyse de contenu, importée des USA une dizaine d'années plus tôt, et qui était désormais largement répandue dans les sciences humaines. L'analyse de contenu (Berelson 1952, et Bardin 1977) est une méthode de traitement de l'information, dont le principe est de normaliser la diversité superficielle d'un ensemble de textes pour permettre une quantification. Un excellent exemple concernant les médias en est fourni, un peu plus tard, en 71, par A.Kientz (Kientz, 1971). Le contenu des documents (ici, un ensemble de journaux) est réparti dans une ou plusieurs grilles dont les catégories sont généralement indifférentes aux articulations textuelles et linguistiques. (Dans l'exemple, précité, Kientz retient l'ordre d'exposition des arguments et sa variation dans le communiqué de presse initial du groupe de prêtres Echanges et dialogues, et les reprises par les journaux, mais ne va pas au delà). La quantification des résultats est liée au besoin de pouvoir traiter des données nombreuses, censées être représentatives d'une certaine réalité sociale. Elle se prête donc très bien par exemple au traitement d'importants dossiers de presse (Tétu, 1983), ou encore aux enquêtes d'opinion qui reposent sur une population de grande taille, etc. L'analyse de discours, en revanche, ne considère pas le matériel linguistique comme un simple véhicule ou support d'informations, mais d'abord comme un texte. C'est sans doute pourquoi, dans une sorte de première étape (avant 1968), l'accent est d'abord mis sur l'organisation narrative du récit médiatique, dont le numéro 8 de la revue Communications fournit une sorte de repère canonique. Pour ne prendre qu'un exemple, Jules Gritti, analysant la couverture médiatique de l'agonie de Jean XXIII s'interroge d'abord sur l'organisation diégétique attendue dans un texte fictionnel et celle d'un récit de journal : "la première émane d'une création fabulatrice, la seconde 1 Ce texte, issu d’un colloque tenu à Berlin en mars 2001 et inédit en français, a été publié en allemand, in Phillipe Viallon & Ute Weiland : Kommunikation Medien Gesellshaft. Berlin : Avinus Verlag, 2002, p.205- 217. halshs-00396398, version 1 - 18 Jun 2009 Manuscrit auteur, publié dans "Kommunikation – Medien - Gesellschaft. Eine Bestandsaufnahme deutscher und französischer Wissenschaftler (2002) 205-217" 2 est commandée au jour le jour par l'événement". Et de commenter : " L'événement s'opposerait à la structure comme la nature à l'"artefact", l'accidentel au catégoriel". Mais pourtant, poursuit-il : "dès lors que l'événement est rapporté, le vécu se transforme en représenté, le donné événementiel est appréhendé selon les "catégories "du récit". C'est aussi pour cela que la somme de P.Ricoeur, Temps et récit, constitue le socle de nombreuses études de presse et la référence majeure de l'Observatoire du récit médiatique de Louvain-la-Neuve. Ce pari méthodologique, qui permet de chercher la signification d'un texte dans son organisation même, et non dans la relation qu'il opère d'un référent "mondain", relève bien entendu de l'approche structuraliste et de l'immanence de la signification textuelle qu'il faut donc découvrir dans l'examen du seul texte. Le reproche fait à l'analyse de contenu est donc que pour elle, les textes sont "transparents" aux représentations des acteurs sociaux, alors que l'analyse de discours va tenter de repérer les "formations imaginaires" (Althusser) inévitablement liées aux formations sociales. En somme, pour l'analyse de discours, on ne peut pas passer des textes à une réalité extra discursive. Il faut au moins prendre en compte : • les modes de fonctionnement des discours : c'est pour cela que les analystes français du discours accordent une place aussi importante aux "dispositifs" médiatiques (cf. Véron, 82, Mouillaud -Tétu, 89, Charaudeau, 97, Jamet-Jannet, 99). • les modalités de l'exercice de la parole dans un univers déterminé (cf. les analyses des conférences de presse du président de la république faites par Gouazé, 1970, et Mouchon, 1998). En somme si l'analyse de contenu peut être reconnue comme un ensemble de techniques auxiliaires des sciences sociales, l'analyse de discours revendique le statut d'une discipline autonome d'analyse textuelle. Mais c'est seulement vers la fin de la décennie 60 que l'analyse de discours revendique pleinement un nom et sa spécificité. On peut remarquer, comme le fait Maingueneau (1991), que cette AD française émerge au moment où les USA développent une approche des phénomènes communicatifs centrée sur l'ethnométhodologie et les interactions communicationnelles (cf. Winkin, 1996). Cette divergence s'explique par une spécificité française que Maingueneau explique comme le point de rencontre historique entre une tradition scientifique fortement représentée en France, une pratique scolaire traditionnelle, et une conjonction intellectuelle originale (cf. Maingueneau, pp. 18-19) La tradition scientifique est celle de la philologie, moment obligé du parcours des études littéraires, dont l'objectif est l'établir les liens entre l'histoire et les textes. La philologie vise à reconstruire une culture à travers des documents, ou, autrement dit, à reconstruire la signification halshs-00396398, version 1 - 18 Jun 2009 3 de textes et de documents pour un milieu historiquement situé. La philologie est donc fortement liée à l'histoire, ce qui explique sa prédilection pour les textes anciens. Or les travaux majeurs de Georges Dumézil des années 40 et 50 venaient de trouver, grâce à Lévi-Strauss notamment, un écho exceptionnel qui excédait largement le cercle tout de même étroit de la grammaire comparée ; sa description des institutions indo-européennes ne donnait pas seulement un souffle nouveau aux études anciennes, elle inscrivait au coeur de la démarche philologique, et très au delà, l'étude de l'idéologie dans la vie des sociétés humaines. L'exercice scolaire est tout simplement l'"explication de texte" que la sémiologie commençait à secouer vivement. Traditionnellement en France, l'explication de texte était le moyen académiquement privilégié pour accéder à l'intention de l'auteur. Or voilà que le concept d'"auteur" était vivement questionné, et que l'intention était pour un temps délaissée au profit du procès de signification du texte, pris dans un réseau d'intertextualité bien plus large. La conjoncture intellectuelle est faite du croisement et des rencontres entre trois perspectives au départ bien distinctes : la linguistique, le marxisme relu par Althusser, et la psychanalyse freudienne relue par Lacan. Trois directions qu'unissait pour un temps le structuralisme dominant. Althusser (cf.Althusser 65 et 68) permet de comprendre ce qui était en jeu dans la revendication de scientificité de l'analyse de discours. Pour Marx, publié en 65, avait d'abord été lu comme une réaction à la notion d'aliénation popularisée par J-P.Sartre ; Althusser y dénonçait une vision pré- marxiste et bourgeoise, chez Sartre, d'une aliénation fondée sur une supposée conscience du sujet. Mais l'essentiel était d'y fonder quelques concepts essentiels à la compréhension des "formations sociales" : structure, superstructure, rapports de détermination, surdétermination. Avec Lire le Capital, en 67, l'accent se déplace. Le point de départ d'Althusser, on le sait, est le décalage irréductible entre la science et l'idéologie. Il fallait donc que le marxisme construise un discours scientifique susceptible d'échapper à l'idéologie, c'est à dire qu'il revenait au marxisme de construire une nouvelle épistémologie. Pourquoi le marxisme ? Parce que, (c'est pour cela qu'il faut "lire" Le Capital", comme J. Lacan demande de "lire" Freud), cette nouvelle épistémologie est déjà à l'oeuvre dans le texte de Marx, qui constitue à cet égard un événement dans l'histoire des sciences - même si Mars reste imprégné d'idéologie historiciste et "hégelianiste". Lire Marx, donc, c'est , en somme, mettre en évidence les "obstacles épistémologiques " d'une science non-idéologique. Il faut donc définir et construire une "science de l'idéologie" dont l'analyse de discours offre le modèle, parce qu'elle est à la fois une théorie de l'idéologie en général et une théorie des idéologies particulières qui expriment toujours des relations de classe. halshs-00396398, version 1 - 18 Jun 2009 4 Les "formations sociales" produisent des "formations imaginaires", et l'idéologie résulte d'une "déformation imaginaire "que subissent les rapports réels des gens à leur place dans la société quand ils forment des représentations: "thèse 1 : l'idéologie représente le rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d'existence" (Positions, p. 101), et, plus loin, "ce n'est pas leurs conditions d'existence réelles, leur monde réel, que les "hommes" "se représentent" dans l'idéologie, mais c'est avant tout leur rapport à ces conditions d'existence qui leur y est représenté. C'est ce rapport qui est au centre de toute représentation idéologique, donc imaginaire,du monde réel. C'est dans ce rapport que se trouve contenue la "cause"qui doit rendre compte de la déformation imaginaire de la représentation idéologique du monde réel" (Althusser, 1970). Le pari épistémologique d'Althusser est que cette déformation doit obéir à des processus constants dont une science (non -idéologique) doit pouvoir analyser le fonctionnement. C'est, pour une part, le rôle de l'analyse de discours. La linguistique, en effet, fournissait quelques ressources à cette entreprise. D'abord, elle avait prouvé une relative autonomie du langage, et de ses lois, par rapport aux acteurs et structures socio-économiques : c'est cela qu'apportait le "structuralisme linguistique". Et, de ce fait, la linguistique avait déjà de ce fait, conquis sa scientificité contre l'idéologie. Pour l'histoire des uploads/Management/ tetu-analyse-discours.pdf

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  • Publié le Jan 13, 2022
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